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Ces Lettres ne sont pas un appel à la révolte. Elles sont encore moins une tentative de polariser une société qui se fracture chaque jour davantage. C'est un appel aux jeunesses du nord et du sud de la Méditerranée et à leurs dirigeants, car l'heure est grave. Elle confronte une Europe vieillissante et des sociétés sud-méditerranéennes dont la vigueur des jeunes est débordante à tous les points de vue.
C'est une chance d'assurer une transition générationnelle historique et harmonieuse. Pourtant, les dirigeants des pays des deux rives de la mare nostrum ne semblent pas alarmés par l'ampleur des enjeux et des réalités de cette situation. Vivier d'idées, ressource démographique vitale pour l'Europe, ces jeunesses, diverses, aux origines et aux aspirations différentes, ne parviennent pas à s'épanouir et à incarner un espoir pour nos sociétés. Aujourd'hui, les jeunesses inquiètent. On leur prête à tort la volonté de provoquer un changement brutal, parfois radical.
Les peurs se sont installées depuis quelques années des deux côtés de la Méditerranée. Elles ne cessent de s'amplifier. Pourtant, elle est depuis 2000 ans un espace de circulation, d'échanges, de vie et de mort. Elle est l'exemple et le modèle de ce que l'eau, la source de vie qu'elle représente, a produit de plus majestueux et fondateur de la civilisation universelle. Depuis qu'elle a été politisée depuis une vingtaine d'années, la Méditerranée s'est peu à peu refermée, aux dépens des jeunes. Elle représente désormais une frontière infranchissable. Elle n'est plus la matrice naturelle des rêves des jeunes.
Erasmus est la grande réussite des relations euro-méditerranéennes pour l'Europe, ses États-membres et son voisinage. Mais au-delà des opportunités qu'elles offrent le temps du cursus, les études ne garantissent plus toujours aujourd'hui aux jeunes de trouver un emploi, un logement, et de construire une vie décente. L'absence de débouchés professionnels brise les espoirs de toute une population de jeunes autour de la Méditerranée. Leur taux de chômage en Europe ne cesse de grimper. L'âge d'entrée dans la vie active est repoussé. Les dépendances vis-à-vis de la famille, de la société, interdisent désormais de « rêver trop grand et trop loin ».
Au sud, malgré les diplômes, les perspectives d'une situation professionnelle stable et valorisante s'éloignent pour beaucoup. L'émigration est la seule solution. Mais si elle est une issue individuelle, elle représente aussi une fuite des cerveaux préjudiciable aux pays d'origine.
Les vieilles générations, issues du baby-boom en Europe ou des indépendances au sud, ont cadenassé les systèmes et l'égalité des chances. Tout est bloqué, paralysé par les conservatismes, les privilèges des classes politiques dirigeantes. Des jeunes désespèrent de ne pouvoir prendre en main leur destin. Dans beaucoup de pays, le racisme progresse. L'Europe a peur pour elle. Elle craint les immigrations, elle s'arc-boute sur son « identité » passée. La Méditerranée a perdu son statut de mer des circulations, alors qu'au sud, les moins de 25 ans représentent 60 % de la population !
La situation des « banlieues » au nord de la Méditerranée est telle qu'elles font de plus en plus penser aux ghettos urbains des USA. L'immobilité, l'ennui, la déshérence gagne un nombre croissant de jeunes. Certains en France, en Belgique, en Allemagne, se radicalisent et veulent mourir au nom des idéaux auxquels ils veulent encore s'accrocher : liberté, dignité, égalité, justice.
Des générations ont grandi au rythme des crises économiques successives, du chômage endémique, du sida, de la sinistrose, de la suspicion... souvent, les enfants et petits-enfants d'immigrés maghrébins, musulmans, sont considérés comme les boucs émissaires des maux de l'Europe, responsables de la crise des valeurs, du chômage, du terrorisme islamiste... alors qu'ils ne sont que le symptôme de sociétés en peine et en panne, qui ne parviennent plus à créer du rêve, sociétés de consommations outrancières, dans lesquelles le citoyen a perdu le sens de la mesure, et où il n'accorde plus aucune confiance en l'homme politique, soupçonné de corruption généralisée... Il n'y a rien de pire pour une société de créer des enfants qui n'ont plus rien à perdre.
Tous les ingrédients sont là pour nourrir un pessimisme morbide. Mais à quoi bon s'y conformer ? Ce texte est donc un manifeste pour les jeunes et les plus âgés qui détiennent le pouvoir politique : il est urgent de passer le relais, d'insuffler de l'espoir, miser sur la fraîcheur de la jeunesse pour construire l'avenir. Il faut relancer la machine à y croire auprès des jeunes, sans quoi le cycle autodestructeur se poursuivra. Plus de jeunes se désinvestiront de démocratie, la citoyenneté, la participation politique, l'adhésion aux valeurs républicaines, etc. Que deviendront nos sociétés humanistes, si vivre ensemble n'a plus aucun sens ?
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