"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L'atmosphère de cette toile est étrange, la scène énigmatique, comme dans tous les tableaux du peintre, c'est vrai ; Hopper est un ensorceleur.
Ses peintures, baignées de grande solitude, de mélancolie sourde, subliment la banalité et intriguent. Rêveries inquiètes qui nous entraînent dans un monde intranquille, peuplé de fantômes esseulés.
De Jo, il faudra attendre sa mort pour découvrir ne serait-ce que l'esquisse de cette femme. La femme d'Édward Hopper.
Prétendument une emmerdeuse.
Prétendument jalouse de son génie de mari. Elle qui peignait. Un peu. En dilettante, comme toutes les femmes. Quelques natures mortes. L'art n'est pas fait pour le sexe faible.
Nous sommes au début du XXe siècle.
De cette toile, absolument sublime, Cape Cod Evening, l'auteure en extrait l'essence de ce couple si mystérieux, que formait Hopper et son épouse. Ce couple solitaire. Esseulés même ensemble. Comme repliés sur eux-mêmes.
On découvre un amour ambigu, une violence latente, à la limite d'un masochisme réciproque.
Catherine Guennec donne la parole à Jo, avec un naturel et une lucidité confondantes.
On referme ce livre et...
Je vais vous raconter ce que j'ai fait après. Je suis allée regarder un documentaire, Jo et Edward, The violence of silence. Je vous le recommande. Puis j'ai cherché si les journaux intimes de Jo avaient été finalement publiés... Je n'ai pas trouvé.
Mais je n'en ai pas fini avec ces deux-là !
J'étais fascinée par ce peintre, par toute cette solitude dégorgée de sa palette. Je le suis toujours. Mais à présent, ma fascination s'étend au couple Hopper.
A lire.
Si vous aimez Hopper, à lire absolument.
Les ateliers Henry Dougier est une maison d'édition que j'aime beaucoup, elle publie des romans proches de nous lecteurs avec de jolies collections, une que j'aime beaucoup est « Une vie, une voix » qui donne la parole à des gens comme vous et moi. Une nouvelle collection va donc voir le jour, « Le roman d’un chef-d’œuvre ». Lorsque l’attachée de presse m'a proposé de la découvrir, je n'ai pas pu résister. Il va s'agir en effet de courts romans qui vont mêler récits romanesques et enquêtes historiques, chaque auteur va raconter l'histoire d'un tableau célèbre. Trois premiers livres vont sortir début avril, un sur Klimt, un sur Manet et un sur Hopper.
J'ai donc choisi de commencer par Hopper. Je me suis laissée séduire par le tableau qui est aussi la couverture du livre. J’ai tout de suite été hypnotisée par l'image de cette homme et de cette femme qui se tiennent près d'une maison, avec sur les côtés une forêt d'arbres bleus et sur le devant des herbes avec un chien qui regarde au côté opposé. Je dois dire que c’est le chien que j'ai vu en premier. Je me demandais ce qu'il pouvait bien regarder comme ça, quelque chose de très attirant puisqu’il reste insensible aux appels de l'homme assis. Il règne dans cette toile une certaine énigme, du calme, une impression de calme avant la tempête. Cette toile a été réalisée en 1939, un an après un terrible ouragan qui a fait beaucoup de ravages dans la région, et l’année où la guerre allait éclater en Europe. Le couple du tableau semble renfrogné, grave, et on peut se demander ce qu'ils pensent.
Le livre donne la parole à Joséphine Hopper, la femme de Edward Hopper, le peintre. Elle aussi est artiste peintre mais elle se tiendra souvent derrière son mari. Elle aura tout de même la chance d'exposer ses toiles. Dans ce livre, elle se confie, elle raconte la vie avec son mari, elle raconte les toiles de son mari, ses inspirations. Elle lui servira bien souvent de modèle d'ailleurs. Bien sûr, elle raconte plus en détail la création de cette toile en particulier, Cape Cod Evening, comment lui est venue l'inspiration, sa construction avec des changements de perspective, ce qu'il a voulu montrer dans la toile. Le chien, par exemple, aurait son attention accaparée par un oiseau, un engoulevent, qui est annonciateur de mort. On comprend alors le poids de l’atmosphère de ce tableau. Jo parle de son mari jusqu’à la mort de celui-ci en 1967, Jo mourra l’année d’après.
