#RL2015 C'est aussi parfois le clash chez les Explorateurs... Ils ne sont pas d’accord sur certains romans de notre sélection, ils le font savoir, ils vous le disent, et ils ont des arguments.
Découvrez les critiques Pour-Contre de Cassandre et Noëlle Roland pour La Cache de Christophe Boltanski (Stock)
On commence souvent par parler de soi ou sa famille dans un premier roman, mais rarement avec autant de justesse. Ce qui n’empêche manifestement pas quelques bémols, relevés par Cassandre. Le débat est lancé, le relèverez-vous avec nos Explorateurs ?
Pour :
Un incontournable. C’est un très beau roman mémoire.
Je n’avais jamais entendu parler de la famille Boltanski, une famille hors du commun dont certains membres sont illustres. Ce fut une superbe découverte.
La cache est le premier roman de Christophe Boltanski, grand reporter à L’Obs. Afin de lutter contre l’oubli, il y raconte l’histoire de sa famille, composée de romanciers, d’artistes et de sociologues « les Boltanski ». « Il faut savoir d’où l’on vient pour savoir qui l’on est. »
Nous sommes en 1950. La famille Boltanski vit totalement soudée, repliée sur elle-même. Ils attendent le père dans la voiture pendant qu’il est au travail. Dans la maison « rue de Grenelle »les enfants dorment à même le sol, au pied du lit des parents. Pendant les vacances, ils dorment à cinq dans la voiture ; ils se lavent peu. L’auteur nous parle de sa famille marquée par la peur, la trahison, la honte car ils ont vécu un événement tragique et traumatisant .
Le père est médecin ; il est juif originaire d’Odessa. Il s’est converti au christianisme en 1930. Il a participé au conflit de 1914-1918. Mais malheureusement tout bascule sous le gouvernement de Vichy et ses lois anti-juives. Sa vie est menacée. Après avoir feint de quitter le domicile conjugal à la suite d’une dispute, il y vit caché dans un réduit aménagé sous le plancher dans un petit débarras. Cette cache va devenir le nombril de cette maison, qui est la pièce maîtresse du livre. Chaque chapitre porte le nom d’une pièce où sont évoqués les souvenirs des membres de sa famille. « La cuisine servait d’orifice. Le cerveau phosphorait dans le bureau. Le salon formait l’enveloppe charnelle…Nous avions trouvé refuge dans les limbes pour fuir le chaos extérieur ». En effet les membres de cette famille sortent peu, ont peur de l’extérieur. Et cela se comprend.
Ecrit dans un style très littéraire, ce livre se lit rapidement. J’ai apprécié cette façon de mener l’enquête. J’ai voyagé dans cette maison de pièce en pièce un peu comme dans un jeu de cluedo à la découverte des personnages. Celui que j’ai aimé c’est cette mère fière un peu vamp, très protectrice, qui ne montre jamais ses faiblesses. Christophe Boltanski a remonté le temps en m’y entraînant pour connaître ses origines et m’a conduite à Odessa. Superbe voyage au sein de cette famille que je n’oublierai pas.
(c) noelle Roland
Contre :
La cache est un roman que j’ai apprécié mais qui me laisse un peu le goût de l’ennui, comme un récit familial dont l’intérêt aurait été atténué par son imposante longueur.
Le commencement de ma lecture fut un peu houleux. J’ai difficilement réussi à rentrer dans le récit. En cause ? Une multitude de personnages/personnes dont on ne connait pas les noms nous est imposée, seulement identifiés en tant qu’ « il » ou « elle ». En plus de cela, je comprenais que chacun entretenait un lien avec les autres mais je n’arrivais pas à savoir lequel. La cache s’apparente à un arbre généalogique sous forme de roman, à une fresque familiale qui se complète au fil des recherches menées. Chaque membre de cette famille apporte quelque chose d’extravagant qui rend cette dernière de plus en plus attachante. Malgré tout, j’ai eu tout au long du texte l’impression de m’immiscer dans une histoire très personnelle, racontée sur un ton presque trop confidentiel. Mon sentiment fut que la reconstitution historique de cette famille apportait un immense intérêt généalogique à l’auteur et ses proches mais n’apportait rien d’éminemment intéressant au lecteur. Une histoire familiale peut-elle vraiment être exposée à un public qui ne fait justement pas partie de cette famille si unie, si proche ?
