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Jérôme Attal, la belle surprise de la rentrée littéraire avec "37, étoiles filantes"

« La justesse me semble plus importante que la vérité dans un roman »

Jérôme Attal, la belle surprise de la rentrée littéraire avec "37, étoiles filantes"

Il est comme ses romans, Jérôme Attal, "vivant, moderne, émouvant et virevoltant", et son 37, étoiles filantes (Robert Laffont) est sûrement l’un de ses tout meilleurs textes.

Plébiscité par les libraires et très lu sur la plateforme, le roman est un voyage rocambolesque dans le Paris d’avant-guerre, autrement dit dans le chaudron d’un formidable bain culturel, où la créativité des peintres, musiciens et intellectuels s’en donnaient à cœur joie. Même impression de vie intense dans le roman d’Attal, où  l’on suit la colère d’un Giacometti, très remonté et encore mal connu, contre le Sartre d’avant L’Etre et le néant, qui déjà commence à se façonner une statue d’intellectuel majeur.

Jérôme Attal s’est prêté avec grâce et plaisir aux questions que vous lui avez posées. Et l’on entre dans cette interview comme dans une conversation, où l’auteur se montre vif, sensible, sincère et prêt à beaucoup de confidences sur son travail. Mention spéciale à Henri-Charles Dahlem qui a été l’un de ses lecteurs les plus attentifs et passionnés.

 

Lecteurs.com : Comment vous est venue l’idée de ce roman qui me semble, au moins par l’époque choisie, bien loin de tous vos autres romans ?

Ce qui me stimule dans la création, c’est justement les idées. Je pense souvent à Goscinny qui racontait que quand il devait écrire à la fois Astérix et Lucky Luke, il était heureux quand il avait une idée par jour. J’aimerais être heureux de la sorte, sauf que parfois j’arrive en fin de semaine et j’ai cinq idées à rattraper !

Souvent, pour un roman, j’ai plusieurs idées de départ, je les laisse un peu grandir, évoluer dans mes pensées jusqu’à ce que l’idée qui va me mobiliser vraiment s’impose. J’essaie de développer mon univers personnel à partir d’une idée qui me paraît forte à chaque fois. Pour L’appel de Portobello Road, mon idée principale était de faire un roman très positif sur le chagrin. Parler de manière très positive du chagrin, de la perte des êtres chers, qu’il y ait une confiance et une lumière tout au long de l’aventure. Pour 37, étoiles filantes, quand j’ai lu cette anecdote sur Giacometti et Sartre dans un livre d’entretiens du peintre Balthus – Balthus en parle en deux trois lignes seulement – je me suis dit que ça allait être un formidable terrain de jeux pour mon imaginaire, j’allais pouvoir investir cette querelle et y apporter mon univers.

 

L’anecdote qui sert de point de départ est-elle avérée ?

Oui. Balthus en parle dans un entretien, la localisant à la fin des années 30, et elle réapparait dans Les mots de Jean-Paul Sartre. Sartre s’embrouille un peu dans ses souvenirs, il situe l’accident de Giacometti à Denfert-Rochereau alors qu’il a eu lieu près du Louvre, et surtout il justifie ce « Ah, il lui est arrivé quelque chose » sous la forme d’un événement créateur voire libérateur, il en fait une théorie de l’existence, il ne se passe rien et hop soudain un phénomène, un mouvement, ce qui fâchera Giacometti à la lecture du roman Les mots. À partir de ce livre, il y aura une vraie brouille entre les deux qui sont devenus amis après-guerre, le sculpteur s’est quand même fait écraser le pied et l’autre en fait une théorie de l’existence !

 

Comment vous êtes-vous documenté pour écrire ce livre ?

J’ai pas mal lu les journaux de l’époque que l’on trouve en archives sur le net, et puis j’ai fait des études d’Histoire de l’art à La Sorbonne, un mémoire sur Francis Bacon et Vincent Van Gogh, donc les rapports entre les artistes et le milieu de l’histoire de l’art sont des sujets que je connais bien. Concernant Paris, Montparnasse et Saint-Germain-des-Prés sont les quartiers où je vivais quand j’étais étudiant et je les connais par cœur, du moins comme on peut avoir du cœur à vingt ans. Cela étant, je ne me suis pas trop documenté, il ne fallait pas que ce soit une fiche Wikipédia, que l’on croule sous les références, le plus important pour moi est que ça reste vivant, moderne, émouvant et virevoltant.

