Intemporelle, éclectique, de nouveaux titres à découvrir ou de grands classiques à relire
«Les barrages de la mère dans la plaine, c'était le grand malheur et la grande rigolade à la fois, ça dépendait des jours. C'était la grande rigolade du grand malheur. C'était terrible et c'était marrant. Ça dépendait de quel côté on se plaçait, du côté de la mer qui les avait fichus en l'air, ces barrages, d'un seul coup d'un seul, du côté des crabes qui en avaient fait des passoires, ou au contraire, du côté de ceux qui avaient mis six mois à les construire dans l'oubli total des méfaits pourtant certains de la mer et des crabes. Ce qui était étonnant c'était qu'ils avaient été deux cents à oublier ça en se mettant au travail.»
Intemporelle, éclectique, de nouveaux titres à découvrir ou de grands classiques à relire
Je ne pensais pas lire un Marguerite Duras un jour. Un stupide préjugé venu de je ne sais où me faisait imaginer une écriture trop académique ,trop intello et trop destinée aux femmes, pour moi. Pas du tout ! J'ai pris un vrai plaisir à lire ce roman qui révèle un réel style comme seuls les grands auteurs peuvent en développer. Duras est donc bien un grand auteur. C'était déjà établit mais je peux maintenant le confirmer.
Son écriture paraît maladroite mais ne l'est que pour nous retranscrire la maladresse d'expression et de raisonnement de Suzanne et Joseph qui grandirent presque sans éducation.
Ce qui est remarquable c'est que les personnages principaux, la mère et ses deux enfants, ne sont pas du tout sympathique. Ils sont méchants, ignobles, amoraux et veinaux. Mais leur misère, leur manque d'éducation, leur isolement, la folie de la mère qui s'explique par les épreuves injustes qu'on lui a imposées et auxquelles elle s'accroche, car c'est tout ce qu'elle a, tout ça fait qu'on ne leur en veut pas vraiment. On les comprend et on les plains.
Marguerite Duras a su nous faire entrer dans l'état d'esprit de ces personnages par son seul talent d'écriture. Le récit n'est pas complètement linéaire chronologiquement : ça reflète la confusion qui règne dans leur esprit. Il y a de nombreuses répétitions et redondances dans le texte : ça reflète l'obstination, les idées fixes et obsessives de ces personnages.
Il n'y a qu'une écriture unique et créative comme celle de Duras qui peut faire ressortir tout ça.
Il y a un autre aspect qui m'a convaincu du talent de l'auteur, c'est qu'elle arrive à faire raisonner et réagir ses personnages masculins réellement comme des hommes. Elle a intégré l'état d'esprit masculin et a su le restituer comme seul un homme peut le faire. En tout cas c'est la seule écrivaine que j'aie lu qui y arrive. Toutes les autres auteurs féminines que j'ai eu entre les mains écrivent comme des femmes et leurs personnages masculins sonnent faux. Ils ont toujours trop de féminité, non pas que ce soit le personnage qui veut ça, mais du fait que l'autrice n'arrive pas à se dépouiller de sa propre féminité pour animer un personnage masculin.
Voilà mon avis. Je suis content d'avoir pu juger par moi même du grand talent de cet auteur dont je connaissais bien sûr la renommée mais que je n'avais jamais lu ni étudié au lycée par exemple. Je me suis donc fait mon opinion sans influence et c'est assez rare.
Le rêve colonial virant au cauchemar
Un barrage contre le pacifique, un des premiers romans de Marguerite Duras, est d’inspiration autobiographique. Elle le publie durant la guerre d’Indochine, décrivant par la fiction son enfance coloniale dans les années 1920.
Une femme, ancienne institutrice du Nord de la France, usée par la vie et les privations, économise de longues années pour se voir attribuer une concession par l’administration coloniale indochinoise. Veuve, elle y fait construire un bungalow pour y vivre avec ses deux enfants, Joseph et Suzanne. Cette terre se révèle rapidement incultivable, les grandes marées venant détruire toute plantation. Ses tentatives avortées de barrage contre cette Mer de Chine, les désillusions de l’administration coloniale corrompue, l’extrême pauvreté dans laquelle sombre la famille, les envies de fuite de ses enfants, vont amener cette femme vers la névrose.
