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Jungle au vert intense, fleuve boueux et langueur tropicale : nous sommes dans la ville de San Cristobál en 1993. Là, le pittoresque côtoie la noirceur, comme le découvre notre narrateur : jeune fonctionnaire aux affaires sociales, il doit y mettre en place un programme d'intégration des communautés indigènes de la région. Très vite, la torpeur locale est perturbée par l'arrivée d'enfants, inconnus et presque sauvages, qui pillent les rues. Mais d'où sortent tous ces enfants ? Quelle est cette langue qu'ils parlent et qui n'appartient qu'à eux ? D'abord étonnante et vaguement inquiétante, leur présence aura des conséquences tragiques. Vingt ans plus tard, l'ancien fonctionnaire se souvient et revient sur la succession d'événements ayant conduit au drame.
Dans une échappée à l'ordre établi par les adultes, Andrés Barba nous invite à redéfinir notre idée même de l'enfance avec cette grande fable qui nous hantera longtemps.
En 1993, dans une ville en bordure d’une jungle sud-américaine et d’un fleuve boueux de 4 kilomètres de large, la torpeur tropicale est troublée par l’apparition d’une trentaine d’enfants, âgés de 9 à 13 ans. Qui sont-ils, d’où viennent-ils, quelles sont leurs intentions ? Leur arrivée au compte-goutte passe d’abord relativement inaperçue, juste quelques mendiants de plus aux carrefours. Mais peu à peu, la cohésion de leur groupe, sans hiérarchie claire, interpelle les habitants, qui ne tardent pas à s’apercevoir que ces enfants parlent un langage incompréhensible. Après l’étonnement vient l’inquiétude, en même temps que les premiers pillages et agressions, avant le choc de la tragédie. Car on sait dès le départ que cela finira mal, la première phrase du roman indiquant que les 32 enfants vont mourir.
Le narrateur de cette catastrophe annoncée est un fonctionnaire des services sociaux de la ville, qui nous raconte, 20 ans après, le fil des événements. Jeune bureaucrate à l’époque, aux premières loges du drame de par son travail, il revient non seulement sur les faits eux-mêmes, mais aussi sur les interprétations et les théorisations qui en ont été faites, sur le ressenti des différents protagonistes (y compris le sien), sur la gestion politique des événements et le battage médiatique qui les a entourés, sur le traumatisme durable qu’ils ont créé dans la région. Il s’interroge aussi sur le trouble et le malaise provoqués par l’apparition soudaine de ces enfants sauvages, qui ne correspondent pas à l’image de l’innocence qu’on associe généralement à l’enfance, sur l’influence qu’ils ont pu avoir sur les enfants de la ville et sur le regard que les adultes portent désormais sur eux.
Tendu inconfortablement entre innocence et perversité, entre civilisation et état de nature, « Une république lumineuse » est l’histoire d’une tentative vaine et tragique de sécession d’un groupe d’enfants qui refusent d’entrer dans le monde des adultes, créant une sorte de communauté instinctive, pour le pire plutôt que pour le meilleur, dès lors que la confrontation de ces deux conceptions de la vie est inévitable.
Pioché presque au hasard (mais y a-t-il un hasard?) sur une table de librairie, cette fable cruelle et émouvante est une très belle découverte. Porté par une écriture puissante et remarquable, ce texte, entre chaos originel et ordre établi, interroge sur l’enfance et ses symboles.
Un très bon livre !
L’enfant est-il innocent par nature ? Voilà le dilemme auquel est confrontée la petite ville de San Cristobál où trente-deux gamins ont saccagé un supermarché, tuant deux grandes personnes par la même occasion. Répondre oui, c’est semer le trouble dans les consciences, remettre en question le principe de l’éducation qui voit dans l’enfant un être pur à modeler. Répondre non, c’est en faire des adultes, s’autoriser les pires extrémités et perdre ainsi son humanité. Ignorant la réponse, les protagonistes de cette histoire sont incapables d’imaginer la réaction la mieux adaptée. Avec cette tragédie, Andrés Barba revisite l’affrontement nature-culture, convoque en ordre dispersé Rousseau, Voltaire et tous ceux (Golding, Defoe, Tournier, Kipling, Burroughs) qui se sont demandé ce que l’homme deviendrait s’il n’était pas élevé par ses semblables, sans repères, livré à lui-même, n’ayant pour référent qu’un environnement vierge de civilisation. Andrés Barba interroge aussi : « l’homme a humanisé systématiquement ce qu’il ne pouvait pas comprendre, des planètes jusqu’aux atomes ».
Tout aussi intéressants, les états d’âme du narrateur, le jeune fonctionnaire qui se retrouve en première ligne. La chienne errante qu’il manque d’écraser au début du roman, la fille de sa compagne qui se dérobe à son empathie, le monstre invisible de ses peurs et de ses fantasmes… tout le ramène au perturbant mystère de ces gosses indomptés, si déterminés dans leur désir de liberté qu’ils ébaucheront leur propre société (avec sa langue et ses codes).
À lire d’urgence. Une fois de plus, le salut du roman vient de l’étranger.
Bilan :
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