Les cent premières pages présentent les protagonistes, sans le contexte. On nous parle d’ « elle » ou de « lui », de « Mère-Grand » ou de « moi », en leur attribuant des gestes quotidiens, des habitudes sans pour autant savoir qui ils sont précisément. Le flou dans lequel reste volontairement le narrateur est très troublant. Je m’imagine que n’importe quel membre de la famille Boltanski saura identifier de qui on parle mais pour un lecteur non-initié, c’est terriblement perturbant. Après ce cap franchi, de nombreuses informations nous parviennent finalement pour notre plus grande satisfaction de lecteur curieux. L’atmosphère brumeuse subsistera tout au long du récit, mais le voile se lèvera toujours un peu plus à chaque page.
L’organisation du roman est très intéressante puisque le récit suit le schéma de l’appartement dans lequel a vécu la famille Boltanski, Rue-de-Grenelle à Paris. Au gré des pièces (qui sont d’ailleurs dessinées sur chaque page de nouveau chapitre), de nouvelles personnalités apparaissent ou s’approfondissent, éclairant ainsi toujours un peu plus cette intrigante famille. On comprendra, au fur et à mesures de ces découvertes le sens de cet intrigant titre « La cache ».
En plus de son histoire personnelle, Christophe Boltanski évoque l’Histoire. De France, de Russie, d’Allemagne. Des événements de par le monde sont exposés et se mélangent à sa vie familiale. Principalement invoqué dans ce récit, la persécution progressive des juifs durant la seconde guerre mondiale. C’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Durant toute une partie, le narrateur nous raconte le vécu de son grand-père par rapport à cela et ceci ne peut provoquer qu’un tumulte d’émotions, tant l’antisémitisme ambiant est rendu de manière réelle. Un autre personnage m’a particulièrement émue, il s’agit de sa femme, la grand-mère du narrateur, appelée notamment « Mère-Grand ». (Je dis « appelée notamment » puisque tous les aïeux de notre narrateur ont plusieurs identités qui vous seront dévoilées au fil du texte.) Coquette, emplie de fierté malgré son infirmité, on sent une puissance et une telle force d’esprit de sa part que c’en devient désarmant et fabuleux.
J’ai aimé l’authenticité des souvenirs dévoilés, justement par la comparaison de chacun des membres de la famille. La mémoire de l’un diffère de l’autre, offrant ainsi des points de vue opposés sur un même sujet. De la même manière, j’ai apprécié la façon dont l’auteur apparente ses recherches à une partie de Cluedo, rendant le récit intéressant et divertissant.
Lorsque je me retrouvais lésée à certains moments de ma lecture, par un manque d’informations (volontaire de la part de l’auteur, mais somme toute gênant), je me suis amusée à aller approfondir certains faits en faisant des recherches sur internet. J’ai notamment trouvé très intéressantes toutes les parties qui relatent des événements concernant André Breton et les retrouver sur le net. Principalement sa relation avec Théodore Fraenkel qui, je ne sais pas pour quelle raison, m’a passionnée.
La cache est finalement un roman qui m’a par moment désabusée à cause de sa lenteur et sa complexité, mais touchée par les sentiments profonds ressentis. Le texte m’a en effet paru être tiré en longueur, donnant l’impression que l’auteur cherchait à créer encore et toujours plus de suspens. Au final, il provoque plus de perplexité et d’incertitudes irritantes que de mystère et c’est bien dommage. Je vous avoue que ce roman m'a plu sur certains aspects forts (tout ce qui concerne l'Histoire), mais je n'ai pas vraiment réussi à rentrer dedans de manière percutante. Il raconte tant de choses, de manière si dense que ça n'est vraiment pas évident.
(c) Cassandre Drd
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Extrait ;"Il règne dans ce roman une nostalgie heureuse qui circule dans toutes les pages du livre. La cache n'est pas sans évoquer une certaine parenté littéraire avec Georges Perec. Sans doute l'auteur s'est-il inspiré de la Vie mode d'emploi pour rédiger ce texte. Ce que je retiens personnellement de ce livre est la forme d'hommage d'un petit-fils à ses grands-parents si étonnants et attachants."
Extrait :"Quel roman étonnant ! Il s'agit plutôt d'un récit, autobiographique pour partie, mais essentiellement attaché à retrouver et comprendre les fils d'une histoire familiale assez peu ordinaire."
Le Prix des Prix 2015 revient à Christophe Boltanski