Marguerite Duras nous propose ici des personnages courageux, d’une grande honnêteté parfois naïve, souvent léthargiques. Chacun possède sa destinée qui lui est propre et lutte à sa manière contre l’injustice. Le monde colonial y est dépeint dans ce qu’il a de plus cruel, la corruption honteuse du gouvernement colonial créant une hiérarchie entre colons, mais aussi la cruauté envers les autochtones que l’on laisse mourir de faim.
Le barrage contre le Pacifique est le symbole de leur impuissance, et de la vanité de leurs efforts pour sortir de leur condition, mirage pouvant mener à la folie. Le style de Marguerite Duras est engagé, et les quelques longueurs ne font que renforcer ce sentiment amer d’injustice chez le lecteur. C’était ma première rencontre avec Marguerite Duras, et certainement pas la dernière.
un diamant en échange et l’homme au bout de vouloir le corps fille
le dégoût s’étale face marchandise la chair monnaie
une mère en proie
palpite
un frère d’ailleurs rêve
et si une voiture de chasseur?
ici l’humidité les bananiers trempé au sel
le Pacifique englouti les récoltes
les enfants meurent de tout avant de faim
l’époque coloniale de blanc s’habille et marque la supériorité
une mère dévore et la nuit construit des barrages contre océan
la plaine grouille de petits cadavres sous rizière et la vie d’espoir distille encore
au bout la défaite
inévitable
et le départ pour l’ailleurs
Elle a tout donné, la mère. Sa jeunesse. Ses espoirs. Ses économies. Quinze ans d'économie. Elle a tout donné pour une parcelle de terre, là-bas, en Indochine.
Inexploitable.
Chaque saison, la mer de Chine recouvre tout.
L'océan Pacifique, elle dit, la mère. L'océan parce qu'il faut bien ça, cet adversaire-là, pour avoir raison de son obstination.
Sysiphe transplanté en Indochine, elle va s'acharner, construire des barrages qui céderont. S'endetter. Vendre tout ce qu'elle a. Ou tenter. Jusqu'à sa fille...
M.Jo, hériter d'une fortune colossale, s'éprend de la jolie jeune fille. Qui va s'employer, entre cruauté et dégoût, à le manipuler. Elle-même conditionnée par une mère et un frère aîné qui la poussent, puis la repoussent. L'encouragent dans leur dessein de fortune, puis la maltraitent. Lui reprochent tantôt de s'offrir comme une traînée, tantôt de ne pas offrir assez.
Le rapport de Duras à son passé, à ses racines, impossibles à trancher. Ses premières années en Indochine, sa mère victime d'une arnaque, de plus en plus aigrie, de moins en moins capable de renoncer. Et ce frère tout en violence retenue. Une flamme vive, qui les attire l'une et l'autre. Les maintient ensemble. Sans lui, plus rien.
Comme d'habitude, d'une précision chirurgicale dans les intentions. Dans les émotions. Elle dépose, telle heure, tel jour. Et vous entendez telle douleur, tel cri.
D'une sensualité exacerbée.
Duras.
C'est comme ça qu'on devrait décrire ses livres. Ne rien ajouter.
Duras.
Un barrage contre le Pacifique n'a rien d'une petite histoire.
L'ironie est féroce quand Marguerite DURAS décrit la vie dans les colonies françaises d'Indochine, l'exploitation des Agents français du Cadastre qui ruinent leurs concitoyens pour s'en mettre plein les poches, avec une mauvaise foi qui ajoute l'humiliation et la pauvreté. La justice n'existe pas, ni la fraternité : les classes sociales sont comme des castes, même entre blancs (ceux des hauts quartiers et les autres). Elle décrit aussi le peuple, ces enfants qui jouent et qui demain mourront d'une façon terrible partagés entre mourir de faim ou mourir dévoré par les vers (des belles mangues vertes) ; l'exploitation physique des travailleurs et l'exploitation sexuelle de leur femme. Tout est organisé, tout est su, rien n'est contré.