J'ai beaucoup aimé suivre la vie de ce couple, leur attirance et aussi leurs déviances. Tout n'est pas tout rose entre eux. Ils vivent souvent isolés, il leur est arrivé de ke voir personne pendant des semaines entières, ils n'auront jamais d'enfants, derrière Josephine dit que ce sont les tableaux leurs enfants. Ils m’ont fait penser à un autre couple d’artistes que j'ai découverts dans un livre il y a peu, Frida Kahlo et Diego Rivera. Ce n'est pas du tout facile de vivre ensemble quand les deux sont artistes, il y en a forcément un qui s'efface un peu plus que l'autre, il y a toujours une pointe de jalousie quand l'un des deux réussit mieux que l'autre. Et c’est le cas ici aussi avec Joséphine et Edward Hopper. Mais jamais il n'a été question pour eux de se séparer, Jo dit que Edwar n’était pas du genre à quitter, trop puritain. Je dois bien avouer que je ne connaissais pas ce peintre, ni sa femme non plus. J’ai donc profité de cette lecture pour aller voir sur le net à quoi ressemblait ses œuvres. Jo en parle tellement bien, que j'ai aimé découvrir des petits détails. Hopper peignait souvent des maisons avec des personnages devant, ou des paysages, ou des intérieurs de maison ou de boutiques. Ce qui frappe quand on regarde ses toiles, c’est la perspective très juste et précise, et la luminosité qui s'en dégage. Il met toujours une touche de lumière même quand la toile est plus sombre, et ce avec un mur blanc, ou une autre source de lumière. En regardant toutes les œuvres de Hopper, je crois que ma préférée, outre Cape Cod Evening, est Second Story Sunlight qu'il a peinte en 1960 à Cape Cod. On y voit deux maisons jumelles blanches, avec plein de lumière dirigée sur elles, devant une forêt sombre et sous un ciel bleu éclatant, un ciel d’été. Deux femmes sont assises sur le balcon du premier étage. C’est ma préférée car je la trouve très lumineuse. Sa dernière toile, Two comedians, peinte en 1965, a un petit détail jamais trouvé dans ses autres toiles. On y voit deux comédiens sur une scène de théâtre, prêts à saluer leur public, ils se tiennent par la main. C’est la première fois que Hopper peint un couple qui se tient, d'habitude, ils sont toujours isolés. Cette toile est très symbolique quand on sait que c’est la dernière toile qu’il ait peinte, il était déjà malade, cela donne l'impression qu’il s'est représenté avec sa femme et qu'il fait ses adieux au public. C’est une toile qui m'a beaucoup touchée. Ce qui m'a aussi marquée en regardant les personnages des différentes toiles, c’est la façon particulière du peintre de les peindre. Ils ont des visages très marqués, il met beaucoup d'ombre, et parfois j'ai trouvé que les visages féminins ressemblaient à des hommes. Bien sûr c’est quand on regarde de très près, car les personnages sont petits sur la toile.
Bien sûr, ce n'est pas vraiment Joséphine qui écrit. L'auteure de ce livre, Catherine Guennec a su exactement se mettre à la place de la femme de Hopper, grâce à une très grande documentation, on sent d’ailleurs tout le travail de recherches fait en amont pour donner un récit si précis. La bibliographie citée à la fin du livre est impressionnante. Joséphine Hopper a écrit dans des carnets tous les détails de sa vie avec son mari. J'ai vraiment eu l'impression que c’était Josephine qui racontait sa vie. Je me suis sentie très proche d'elle et me suis très vite attachée à elle. Bien sûr, le choix narratif à la première personne du singulier renforce ce sentiment. Le style est très fluide, et c’est tellement intéressant que ça se lit très bien. C'est très accessible, ça peut être lu par tout le monde. Moi, je ne suis pas une connaisseuse de l'art et des différents courants artistiques, mais j’ai très bien réussi à comprendre tout. Aucune difficulté de compréhension, c’est vraiment l'art qui se met à la portée de chacun de nous.
Je ne connaissais pas du tout Edwar Hopper avant de lire ce livre. J'ai peut-être vu quelque fois une de ses toiles, mais je ne savais pas mettre un nom dessus. Je me suis donc une fois de plus enrichie avec ce livre. Et si vous me suivez, je vois ai déjà dit que j'aimais énormément quand mes lectures ont ce double rôle de me divertir et de m'instruire en même temps. J’apprécie quand elles me poussent à faire des recherches, à aller plus loin que le livre en lui-même, à chercher d’autres informations et même à lire d'autres livres sur le même sujet. Je suis vraiment très contente d'avoir découvert les Hopper, mari et femme.
Le livre fait à peu près 130 pages, il se lit donc rapidement, et pourtant j'ai l'impression d'avoir lu un livre plus gros tellement j'ai cette sensation d'avoir appris énormément. Et pour écrire cette chronique, je me suis replongée dedans, et j'ai à nouveau pris beaucoup de plaisir à relire certains passages, à retourner voir certaines toiles. Et en plus l'objet livre est très beau, avec la reproduction du tableau sur les rabats intérieurs. J'aurais aimé vous en raconter encore plus sur ce livre, il regorge de plein de petits détails sur la vie du couple Hopper, mais le mieux est que vous le découvriez par vous-même. Vous en ressortirez plus riche, avec plein d'images plein la tête. Je ne peux que vous conseiller la lecture de ce livre si vous êtes curieux, si vous aimez passer un bon moment et apprendre plein de choses intéressantes. Pour ma part, je vais continuer de suivre cette collection, d'autres parutions sont prévues, et d’après ce que j'ai vu sur le site des Ateliers Henry Dougier, il va y en avoir de très intéressants, comme celui sur Van Gogh ou Gauguin. Bref, encore de belles lectures et des heures de découverte en perspective.
Pour conclure, j'aimerais vous laisser avec une citation de Edward Hopper sur la peinture :
« Il n'est pas difficile de peindre une scène, un motif. Ce qui est difficile c’est d’exprimer une pensée, une impression. Il faut forcer la peinture et la toile si récalcitrantes à enregistrer l'émotion. »
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Merci Marie pour ce bien agréable commentaire