"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Ce titre fait partie de la collection « Le roman d’un chef d’œuvre » des ateliers Henry Dougier, qui mêle « récit romanesque et enquête historique » en racontant l’histoire d’une œuvre célèbre.
Ici, Catherine Guennec brosse le portrait de Niki de Saint Phalle, une artiste franco-américaine connue entre autres pour ces Nanas, des sculptures de femmes tout en rondeur et colorées. Des photos sont d’ailleurs reproduites sur les rabats du livre.
Sa vie est digne d’un roman. Elle va de rebondissement en rebondissement, telle une héroïne. L’autrice déroule de façon linéaire son parcours de sa naissance à sa mort. Son enfance est marquée par un inceste. Son fort caractère l’aidera à surmonter bien des situations et des traumatismes. Elle épouse Harry Matthews. Elle travaille d’abord comme mannequin avant de commencer à peintre. Elle a des épisodes dépressifs et est internée en hôpital psychiatrique à Nice où elle subit des électrochocs. Plus tard, elle s’installe dans un atelier à Paris et rencontre Jean Tinguely, son second époux. Ils réaliseront ensemble leurs plus belles sculptures.
Le roman alterne entre la voix de Niki et celle de Nana, sa nourrice. Le lecteur a à la fois le récit intime de l’artiste et le point de vue extérieur. Elle raconte les difficultés de son métier surtout lorsqu’on est une femme, ses déboires amoureux, sa passion, ses questionnements. C’est passionnant. Un excellent livre pour ceux qui aiment l’art mais également pour ceux qui aiment les livres romanesques tout en se cultivant !
A la fin de l’ouvrage, on trouve quelques repères biographiques, une bibliographie et la liste des œuvres citées.
Niki de Saint Phalle est une artiste immense et pas seulement par la taille de ses nanas dont il est question ici ! J’ai beaucoup aimé le principe de cette collection et de cette maison d’édition, « Les ateliers Henry Dougier » que je ne connaissais pas et qui propose des romans qui déclinent le concept un artiste/une œuvre (dont la reproduction en couleur est présente sur les rabats de couverture) . Ici nous avons donc une « sarabande de Nanas » d’un côté et une version plus accessible et populaire, une « nana gonflable » de l’autre. La romancière Catherine Guennec nous en explique la genèse sous forme d’un roman biographique plutôt qu’une biographie romancée. En effet, nous n’avons guère l’impression de lire un ouvrage documentaire même si les références sont là comme le souligne la bibliographie des pages finales. Ainsi, les propos de la narratrice artiste par exemple sont extraits de ses écrits autobiographiques. Si l’aspect romanesque l’emporte, c’est peut-être dû aux choix narratifs ? le récit est polyphonique et nous avons les points de vue alternés de la gouvernante de la petite Niki - surnommée … Nana !- et de l’artiste elle-même une fois adulte. Un seul chapitre échappe à cette règle : le chapitre 6 qui laisse la parole au docteur Cossa, le psychiatre qui accueillit Niki de Saint Phalle lors de sa première dépression à 22 ans.
Les chapitres sont courts et la langue élégante et sobre. On en apprend beaucoup sur la vie et l’œuvre de la franco-américaine. L’événement traumatique qui marqua la fin de son enfance, « l’été des serpents », est au cœur de l’ouvrage et de la réflexion sans être pesant pour autant. Ses relations sentimentales éclairent également son parcours. La romancière montre merveilleusement bien l’attachement ambivalent à l’enfance. On notera aussi un index en fin d’ouvrage sur toutes les œuvres citées. C’est astucieux et utile et donne furieusement envie de se précipiter au MAM de Paris à défaut de pouvoir se rendre aux abattoirs de Toulouse. Je vais m’empresser d’acquérir d’autres titres de la collection. En priorité ceux de Mme Guennec sur Hopper et O’Keefe ainsi que celui consacré à Munch qui vient de paraître sous la plume de Marc Lenot afin de mieux préparer ma visite de l’expo à Orsay !
