"Ils se tiennent aux quatre coins de la pièce. Ce n'est pas intentionnel, ça s'est trouvé comme ça. Chacun fixant une ligne imaginaire, et pensant à quoi ? Ils ne se regardent pas, à ce moment précis, ils n'ont plus de lien. Somanges, la maison de leur enfance, se dématérialise sous leurs yeux....
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"Ils se tiennent aux quatre coins de la pièce. Ce n'est pas intentionnel, ça s'est trouvé comme ça. Chacun fixant une ligne imaginaire, et pensant à quoi ? Ils ne se regardent pas, à ce moment précis, ils n'ont plus de lien. Somanges, la maison de leur enfance, se dématérialise sous leurs yeux. La pièce s'est vidée de leur chair, des blessures et des rires. Il reste le squelette de ce qui fut le foyer. […] D'ailleurs, ils ne se rappelleront pas la saison. Ils voudront graver les secondes, se souvenir d'une chose essentielle, ils ne parviendront qu'à se remémorer un détail, ou une succession de détails qui, juxtaposés les uns aux autres, ne leur évoqueront rien, ne les toucheront pas, alors qu'ils sont le cœur même d'un chagrin qui ne finira pas."
Somanges, c'est la maison de l'enfance, devenue trop grande pour une femme seule et qu'il a fallu se résoudre à vendre. Pour la dernière fois donc, en ce jour de déménagement, les quatre enfants s'y retrouvent avec leur mère. Leur père est mort depuis plusieurs années. Dans les pièces vidées de leurs meubles et de leurs souvenirs, les mots résonnent, un peu trop fort. La tension est palpable, leur jolie complicité d'enfants est depuis longtemps envolée. "Tous l'étaient, agacés, mais personne ne voulait le reconnaître. Dissemblances d'adultes, impossibles à combler." L'air est lourd, chargé de tous les sous-entendus dissimulés sous des phrases et des remarques anodines. Enfants, il y avait "(les) rires, (la) complicité, (les) disputes, ces petits riens du quotidien qui ne laissent de traces qu'à l'intérieur." Devenus adultes, plus rien n'est pareil. Alors que les deux aînés ont bien réussi – Saul est directeur d'un grand quotidien, Hélène est un nez réputé dont les parfums se vendent dans le monde entier –, pour les jumeaux, Elias et Réna, la vie est plus difficile, surtout pour Réna, handicapé suite à un accident de voiture. Un lien s'est brisé à la mort du père. "La distance s'est installée d'elle-même." Les rivalités, les jalousies, les disparités de leurs destins, se cristallisent dans le jardin de Somanges, autour de la question de l'héritage. "Tout partager puis plus rien". Se déchirer pour partager l'argent alors qu'on n'est plus capable de partager l'essentiel... Ils ont du mal à s'entendre, à se comprendre, et dans le même temps, leurs vies semblent montrer qu'ils ont bien du mal, aussi, à retrouver un équilibre les uns sans les autres. "La fratrie est impitoyable", faiblesse et force tout à la fois.
Comme dans son précédent roman, Les Séparées, ce sont les questions qui permettent à Kéthévane Davrichewy d'explorer les mémoires, les souvenirs, les cheminements de chacun, en leur donnant tour à tour la parole. Saul, puis Hélène, puis Réna et Elias, les inséparables jumeaux s'expriment, se souviennent, vivent sous la plume de l'auteure et sous nos yeux. Nous sommes peu à peu impliqués dans ce huis clos, huis clos des murs, du passé, de la fratrie. En vieillissant, l'aîné a peu à peu décidé de s'éloigner vraiment, physiquement, de retrouver ses vraies racines, en Grèce, et de se taire. À l'opposé, Réna a besoin de parler, beaucoup, d'évoquer le passé, de confier des secrets trop longtemps tus, de se replonger dans l'enfance, pour tenter d'estomper les souffrances, de son corps, de son esprit. Élias, lui est plus "léger, aérien", il se pose moins de questions, alors qu'Hélène, la protégée de sa mère, emblème d'une réussite éclatante, qui semble solide et inatteignable, cache par fierté sa vulnérabilité et sa solitude.
Il n'y a pas de révolte bruyante, dans les romans de Kethévane Davrichewy, pas de grands cris, pas de coups d'éclat spectaculaires. Les confidences sont discrètes, chuchotées, murmurées, en aparté, et l'essentiel se glisse dans les non-dits et les silences. Il n'y a pas de pathos ni de grandiloquence non plus, l'écriture est toute en nuances, en demi-teintes, en délicatesse, elle est belle et fluide, elle nous emporte dans ce joli voyage dans le temps des souvenirs et l'espace des vies, toujours sensible, subtile, céleste.
La fin reste en suspens, ouverte à tous les possibles. À chacun d'imaginer ce qui se passera dans l'avenir entre ces quatre murs."L'intime est là."
J'ai nettement préféré "les évaporés" qui traite de disparitions dont nul ne se soucie ; mais oui, l'écriture est intéressante, le sujet aussi, puisqu'il y est question des liens filiaux et familiaux mais je suis un peu restée sur ma faim à cause des trop nombreux sous entendus...