"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Construit comme une enquête, avec une extraordinaire lucidité, le roman de Boubacar Boris Diop nous éclaire sur l'ultime génocide du XXe siècle. Avant, pendant et après, ses personnages se croisent et se racontent, s'aiment et se confessent. Jessica, la miraculée qui sait et comprend du fond de son engagement de résistante ; Faustin Gasana, membre des Interahamwe, la milice des massacreurs du Hutu Power ; le lumineux Siméon Habineza et son frère, le docteur Karekezi ; le colonel Perrin, officier de l'armée française ; Cornelius enfin qui, de retour au Rwanda après de longues années d'exil, plonge aux racines d'une histoire personnelle tragiquement liée à celle de son peuple.
Murambi, le livre des ossements bouleverse autant qu'il éclaire un crime contre l'humanité longtemps occulté.
Rwanda, Ecrire par devoir de mémoire : c'est sur ce thème que l'écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop s'est attaché à écrire un roman sur le génocide tutsi au Rwanda.
Comment parler d'un génocide ? Comment raconter l'indicible ?
Cornelius, exilé depuis de nombreuses années à Djibouti rentre au Rwanda, 4 ans après le génocide. A Murambi, plus exactement, où, dans l'enceinte d'une école, son père, le Dr Karekesi a fait regrouper tous les Tutsis des collines environnantes sous prétexte de les protéger : environ 50000 personnes qu'il a fait massacrer, y compris sa femme et ses 2 enfants.
Cornelius, avec l'aide du vieux sage Simon Habineza, tente de comprendre cet effroyable massacre.
Dans un récit extrêmement sobre et nuancé, l'auteur nous fait découvrir les tenants et aboutissants du génocide et réussit à saisir l'indicible, réhabilite la mémoire des morts, espérant poser les bases d'un possible futur pour ce pays exsangue.
J'ai été encore plus passionnée par l'excellente postface de l'auteur qui met en lumière le rôle trouble qu'a joué la France.
Un roman dont on ne sort pas indemne" expression souvent employée au sortir d'un roman qui nous a marqués, qui a laissé quelques traces, expression parfois galvaudée tant il nous est parfois difficile à nous, ceux qui modestement proposons notre regard sur un livre, d'exprimer l'étendue et le bouleversement que les mots de l'auteur ont provoqué. Utiliser cette expression presque devenue banale serait faire offense à Murambi, le livre des ossements tant il beaucoup plus que cela.
Ici l'auteur utilise son art, l'écriture pour donner ne serait-ce qu'un peu de sens à ce qui fût le dernier génocide du vingtième siècle. Murambi, le livre des ossements est né après que Boubacar Boris Diop ait accepté de se rendre au Rwanda dans le cadre d'une résidence d'auteurs "Rwanda : écrire par le devoir de mémoire", parti avec l'idée d'écrire un récit de voyage, il en est revenu avec ce roman dont la moelle est constituée de tous les témoignages, de tous ces mots pour dire l'indicible des Rwandais qu'il a rencontrés.
Ainsi Cornélius, l'enfant rwandais réfugié à Djibouti pendant des années orphelin de mère, frère et sœur massacrés lors du génocide comme 800 000 Tutsis et qui revient pour mieux comprendre et peut être retrouver son père dont il sans nouvelle, Jessica la résistante engagée qui a survécu, Siméon l'oncle plein de sagesse de Cornélius, sont incarnés par les témoignages recueillis par Boubacar Boris Diop. Des personnages tellement vivants, tellement incarnés que le lecteur s'attendrait presque à, lorsqu'il relève les yeux, les retrouver face à lui, racontant leur histoire, l'horreur vécue.
Si l'auteur s'efface avec une humilité saisissante derrière ses personnages, il n'en dénonce pas moins avec force, le désintérêt des occidentaux trop occupés par la coupe du monde de football qui se déroulait aux Etats Unis pour n'accorder ne serait-ce qu'un regard à ce génocide, alors que tous avaient crié plus jamais en découvrant les camps de concentration lors de la Seconde Guerre mondiale. Boubacar Boris Diop, n'en reste pas là il revient également de manière claire et précise sur le jeu nauséabond de la France qui savait tout de ce génocide et dont les soldats de l'opération turquoise ont eu un comportement au minimum inexcusable et inhumain au pire criminel.
Impossible alors de ne pas ressortir exsangue de ce roman qui bien que décrivant l'horreur du génocide, le crime de masse est paradoxalement emplit d'humanité. Murambi, le livre des ossements donne du sens à ces images que tous nous avons vu il y a aujourd'hui vingt ans sur nos écrans de télévision. J'avais vingt ans à l'époque, et je ne comprenais pas ces enchevêtrements de corps mutilés au bord des routes, je ne comprenais pas ce qui était pour moi la folie de ces Rwandais.
À l'issue de cette lecture aussi éclairante que bouleversante, je comprends davantage ce qui s'est joué là-bas au Rwanda. Tous ces corps enchevêtrés vus dans les journaux télévisés n'en sont plus, le roman de Boubacar Boris Diop leur a redonné leur statut d'humain, ils sont redevenus des femmes, des hommes, des enfants. Des êtres de chair qui avant, qu'on ne les massacre et les laisse pourrir sur le bord des chemins ont vécu, aimé, désiré... rêver.
Murambi, le livre des ossements et un roman d'une puissance et d'une humanité rare. Dans la vie d'un lecteur, il y a fatalement un avant et un après Murambi, le livre des ossements...
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