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Colombey-les-Deux-Eglises avant De Gaulle ? Un Saint-Germain-des-Prés international en Haute-Marne !

Pour son premier livre, la journaliste Aurélie Chenot signe un formidable récit

Colombey-les-Deux-Eglises avant De Gaulle ? Un Saint-Germain-des-Prés international en Haute-Marne !

« Nous avons besoin de nouveaux mots, de nouvelles abstractions, de nouveaux hiéroglyphes, de nouveau symboles, de nouveaux mythes ». Ce n’est pas une phrase de l’écrivain contemporain Laurent Nunez (auteur d’ Il nous faudrait des mots nouveaux, ed. du Cerf), mais d’Eugène Jolas, un journaliste et poète franco-américano-allemand, qui, en 1927, créait avec sa compagne une revue totalement révolutionnaire à Colombey-les-Deux-Eglises.

On l’ignorait, mais La Boisserie a été l’état-major d’une révolution littéraire, après avoir été le petit pavillon où Clémenceau venait chasser au début du siècle. C’était juste avant que les De Gaulle ne fasse l’acquisition de ce manoir en 1934, confisqué par Vichy en 1940. Quelle drôle d’histoire pour cette grande bâtisse alors un peu vétuste et discrète.

Si Jolas et De Gaulle ont été les hérauts de formidables épopées, celle de Jolas a plutôt marqué l’élan d'une internationale de la poésie et de la langue. C’est l’objet de l’histoire racontée par la journaliste Aurélie Chénot, Colombey est une fête (ed Inculte), titre malicieusement ajusté sur celui du livre autobiographique d’Hemingway. Eugène Jolas se sent tout autant américain, puisqu’il est né aux Etats-Unis, que français et allemand, ses origines, et ne renoncera jamais à ses trois langues. Avec sa femme, il crée, depuis Colombey, la formidable revue Transition en 1927, point de jonction du bouillonnement intellectuel européen et américain dans les années les plus fertiles du XXe siècle. « Pour Jolas, Transition n’est pas seulement un atelier, mais une sorte de journalisme supérieur : une tentative de rendre compte des principaux mouvements intellectuels européens au monde anglophone et, à l’inverse, de présenter le travail d’écrivains anglophones en Europe », explique Aurélie Chénot. Gertrude Stein, Hemingway, la féministe Kay Boyle, mais aussi l’expressionniste allemand Sternheim, le suédois Söderberg contribueront à la revue, où l’on retrouve aussi les signatures d’Eluard, Jouhandeau, Desnos, Gide, des poèmes de Trakl, des reproductions de Picasso, Ernst, Arp… Jusqu’à y croiser Beckett et Kafka un peu plus tard. Et puis surtout Joyce, dont l’amitié avec Eugène Jolas dans ce livre dessine avec pudeur les contours de l’intrigant auteur de Finnegans Wake.

 

Les Jolas seront restés deux ans dans cette maison rudimentaire et austère, pour y créer une avant-garde de la cause littéraire sans égale au XXe siècle. Mais l’Europe qui se crispe bientôt aura raison de cette revue apolitique et néoromantique d’un « modernisme nocturne », bientôt trop décalée dans une actualité qui se précipite à la fin des années 30. L’idéologie a tué le langage que Jolas voulait tant libérer.

On se dit que l’auteur, Aurélie Chénot, aurait pu se trouver coincée entre la démarche, journalistique, scrupuleuse qui l’a conduite à raconter cette histoire, et l’élan d’une langue romanesque, dans l’enthousiasme et l’attachement à ses personnages qui ont existé. Elle avait la rude tâche de saisir à la fois un parcours, une époque, restituer fidèlement des existences et des projets, mais aussi entraîner son lecteur dans ce qu’on appelle la littérature du réel. Elle y parvient dans ce récit avec modestie et beaucoup de charme. Le lecteur est happé par Colombey est une fête, sans mélange.

 

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