Vous avez aimé son livre, Ce que l'homme a cru voir (Grasset), un roman toulousain dans lequel Gautier Battistella déroule une histoire familiale dans laquelle dorment des secrets de famille bien enfouis. « Avec un sens de la construction diaboliquement addictif », selon Henri-Charles Dahlem, l’auteur réussit pleinement le pari qu’il s’était donné dans ce deuxième roman.
Les lecteurs avaient des questions à poser à Gautier Battistella, il y a répondu avec sa faconde et sa générosité habituelles
- Faire revenir Simon dans son village était nécessaire pour qu'il puisse se reconstruire mais la mort d'Antoine n'est-elle pas finalement qu'un prétexte ? Simon n'avait-il pas juste besoin d'un signe ?
La mort d’Antoine est précisément tout sauf un prétexte. Simon a besoin de ce « déclencheur », indépendant de sa volonté propre pour revenir sur les terres de son enfance. Même s’il revient à reculons, Simon hésite peu finalement - le temps d’un week-end. La mort de son ami semble le laisser indifférent (ou le croit-il) : d’abord parce qu’il rend Antoine coupable de la mort de Benjamin, ensuite parce qu’il a peur que le souvenir d’Antoine ne réanime celui de son petit frère, et par conséquent la douleur qu’il dissimule au monde (et jusqu’à sa femme), depuis vingt ans. Simon finira par dire « je », de nouveau. Sans la mort d’Antoine, rien de tout cela n’aurait été possible.
- Comment avez-vous conjuré l’angoisse du second roman ?
Je n’ai jamais vraiment connu cette angoisse. Une dizaine de projets patientent aux portes. Mon souci est justement de les canaliser pour ne pas qu’ils cannibalisent le texte sur lequel je suis en train de travailler. Et croyez-moi, ils ont tous de bons arguments à faire valoir…
- Vous avez présenté Un jeune homme prometteur comme un roman d’initiation, un thriller sur la quête de l’identité. Ne pourrait-on pas en dire de même de Ce que l’homme a cru voir ?
Absolument. J’en ai pleinement pris conscience en l’écrivant. Le premier narre la montée à Paris d’un romancier ambitieux, le second roman raconte le retour aux origines. Avec cette question centrale : qui sommes-nous, véritablement, au fond ? Est-il seulement possible d’espérer le savoir ?
- Je reviens une seconde sur la quête de l’identité. En s’éloignant de ses racines, Simon ne pressentait-il pas déjà qu’il lui faudrait revenir un jour pour boucler la boucle ?
On peut en effet supposer qu’il attendait un signe. La maladie d’Antoine en a été un, mais cela aurait pu être la mort du père, ou même un événement des plus anodins…
- Si son épouse tient un rôle discret dans le roman, n’est-elle pas celle qui la première a tout compris ?
Ce que son épouse a compris depuis le début, c’est que Simon se dissimule à lui-même. Elle a appris à l’aimer ainsi. Peut-être même l’aime-t-elle aussi un peu pour cela, pour sa part d’ombre (souvenons-nous de sa précédente et suffocante réaction). Laura occupe en vérité un rôle déterminant dans ce roman. Elle est celle qui réconcilie le père et le fils (ou qui hâte leur réconciliation). En lui avouant presque dans la même phrase qu’elle est enceinte et qu’elle désire le quitter, elle pose un ultimatum à Simon : change, ou nous disparaîtrons (« et tu disparaîtras avec nous »). Sans oublier la scène finale, au cours de laquelle elle le fait avouer…
- La question la moins originale, mais qui en l’occurrence m’intéresse beaucoup, est de connaître la part autobiographique du roman, des grands parents jusqu’à Simon ?
Tout est vrai dans ce roman, et rien ne l’est vraiment. Il est évident que je me suis inspiré de mes propres parents, et d’une histoire tragique qui m’a particulièrement touché, plus jeune… Le reste est œuvre et rêveries solitaires.
- "Pour la première fois depuis bien des années, j'ai eu une envie stupide de pleurer parce que j'ai senti combien j'étais détesté par tous ces gens-là". N’y-a-t-il pas un peu de L’Etranger de Camus dans votre roman ?
C’est très juste. J’ai souvent pensé à Meursault, en écrivant Ce que l’homme a cru voir. Deux hommes solitaires, poussés par les événements, comme un vent irrésistible dans le dos. Condamnés par la rumeur. Tous les deux fuiront, chacun à leur manière…
- Comme j’aime particulièrement la cuisine interne, j’aimerais savoir où vous avez écrit ce roman et en combien de temps ? Et comment travaillez-vous ? Avec des contraintes horaires, une organisation stricte ou plutôt en fonction de l’inspiration ?
Je l’ai écrit en deux ans. J’écris en permanence, quand je le peux. Dans le métro, à table, dans mon lit. J’écris en marchant. J’écris en respirant. Cela peut paraître orgueilleux : je n’ai jamais eu de problème d’inspiration. Je suis assailli par les idées. C’est d’ailleurs parfois épuisant de les tenir en laisse.
- Et pour conclure, avez-vous déjà imaginé la prochaine variation sur la quête d’identité ? Je me suis par exemple demandé si Gregor Reijik ne méritait pas un roman pour lui tout seul…
Voilà une excellente idée ; j’aime beaucoup le personnage de Gregor. Il faudra que je m’en souvienne quand je serai devenu un vieil auteur, et que j’aurais mâché jusqu’à la couenne les derniers lambeaux de mon inspiration…
Propos recueillis par Karine Papillaud avec les questions d’Hélène DEBOISSY et Henri-Charles Dahlem.
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