"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
A la morte saison, dans l'enceinte désertée d'un cirque à Vladivostok, un trio à la barre russe s'entraîne. Nino pourrait être le fils d'Anton, à eux deux, ils font voler Anna dans les airs. Ils se préparent au concours international de Oulan-Oude, visent le quadruple triple saut périlleux sans descendre de la barre. Si Anna ne fait pas confiance aux porteurs, elle tombe et ne se relève plus.
Dans ce troisième roman d'Elisa Dusapin, le lecteur retrouve son art du silence, de la tension et de la douceur. Son sens puissant de l'image nous rend le monde plus perceptible, plus proche sans pour autant en trahir le secret.
Les acrobates Anton, Nino et Anna préparent un numéro de barre russe pour le concours international de cirque d’Oulan-Oude, en Sibérie orientale. La narratrice Nathalie, une jeune costumière française, les rejoint à Vladivostok où, pendant deux mois, elle assiste à leur entraînement, dans l’enceinte d’un cirque déserté entre deux saisons. A l’approche de la compétition, tous se rendent en plusieurs jours de train jusqu’au lieu de la rencontre…
Il ne se passe pas grand-chose dans cette histoire qui pourrait presque, à première vue, laisser la frustration d’un goût de trop peu. C’est que tout le talent d’Elisa Shua Dusapin se retrouve ici contenu dans la suggestion et le non-dit, dans la saisie d’impressions fugaces où l’essentiel se laisse deviner sans jamais se dévoiler. Nathalie, dans un moment suspendu de sa vie, une parenthèse dépaysante qui exacerbe sa sensibilité aux mille détails d’un environnement qui la désarçonne, se retrouve observatrice, comme au travers de la déchirure momentanée d’un rideau, de l’envers du décor circassien, en compagnie de personnages endurcis qui ont appris à cacher soigneusement leurs failles. Obstinément tendus vers la perfection d’un art auquel ils ont tout sacrifié et pour lequel ils acceptent de risquer quotidiennement leur vie, Anton, Nino et Anna masquent sous leur fierté brusque et taciturne, sous leurs costumes de lumière et sous leurs sourires de parade, les drames, la douleur et la peur qu’ils taisent au fond de leur chair et de leur âme.
Renforcé par le lugubre délabrement du vieux bâtiment, tout droit sorti de l’époque soviétique, qui les héberge, et par les dures conditions climatiques de l’hiver sibérien qu’ils traversent interminablement en train, un parfum de tristesse et de nostalgie imprègne le texte. L’on est frappé de l’impitoyable contraste entre, d’un côté, la vie sombre, précaire et spartiate, et de l’autre, la brillante renommée, de ces athlètes au sommet de leur art. Et l’on reste le coeur serré face à l’indéfectible solitude d’êtres qu’une discipline de fer a, depuis le plus jeune âge, contraints d’oublier leurs sentiments et leurs fragilités.
Ce troisième roman de l’auteur n’a sans doute pas le pouvoir de séduction immédiat des deux précédents. Mais il distille un charme qui, pour être plus discret, n’en cesse pas moins de vous imprégner bien après la dernière page. Surtout, il vous laisse impressionné par l’extraordinaire puissance de suggestion qui investit ses mots.
Elisa Shua Dusapin nous entraîne dans l’Extrême-Orient russe pour son troisième roman, dans les pas d’une jeune femme chargée de réaliser les costumes des acrobates du «Vladivostok Circus» qui vont jouer leur vie. Haletant!
Vous avez sans doute vous-mêmes déjà constaté la chose. Lorsque vous arrivez dans un endroit inconnu ou que vous rejoignez une nouvelle affectation, vous vous rendez compte de détails auxquels les autochtones ne prêtent plus attention, vous découvrez des faits qui vous intriguent, alors qu’ils semblent parfaitement acceptés par tout le monde. Depuis son premier roman, Hiver à Sokcho, Elisa Shua Dusapin joue à la perfection ce rôle d’observatrice hypersensible, capable d’une phrase de rendre une atmosphère, de décrire l’originalité d’un lieu. Après la Corée du Sud et le Japon, la voilà qui se rapproche un tout petit peu de l’Europe en situant son troisième roman à Vladivostok.
C’est dans ce grand port de l’Extrême-Orient russe que débarque la narratrice. Elle s’est vue confier une mission de courte durée, réaliser des costumes pour les acrobates du Vladivostok Circus. Ces derniers se préparent au concours international d’Oulan-Oude, qui peut leur assurer une carrière internationale. À son arrivée, seules quelques représentations sont encore programmées avant la trêve hivernale. L’occasion de découvrir la prestation d’Anna, Anton et Nino, très spectaculaire: «Le numéro à la barre russe ouvre le second acte. Je reconnais les porteurs que j’ai vus sur mon téléphone. Anton et Nino. Ils entrent en habit de corsaire. Anna dans une robe déchirée. La captive qui cherche à se libérer. Ils alternent entre figures sur la barre et pas chorégraphiés au sol. L’ensemble est en décalage avec l’orchestre. Je ne comprends pas si la musique accélère ou s’ils sont trop lents. Anna semble devoir précipiter ses sauts pour garder le tempo. J’en suis mal à l’aise.»
Au fil des jours, et alors que le cirque est déserté, cette tension va croître, car plus la couturière va pénétrer dans l’intimité du trio et plus elle va se rendre compte des enjeux de ces répétitions. En fait, c’est leur vie qu’ils jouent. S’ils veulent être les premiers à réaliser quatre triples sauts périlleux sans descendre de la barre, ils veulent surtout assurer la pérennité d’une équipe qui ne tient plus qu’à un fil. Car Nino est âgé et ses problèmes physiques le handicapent, Anton rêve d’ailleurs et Anna est ballotée entre ses deux porteurs.
À travers le regard de la narratrice, mais aussi celui de Léon, le régisseur, le lecteur découvre ce qui se joue vraiment au fil des répétitions et de l’approche de la compétition. Un temps qui s’écoule aussi pour la narratrice, qui doit s’assurer que les costumes seront prêts en temps et en heure.
Elisa Shua Dusapin réussit admirablement à rendre cette atmosphère et le poids des responsabilités qui pèsent sur chacun des protagonistes. À l’image de ces sauts qui réclament une parfaite concentration, une synchronisation attentive des gestes, on se rend compte qu’il suffit d’une faille pour que plus rien ne tienne, pour que tout s’effondre. L’épilogue se jouera du côté d’Oulan-Oude. Il vous surprendra. Gardez toutefois en mémoire cette remarque faite à la narratrice lorsqu’elle est initiée à l’acrobatie. Ce pourrait être l’une des clés de ce récit sensible et fort: «Un bébé apprend plus vite à rester debout qu’un adulte à lâcher prise.»
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