 

Avez-vous consulté des spécialistes de Giacometti ? De Sartre ?

 Non. Je me suis approprié leurs carcasses et je les ai empaillées de mes propres préoccupations et fantasmes. Ce dont je leur demande pardon, d’ailleurs, à la fin du livre. Pour Giacometti quand même, j’ai relu les essais et entretiens de David Sylvester qui est un critique d’art que j’adore, et il y a aussi pas mal de films des années 50 et 60 qui le montrent au travail, dans son atelier.

 

Avez-vous lu la Légende d’un dormeur éveillé de Gaëlle Nohant et qu’en avez-vous pensé ?

Oui, je l’ai lu. Au départ j’ai été assez déconcerté par la forme, avec ces citations de poèmes de Desnos qui arrivent tout d’un coup et scandent le récit, et j’avais peut-être envie qu’il y ait plus de vie et de fantaisie dans les dialogues. Ce sont des artistes quand même ! Cela étant, Gaëlle fait des descriptions de Paris et de la nuit à Paris qui sont juste sublimes.

 

À quel moment vous êtes-vous senti prêt pour écrire ? Et où avez-vous mis le curseur quant à la véracité des faits que vous racontez ?

J’aime bien retarder le moment de l’écriture. Jusqu’à ce que je n’en puisse plus. Que cela bout en moi comme une cocotte minute de mots. Quand le moment est venu, je me jette dans l’écriture. La vérité pour moi n’a peu d’importance du moment que c’est crédible. Par exemple je suis fan de Vladimir Nabokov pour qui la vérité n’est qu’une illusion. Plutôt que de vérité je parlerais volontiers de justesse. La justesse me semble plus importante que la vérité dans un roman. Et la justesse passe aussi par le ton, le style, la petite musique d’un livre.

Cela dit, tout est crédible dans mon roman. Peut-être que Sartre n’a jamais déjeuné chez Mauriac, mais il aurait pu, il était à Paris quand Mauriac habitait avenue Théophile Gaultier, et peut-être qu’à ce dîner n’aurait jamais été conviée l’héritière des chocolats Meunier mais pour me mettre dans l’ambiance de l’époque je relisais les souvenirs de Maurice Rheims et à un moment ce dernier déclare que la plus belle femme de l’avant-guerre à Paris était l’héritière des chocolats Meunier. Je me suis donc dit qu’il fallait absolument qu’elle apparaisse dans mon roman, et je l’ai invitée à diner avec Mauriac et Sartre.

 

Il me semble que vous avez une tendresse particulière pour les frères Giacometti et qu’à l’inverse les mots (les maux) de Sartre vous importent moins. Les artistes seront-ils toujours plus fort que les philosophes ?

En écrivant ce roman j’ai aussi beaucoup pensé à l’Apostrophes de Marguerite Duras (que j’adore) avec Bernard Pivot.

Pivot demande à Marguerite : « Pour vous quels sont les plus grands écrivains du XXème siècle ? »

Marguerite, répond, sur un ton péremptoire (j’allais dire durassien) :

- Bataille et Blanchot !

(Pivot est choqué !)

- Voyons Marguerite, je ne peux pas vous laisser dire ça, il y a Sartre aussi !

- Non, répond Marguerite, parce que Sartre a toujours besoin des autres, du monde extérieur, pour écrire, tandis qu’un artiste, un écrivain, part toujours de lui. Il est sa propre source. »

J’adore cette réflexion. J’ai tendance à être dans le camp de Marguerite, même si pour ce roman je pars d’une anecdote qui m’a marqué, c’est un univers personnel que je développe et qui est sous influence de thèmes et de sujets qui résonnent en moi.

 

Les personnages bien campés, l’atmosphère d’une époque si bien rendue, les décors bien en place. N’y a-t-il pas là tout ce qu’il faut pour une adaptation au cinéma ?

 Ah oui, j’adorerais ! Moteur !

 

Comme j’aime particulièrement la cuisine interne, j’aimerais savoir combien de temps vous avez mis pour écrire ce livre ?

J’écris assez rapidement, mais c’est toujours difficile de dire ça parce que quand vous dites que vous écrivez rapidement les gens pensent que c’est bâclé, fait, comme le dit l’expression, à la va-vite. En fait, je crois que chaque auteur a un rythme qui lui est propre. J’aime être possédé par mon sujet, ne plus penser qu’à ça et à l’écriture, donc c’est souvent sur une période de deux à quatre mois. Mais auparavant, je mets six mois à y penser, à prendre des petites notes, à faire grandir le récit en moi, à trouver le bon chemin.

