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Comment un écrivain cantonné à l'image du héros rabelaisien, dont les premiers protagonistes sont les chantres de la virilité, s'autorise-t-il à incarner une voix de femme dans la fiction ? Comment s'y prend-il ? C'est là que réside tout l'enjeu de cette édition «Quarto» consacrée à Jim Harrison (1937-2016). Romancier au large succès depuis Légendes d'automne (1979), Harrison opère avec Dalva (1988) un virage à 180 degrés et, à travers la voix d'une narratrice audacieuse et indépendante, il trouve la sienne. Le personnage devient un double de l'auteur, une incarnation de l'écrivain métamorphosé en femme. «Ma capacité à écrire en tant que femme, confesse-t-il, m'a sauvé de la mort par excès de drogues et d'alcool, car dans notre culture la virilité peut vous acculer dans un recoin où la seule chose qui reste à faire consiste à bouffer des animaux tués sur la route et à mordre la lune.» Question de survie, donc. Cette idée de métamorphose - de réincarnation - possible, rêvée, désirée, assumée n'est pas sans lien avec la culture amérindienne dont il se sent proche. Sa jumelle fantomatique - sa part féminine, secrète, dont tout un chacun dispose, étouffée dès la naissance par le poids des conventions - et sa soeur Judith tragiquement disparue se réinventent en Dalva, qui porte en elle la force, la puissance, la rage et la liberté de ces deux présences invisibles. D'autres personnages suivront, comme celui de Claire (La Femme aux lucioles), offrant une variation sur le thème de la femme puissante et autonome, conquérant sa liberté au prix fort. Ces «voix de femmes» qu'on découvre à travers le choix de textes ici retenus (connus ou inédits) constituent un point de bascule majeur dans l'oeuvre si abondante de Jim Harrison, mais aussi un exploit : l'écrivain renonce aux postures et aux clichés de la virilité pour retrouver et accueillir en lui une féminité dérobée, inventer une écriture qu'il qualifi e lui-même d'«androgyne». En s'ouvrant à une dimension inédite, son écriture elle-même se transforme, adoptant une fluidité nouvelle, une pratique de l'association libre résumée par deux formules lapidaires chères à l'auteur : «Dieu est une femme» et «Écris sans effort». La narration harrisonienne figure désormais une expérience intérieure, le cheminement tantôt douloureux, tantôt comique, voire burlesque, de personnages instables, en devenir, en métamorphose.
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