"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Longuement mûri, Walden est le chef-d'oeuvre littéraire de Thoreau. Ses références littéraires, ses images, ses injonctions à vivre de façon plus libre et anticonformiste, ses magnifiques pages de descriptions de la nature sauvage ainsi que ses exercices d'introspection en font une oeuvre singulière, qui garde aujourd'hui intacte toute sa portée subversive. Considéré comme l'ouvrage fondateur du genre littéraire nature writing, apprécié par des générations d'écrivains américains, à commencer par certains des représentants de la Beat Generation, Walden est aussi à la source de la réflexion écologiste sur l'utilisation des ressources et la préservation des espaces sauvages. La traduction de référence de Brice Matthieussent est enfin disponible en format poche.
Introduction Jim Harrison
« Cherchons-nous toujours à obtenir davantage (…) sans jamais nous contenter de moins ? »
A l’époque où les États-Unis, en pleine expansion industrielle, traversent une de ses premières grandes crises financières, Thoreau est un des premiers écrivains américains « techno-critique », s’interrogeant sur le besoin réel et la place des techniques dans la société, le risque d’un épuisement des ressources naturelles, les liens distendus entre l’Homme et la nature par trop d’heures de travail obligé et l’achat d’objets inutiles, les conditions de travail fabriquant des pauvres, esclaves de leurs nouveaux biens, (au-delà de posséder une maison, c’est la maison qui vous possède et vous appauvrit). Thoreau fustige l’esprit business et les progrès industriels à outrance.
« Pourquoi devrions-nous vivre dans une telle hâte en gaspillant nos vies ? »
Il va volontairement s’isoler dans les bois au bord de l’étang Walden et écrire le journal de son expérience, celle d’une immersion totale dans la nature pendant un peu plus de deux ans avant de retourner à la civilisation.
Il va bâtir une cabane en planches sur plots au-dessus d’une cave creusée sur sept pieds de profondeur où il entreposera ses pommes de terre et où durant l’hiver, quelque couple de taupes y nichera à l’abri du froid. Toujours avec du matériau de récupération, il construisit une cheminée au feu de bois et à l’arrière de l’habitation, un abri pour les bûches. Les murs sont faits de planches, pierres et sable. La chaux sera faite à partir de coquillages écrasés ramassés près d’une rivière.
Il prouvera qu’on peut très bien vivre en autosuffisance dans la nature avec un seul vêtement solide, chaud, confortable et utile (il fustige la mode et la déco), l’achat de quelques haricots secs, de la farine de maïs pour la bouillie, les galettes et le pain, ce, avec l’argent gagné à la cueillette des myrtilles une fois de temps en temps (il fustige le travail obligatoire pour un salaire ce qui ruine l’être humain). Pour le reste de la nourriture, il cultive son jardin et pêche.
Il fustige ‘le télégraphe magnétique’ précurseur du téléphone, et aussi le train originalement prévu pour le transport des marchandises et qui étend son service en embarquant des voyageurs. Il prédit le déclin de ce business (ce qui par ailleurs, se révèle exact de nos jours et soulève de nombreux débats encore très récemment), dénonce son enjeux politique par le contrôle des territoires et des populations, et le gouffre financier en investissements.
C’est ce rôle de lanceur d’alertes avant-gardiste qui probablement a fait le succès de ce livre qui, malgré une toute nouvelle traduction, reste toutefois aride à lire. Le regard de cet homme individualiste est critique sur ses congénères, voire suffisant, et le ton est professoral et catégorique.
Une bonne première moitié du livre dénonce le consumérisme et fait état de ses raisonnements parfois simples sinon naïfs, (voire tiré par les cheveux… A quoi sert le téléphone puisqu’une sourde ne peut entendre la déclaration d’amour d’un de ses soupirants…) Ses arguments et nombre de critiques sur le matérialisme et sa surconsommation, sont surexposés dans des justifications sans fin dans le but de prouver absolument qu’il a raison. Thoreau veut convaincre le lecteur à tel point que le livre finit par très vite peser…
Pourtant, à plus d’un siècle et demi de distance, cette remise en question face à ce qu’engendrent les nouvelles technologies en terme de coût, de pollution, de misère de masse et surtout de destruction naturelle de la planète, de dégradation de nos ressources essentielles, la montée des inégalités sociales de plus en plus évidentes, l’extinction d’espèces animales, la modification climatique des plus inquiétante, résonne fort dans notre société actuelle et nous oblige à repenser notre modernité où il va nous falloir trouver un compromis entre le progrès et nos besoins vitaux…
Le plus grand voyage qui soit est en nous-même et c’est ce que propose Thoreau : ma fondation, ma nourriture, mes goûts ; pourquoi suis-je fait ? – mes dons-, mon essentiel ? Explore-toi toi-même où que tu sois, où que tu ailles. Et cela est le véritable, le plus beau et le plus grand des voyages…
« Si les hommes vivaient aussi simplement que moi (…) les vols et cambriolages nous seraient inconnus (…), délits dans les communautés où certains possèdent plus qu’il n’est suffisant quand les autres n’ont pas assez. »
Le ton de la deuxième partie du livre est moins pontifiant. Il relate son quotidien ce qui m’a été plus plaisant à lire. Les saisons, les bois, les fermes alentours, les quelques visiteurs, la végétation, l’observation des animaux, sa connaissance des oiseaux, son jardin, ses promenades et bien sur l’étang Walden un lieu magnifique à une trentaine de kilomètres de Concord près de Boston et surtout d’une pureté rare.
