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Cette nuit-là, les Banneck, père et fils, se sont embarqués pour une pêche interdite, comme ils en avaient l'habitude. Le père à la barre. Les deux fils en plongée. Le vieux Banneck avait trop bu. Le bateau n'est pas rentré au port. René Joffre, le restaurateur dont l'élégant établissement domine la rade, a cru que s'en était fini de l'extorsion de fonds, du chantage que ces trois-là, mais surtout le vieux, lui infligeaient depuis des mois. Et que la vie allait se poursuivre en paix, avec Yvette, sa femme, et Marc, son ami d'enfance, son alter ego, celui sur qui il avait toujours pu compter. Sans imaginer que ce dernier compromettrait leur amitié, ni que les Banneck reviendraient des abysses, plus vengeurs et dangereux que jamais.
Ronan Gouézec mène avec âpreté ce roman de colère et de fraternité où rien n'unit davantage les hommes que l'adversité.
Ça démarre par une tempête tonitruante, des éléments déchainés en pleine nuit, une mer furibonde qui fait chavirer un bateau de pêche. Comme un tocsin qui retentirait pour annoncer les destins fracassés, un gâchis irrémédiable.
C'est un roman noir, très noir, admirablement construit. A partir de cette retentissante scène inaugurale, une tension sourde monte, on sait, on sent que ça va déraper, on attend de découvrir comment, pourquoi, avec quelles conséquences la gorge nouée.
Mais cette noirceur est éclairée par la profonde humanité qui affleure dans chaque page. Car c'est le coeur des hommes qui intéresse profondément l'auteur. Sa façon de tisser les liens entre ses cinq personnages, amis ou ennemis, est très forte. Chacun est traité avec beaucoup de dignité et de tendresse, avec une psychologie fouillée, leur parcours n'est pas linéaire mais évolue au fil des événements. Des êtres de chairs, imparfaits, qui trahissent, pleurent, se débattent .
Bien sûr, il y a les bons, Marc en tête, le généreux, plein d'assurance malgré son obésité, intelligent et fin, un magnifique personnage. Mais surtout, Ronan Gouézec nous offre un « méchant » extraordinaire, le frère aîné Banneck, bloc monolithique de haine et violence qui se fissure jusqu'à devenir terriblement touchant. C'est rare en littérature de lire de tels mots pour décrire un être qui a semé le malheur dans les chapitres précédents :
« Ils s'étaient assis en silence. Et, très vite, ça aussi c'était inédit, une ou deux larmes avaient tenté une sortir sur le visage de Banneck aîné. Elles n'avaient pas pu rouler bien loin sur la peau tannée du grand frère, trop de rides, de cicatrices, d'obstacles à leur progression, de fierté aussi. Alors elles étaient restées accrochées au niveau des pommettes comme deux perles de givre, bientôt fondues et évaporées sans qu'il y touche, tant le sang qui circulait sous le cuir était vif et chaud. »
L'écriture de Ronan Gouézec offre un grand plaisir au lecteur dès les premières phrases. Très souvent, au fil de ma lecture, je me suis délectée de sa plume précise, généreuse, élégante.
Un roman intense et beau construit comme une tragédie universelle. Une belle réussite.
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