 

Et comment travaillez-vous ? Avec des contraintes horaires, une organisation stricte ou plutôt en fonction de l’inspiration ?

 Quand je commence à écrire je m’astreins à une discipline quotidienne quand c’est possible. C’est comme pour le piano et la guitare, pour arriver à quelque chose de bon, il faut que vous jouiez un peu tous les jours, sinon c’est foutu. Dans l’idéal je travaille bien le matin et le soir, avec la coupure de la nuit pour que les choses infusent, se mettent en place. L’après-midi je n’arrive à pas grand chose aussi je milite pour que les soirées, les sorties, les invitations à dîner, soient déplacées l’après-midi, mais ça devient des thés dansants et ce n’est pas très rock’n’roll.

Pour ce roman j’ai initié une technique qui s’est avérée probante. Un jour sur deux, je me lançais à la conquête d’un nouveau chapitre, et l’autre je relisais les chapitres écrits auparavant. J’ai avancé comme ça : pas de création tant que les chapitres précédents n’étaient pas relus et améliorés. Ça permettait de préserver une petite musique des mots, et d’être dans une cohérence tout le temps.

 

L’écriture d’un roman est-elle une activité exclusive ou écrivez-vous en parallèle des chansons, un scénario, un livre pour enfants ?

Quand j’écris un roman, un scénario, ou un livre pour enfants, j’aime être possédé par mon sujet, donc tout ce qui est sollicitation extérieure a tendance à un peu me parasiter ou me taper sur le système. Cela étant je suis si sensible aux chansons que je fais souvent une petite récréation pour me jeter dans une chanson. De toute façon, ça reste de l’écriture, et encore une fois c’est une question d’intensité, de fièvre, d’emballement, de fulgurance. Je ne suis pas un laborieux. Je me jette avec appétit dans la création et je vais vite parce que je ne prends pas de fausses pistes, je sais ce qui me plait par rapport à mon registre et à mon goût. De vingt à trente ans, j’ai peu produit parce que j’étais en colère contre moi, je trouvais que le résultat était en deçà de ce que j’avais dans le cœur, en deçà de mon intention et de mon émotion. Aujourd’hui j’évite les fausses pistes parce que j’arrive très vite à cerner ce qui me plait. Il m’arrive encore et souvent d’être insatisfait, mais j’essaie d’y remédier immédiatement et le plus sincèrement possible.

 

Écrivez-vous toujours au même endroit ? À l’ordinateur ou au stylo ?

Pas mal d’idées me viennent en marchant, une sorte d’écriture en mouvement, alors je prends des notes sur des petits carnets ou sur les Notes de mon iPhone avec l’avantage qu’elles arrivent directement sur mon ordinateur ensuite. Mais quand je commence à me lancer dans l’aventure du roman qui s’écrit, j’aime être chez moi, à mon bureau, pas loin des romans que j’aime et qui me servent de forteresse.

 

Pour conclure 37, étoiles filantes ne serait-il pas le besoin désespéré des artistes de laisser leur trace ? De conjurer le sort de votre chanson Montparnasse qui dit : 

« Personne ne voit ce qui se passe.
Dans les couloirs et les impasses
On peut s’aimer à en crever
Et partir sans laisser de trace » ?

 

Oui, mais qui peut dire qu’il va laisser sa trace ? Peut-être que des romans qui sont encensés partout aujourd’hui, personne n’y fera plus référence dans trente ans. Si vous lisez la correspondance de Flaubert, à longueur de pages il n’arrête pas de pester contre un tel ou un autre qui reçoit les faveurs des médias de l’époque alors que lui ne récolte pas autant d’éclairage qu’il souhaiterait. Aujourd’hui personne n’a lu ou se souvient des écrivains dont il parle, mais tout le monde connaît Flaubert !

Pour cette histoire de trace, dans un de mes romans : Folie furieuse, l’héroïne sort avec un chanteur à la mode qui n’arrête pas de frimer de manière insupportable en disant qu’il va laisser une trace dans le monde de la musique, alors, à un moment, excédée, mon héroïne se tourne vers lui et lui dit : « Tu veux laisser une trace derrière toi ? Comme un escargot ? »

 

Propos recueillis par Karine Papillaud

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