Cette mère qui oscille entre lucidité et folie, ce frère ainé fou et dangereux, cet amant qu'elle fait tourner en bourrique, se défendant de l'aimer, et dont elle écrira leur amour bien plus tard. Ici, elle ne peut pas encore. Comme si son échec avec lui à se faire épouser, était l'échec familial, comme une filiation (sa mère en échec, son frère tout autant).
Cette injonction tacite de trouver un homme pour sauver la famille, parce que plus personne ne croit en l'amour autour d'elle. Ce marchandage des corps, des promesses, rien n'est un jeu car il n'y a pas de plaisir, non. Tout est plutôt faux-semblants et mensonges. Jusqu'à ce diamant qu'elle choisit parmi 3 propositions et qui contient un défaut : au lieu de les sauver, il les expose encore plus à l'humiliation. Elle ne le dit pas ouvertement mais si elle en avait choisi un autre, tout aurait-il été différent ?
C'est un beau roman écrit avec vivacité entre une oralité, une sensitivité et une maitrise des mots. C'est une histoire cruelle aussi. Les princes charmants n'existent pas, les gentilles mamans n'ont plus, il n'y a pas besoin d'un chasseur extérieur quand il y en a déjà un dans sa famille (son frère littéralement et symboliquement), et personne ne viendra sauver personne.
Un barrage contre le Pacifique, c’est l’histoire d’un vain travail herculéen, d’un châtiment digne de Sisyphe, le prix à payer pour un trop-plein de rêves et d’espoirs, pour un trop-peu d’argent qui, bien placé, aurait permis la fortune. C’est l’histoire d’une obstination et d’une défaite, celle de la mère, ancienne institutrice du nord de la France, attirée par les sirènes exotiques de la colonisation, qui tente avec son mari l’aventure indochinoise dans les années 20-30. Quinze ans d’économies investies dans l’acquisition d’une concession au bord de la mer de Chine. Investis, engloutis et perdus à jamais, car faute de pot-de-vin, l’administration leur a octroyé une parcelle stérile, noyée par l’eau salée à chaque mousson. Bientôt le mari meurt, laissant la mère seule au monde avec deux grands adolescents, Joseph et Suzanne.
Le récit commence peu après la tentative insensée (et avortée) de la mère de construire une digue pour protéger son lopin de la montée des eaux. La famille est désormais dans une misère noire, suant la rancœur et le découragement dans cette ambiance suffocante infestée de moustiques. Il n’y a rien à faire, sauf attendre, le passage d’une belle femme dans sa belle auto, par hasard sur la piste déserte, qui emmènerait Joseph très loin, ou celui d’un homme riche, par hasard, qui voudrait épouser Suzanne. L’espoir renaît quand un jeune homme de bonne famille convoite Suzanne, mais on comprend bien vite que pour la jeune femme il ne sera pas question de sentiments, uniquement d’argent (qui a dit qu’il ne faisait pas le bonheur?), même s’il lui reste un peu de moralité qui la retient de se vendre totalement à lui.