Il consacre un chapitre à ses lectures, bannit les lectures faciles, encourage aux classiques, « seuls oracles à n’avoir jamais vieilli, et ils contiennent des réponses aux questions les plus modernes » et prône Homère, Eschyle, Virgile et les grands poètes.
Il invective l’État sur le manque d’économie octroyé à l’école et la culture. Il revendique la continuation des études pour tous après la communale pour ne pas interrompre l’éducation.
Nous nourrir intellectuellement est aussi important que nous alimenter ou nous soigner. « Ce village a dépensé 7000 dollars pour une mairie, grâce aux fortunes ou à la politique, mais en un siècle il ne dépensera sans doute pas autant pour l’esprit vivant, la vraie chair à mettre dans cette coquille. » ;
« Et s’il le faut, renonçons à un pont enjambant la rivière, acceptons de faire un petit détour, et lançons au moins une arche au-dessus de l’abîme d’ignorance crasse qui nous entoure. »
Au passage, il donne un bon coup de griffe au monde de l’édition commerciale : « Pourquoi laisser Harper & Brothers ou Redding & Cie, choisir nos lectures à notre place ? »
Actuellement, grâce à la réflexion écologiste de Thoreau avant l’heure, le lac de Walden (un étang en fait), est un site naturel protégé. Nombreuses grandes fortunes (beaucoup d’artistes entre autres) contribuent à son entretien et viennent s’interposer à toutes constructions ou pollutions d’aucunes sortes sinon les visites touristiques à la cabane de l’auteur, toujours présente depuis 1845.
Thoreau était professeur. A Walden, il joue au pionnier sans titre de propriété mais la parcelle lui avait été prêtée par son ami Ralph Waldo Emerson en échange d’un peu de débroussaillage. Ce même ami dit l’avoir connu célibataire toute sa vie, ne jamais l’avoir vu boire d’alcool ni fumer et ni chasser ni manger de viande.
Le lieu l’a inspiré à écrire de belles descriptions paysagères et l’a entrainé dans des pensées philosophiques d’une grande sérénité en proposant une refonte de nos façons de vivre proche des philosophies bouddhistes souvent citées.
Il n’a jamais voté, n’est jamais allé à la messe, a refusé de payer l’impôt. Il a voulu montrer à l’État capitaliste la misère du pays après avoir rencontré à Walden des laissés-pour-compte qui ont travaillé sur la ligne ferroviaire qu'il pouvait voir et entendre de sa cabane, tels des Indiens, des travailleurs immigrés irlandais, des esclaves, mais aussi des ouvriers agricoles avec leurs enfants vivant dans des fermettes proches de masures et pieds et poings liés dans une misère crasse.
Il a connu quelques mois de prison pour s’être battu ouvertement pour l’abolition de l’esclavagisme juste après la guerre entre le Mexique et les USA.
Le livre en lui-même n’est pas une lecture difficile mais pas très agréable à lire non plus, sinon de belles pages quand il est admiratif et sensible à l’intimité de son environnement.
Néanmoins c’est le témoignage intéressant et courageux d’un homme de conviction visionnaire qui interroge et continue de nous interpeler de façon surprenante, 175 ans après…
Une belle personne dotée d’une intelligence du cœur qui voyait loin et assez juste...
« Si nous voulons guérir réellement l’Humanité (…) montrons-nous avant tout nous-mêmes aussi sains et simples que la nature. »
« (…) mettons-nous à faire le bien (…) je dirai plutôt : efforcez-vous d’être bon. »
Pleine nature et réflexion !
J'ai pensé un moment que ce roman aurait dû s'appeller "Journal de bord pour Diogéne en devenir " .On est clairement dans la réflexion sur notre rapport à la nature et également à notre nature profonde. Je n'ai pas toujours accroché au contenu des réflexions philosophiques puisque vivant déjà dans un coin assez reculé qu'on pourrait qualifier de "trou perdu " (pour rester poli ) j'avais déjà ressenti un peu les impressions décrites de notre rapport au consumérisme et à la société actuelle .Cependant cela reste un très bel hommage à ce que devrait le but de tout un chacun : une rencontre avec soi même.
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