Faisant suite au très remarqué Dolce Vita 1959-1979, Simonetta Greggio signe avec ces Nouveaux Monstres 1978-2014, le roman de l’Italie des trente-cinq dernières années.
Il faut beaucoup aimer l’Italie pour écrire son histoire contemporaine car il y a quelque chose de pourri dans ce royaume qui a vu les artistes les plus sensibles et les plus talentueux en faire le portrait. Simonetta Greggio depuis sa « Dolce Vita 1959-1979 » semble décidée à parler comme le ferait un repenti dans le cadre de la loi anti-mafia. Sauf qu’elle n’est pas une criminelle mais bien une victime de cette Italie malade de ses monstres. Ces derniers ont peu à voir avec les Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi du film de Dino Risi, mais plus avec ces hommes politiques corrompus qui ont gangréné l’Etat, la République et ainsi la Démocratie par leurs rapports avec la Mafia et les services secrets étrangers dans le seul but d’assoir un pouvoir dérisoire entaché du sang de ceux qui ont voulu résister ou appliquer la justice.
Loin du document rébarbatif qu’aurait pu être cette rétrospective d’attentats et d’assassinats, le roman de Simonetta Greggio est un subtil dialogue entre la petite et la grande histoire. A l’heure du mail et des textos, à une superbe relation épistolaire entre un prêtre jésuite tout en mystère et une jeune journaliste avide de vérité font écho des retours dans l’histoire qui nous ramènent aux pires moments d’une Italie traumatisée. Aldo Moro abandonné par la Démocratie Chrétienne puis abattu par les Brigades Rouges, le Général Dalla Chiesa puis les juges Falcone et Borsellino assassinés avec une rare violence sous le regard complice, trop évidemment complice d’une classe politique en déroute, l’Italie n’en finit plus de son enfer magnifiquement observé par son cinéma auquel Simonetta Greggio fait très ouvertement appel ou référence. Tous les évènements au fil du roman sont analysés, « autopsiés » avec une remarquable maîtrise et sans qu’une dérive mélodramatique s’empare du lecteur ou de l’auteur. Des fantômes traversent le récit comme l’inconscient collectif italien : Elle convoque sans qu’ils ne se télescopent Pasolini, Leonardo Sciascia, les Papes contemporains d’un Vatican corrompu, un Divo politique coupable, ô combien, mais qui mourra dans son lit, le grain de beauté d’Ornella Muti…
Simonetta Greggio écrit ainsi un magnifique roman d’amour pour conjurer le sort d’un peuple hautement manipulé. Sans rien inventer, sans innover. L’histoire de l’Italie est une tragédie. Tout ce qu’elle nous dit, nous le savions déjà, mais peu de romanciers nous l’avaient murmuré de cette manière dans le seul but du devoir de mémoire, nécessaire, indispensable alors même que l’Italie n’est pas guérie. Elle invoque le sourire de Paolo Borsellino, le regard de Giovanni Falcone, la dernière lettre d’Aldo Moro à son épouse et nous partageons à la fois son impuissance, sa colère et surtout son espoir. Un moment rare de lecture.
J.F.SIMMARANO
Chronique "Les nouveaux monstres : 1978 - 2014"
Simonetta Greggio nous met d'emblée en garde : "de la chronique italienne et des faits rapportés, tout est ici malheureusement vrai" et, à la réflexion, cela fait un peu froid dans le dos... De 1978, date de l'assassinat par les Brigades Rouges d'Aldo Moro, alors Président de Démocratie Chrétienne, jusqu' à l'élection à la présidence du Conseil de Matteo Renzi, en passant par l'assassinat des juges Falcone et Borsellino, il y a de quoi s'indigner. Surtout quand on sort à peine de vingt ans de berlusconisme débridé. Et Aria, jeune journaliste d'investigation effervescente et idéaliste, démêle pour nous les liens sulfureux tissés entre les politiques, les institutions, le capital privé, la Mafia. L'église, même, n'est pas totalement épargnée, elle qui "a toujours su gagner en pouvoir ce qu'elle perdait en transparence".
Tout en prenant soin de ne pas sombrer dans un manichéisme trop simpliste, l'auteure retrace d'un style enlevé et énergique, ces quelques quarante dernières années de cette Grande Histoire. Tellement bien, d'ailleurs, qu'elle a tendance à occulter la petite histoire, celle d'Aria, de ses parents, de son oncle, le prêtre Saverio. Avec, en filigrane, le thème du triangle amoureux, cher à Simonetta Greggio. Car de l'amour, il y en a beaucoup dans ce récit. D'abord et avant tout pour l'Italie, pour sa beauté, son cinéma, son énergie, ses hommes, ses femmes. Des nouveaux monstres, qui comme "Dolce Vita 1959 - 1979", devraient conquérir un large public à la rentrée.