Il ne se passe pas grand-chose dans ce roman (largement inspiré de l’histoire familiale de Duras) et on finit par ressentir ce qu’éprouvent les personnages : un mélange d’étouffement, d’agacement, d’apathie et d’impatience que quelque chose change. Peu de péripéties et beaucoup d’attente, ce qui n’empêche pas le texte d’être riche et complexe. Les thèmes sont nombreux : la corruption jusqu’à la moelle de l’administration coloniale (“un barrage contre le Pacifique c’est encore plus facile à faire tenir qu’à essayer de dénoncer votre ignominie”), la misère des colonisés et celle des colons trop pauvres ou pas assez audacieux pour se lancer dans la contrebande, l’injustice, les illusions perdues, le désespoir qui mène au bord de la folie (“Elle avait aimé démesurément la vie et c’était son espérance infatigable, incurable, qui en avait fait ce qu’elle était devenue, une désespérée de l’espoir même“). Une histoire d’envies d’ailleurs (la mère quittant la France, les jeunes rêvant de quitter la concession) et d’émancipation : il y a une sorte de fusion entre la mère et ses enfants, entre le frère et la sœur, telle qu’on se demande si, quand, comment ils vont devenir adultes, ou pas.
L’écriture est simple, fluide, et si les personnages n’ont rien de sympathique, on en vient à avoir pitié d’eux. Il n’est pas anodin que “la mère” n’ait pas de prénom, comme si le malheur et l’administration l’avaient déshumanisée. Alors c’est peut-être là que subsiste un brin d’espoir dans ce roman sombre, violent et désespérant : dans le fait que ses enfants aient un prénom.
Une écriture unique qui créée l'atmosphère si particulière aux œuvres incontournables. Un roman qui nous livre la misère d'une femme bernée par le colonialisme qui s'entête dans sa guérilla contre le système et contre le Pacifique, entraînant avec elle ses deux enfants. Mais cette lutte contre l'impossible et la deveine permanente est transmises en perles de rire inoubliables. A lire....
Roman en partie autobiographique, ce livre fut en lice pour le Goncourt. Certainement politiquement incorrect pour l’époque, Marguerite Duras y dénonce la politique coloniale et la corruption de cette colonie française de l’autre bout du monde, l’Indochine et voit le prix lui passer sous le nez.
L’histoire est celle de ces français arrivés en Indochine à la faveur d’une campagne de recrutement. Ils vont vite découvrir le fonctionnement ultra hiérarchisé de cette colonie où d’un côté se situent les riches planteurs et la bourgeoisie coloniale et de l’autre les indigènes ou les « petits blancs » relégués aux confins des terres cultivables que les fonctionnaires corrompus de cette administration coloniale veulent bien leur attribuer moyennant quelques pots de vin « un barrage contre le Pacifique c’est encore plus facile à faire tenir qu’à essayer de dénoncer votre ignominie. »
Au milieu de ce décor, nous avons la mère, veuve qui depuis le décès de son mari se démène pour vivre dignement avec ses deux enfants, Joseph l’aîné et Suzanne sa cadette. La mère a économisé pour acheter des terres cultivables qui se révéleront à l’origine de ses malheurs. Elle va lutter contre la nature (ses fameux barrages contre le Pacifique pour empêcher que l’eau salée ne vienne noyer et asphyxier ces terres définitivement incultivables « ce désert de sel et d’eau »), contre le pouvoir colonial qui abuse de son pouvoir, intimide et rackette et contre ses propres enfants qui rêvent d’ailleurs en trouvant l’amour. Joseph est écartelé entre cette mère à qui il voue un amour infaillible et cet envie d’ailleurs qu’il pressent meilleur. Seule Suzanne semble être la seule qui puisse sauver de la misère cette famille en prenant dans les filets (chastes) de ses charmes un homme susceptible d’être ensuite mis à contribution.
Au delà de l’affaire familiale et des beaux profils psychologiques qui sont dressés, il est un sujet qui m’a particulièrement touché : la description des conditions de vie des indochinois et des enfants en particulier, qui sous la plume et l’histoire personnelle de cette grande autrice revêt une dimension toute particulière « Ils arrivaient chaque années, par marée régulière, où si l’on veut, par récolte ou floraison. » A vivre dans la boue chaude et pestilentielle de la plaine, dans laquelle leur petits corps sans vie étaient enfouis, à défaut d’une sépulture digne de ce nom.
Ce fut un véritable plaisir de retrouver la plume délicate et intelligente de Marguerite Duras dans ce roman intime et engagé !
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