«L’art des fous, la clé des champs»
Dans cette biographie romancée, Catherine Guennec met en scène la belle Niki de Saint Phalle et raconte comment, après un viol, elle a réussi à échapper au suicide et à la folie pour imposer son art et laisser derrière elle une œuvre remarquable.
«J’ai cavalé au bord du vide. J’ai côtoyé les gouffres et j'en suis revenue. Tout était noir, tapissé de nuit, et soudain, peu à peu, la lumière, la couleur...
D'une certaine façon, peindre m’aura permis d’être «folle» de façon acceptable. Et sortez, je vous prie, ce mot «folle» des sphères médicales. Moi, je vous parle de poésie, d’art. "L’art des fous, la clé des champs".»
Quelle belle idée que cette collection «le roman d'un chef d'œuvre» qui nous permet d'entrer dans l'intimité d'un artiste grâce à la magie du souffle romanesque et à un dispositif narratif particulièrement attrayant. Catherine Guennec a choisi ici le mode choral en donnant la parole à Niki, mais aussi à ses proches et à ceux qui l'ont côtoyée, comme par exemple le psychiatre qui l'a suivie dans son établissement.
Mais n'allons pas trop vite en besogne et commençons par le commencement, quand Niki s'appelait encore Marie-Agnès Fal de Saint-Phalle, fille d'une Américaine qui préférera son pays à sa famille et d'un banquier de très bonne famille qui utilisera indifféremment sa cravache pour ses chevaux et ses enfants.
C'est dans les propriétés de la Nièvre et de l'Oise qu'elle grandit, dans le luxe mais sans amour. Les grands-parents veillent sur elle jusqu'à ce jour où la belle enfant reçoit la visite de son père et commet ce crime qui va la traumatiser profondément.
On comprend son humeur dépressive, ses tentatives de suicide, son internement. Mais on découvre aussi comment l'art, le dessin et la peinture avant la sculpture, parviendront à la sauver. D'abord en canalisant sa colère et sa violence, notamment avec ses œuvres à la carabine, puis avec des assemblages d'objets.
Elle s'émancipe du carcan familial en allant rejoindre sa mère aux États-Unis. À New York et Boston, elle travaille un temps comme mannequin puis rencontre Harry Matthews qu'elle épouse très vite et en avril 1951 naît leur fille Nora. Ils partent pour Cambridge, plein de rêves mais sans un sou. Harry veut devenir chef d'orchestre et voit le potentiel de son épouse: «Tu as le choix, Niki. Devenir un peintre traditionnel, somme toute mineur, ou donner toute ta mesure, ta démesure. Ta chance, c’est de ne savoir ni peindre ni dessiner, parce que tu vas tout inventer!»
Alors, elle a pris confiance, s'est décidée à voler de ses propres ailes. Elle part pour Paris, y découvre Brancusi et l'artiste-séducteur Jean Tinguely.
«Quand, pour la première fois, j'ai aperçu une de ses sculptures, un bric-à-brac grinçant suspendu dans son atelier, j’ai été saisie. Et conquise. Jamais rien vu de pareil ! C’était beau, c'était fou, c'était puissant et ça lui ressemblait.»
La suite est sans doute l'une des plus fascinantes collaborations entre deux artistes, un maelstrom créatif, des machines de l'un aux Nanas de l'autre, des mécaniques folles de l'un aux couleurs joyeuses de l'autre. Près de 3500 œuvres seront alors réalisées, près de deux par semaine!
Catherine Guennec nous entraîne avec bonheur dans La sarabande des Nanas, leurs soubresauts et leurs chocs. Car le couple va se séparer pour mieux se retrouver. Dans ce tourbillon, on n'oubliera rien des influences, celles de Gaudi et du Facteur Cheval, ni la genèse de l’une des œuvres maîtresses de Niki, le fabuleux Jardin des Tarots en Toscane. Après Gwenaelle Aubry qui avait publié l’an passé Monter en enfance et cherchait déjà dans les monstres de l’enfance de l’artiste les raisons de son œuvre foisonnante, voici un petit livre qui ravira tous les amateurs d’art. Car il possède une grande vertu: en le refermant, on n'a qu'une envie, retrouver ces Nanas, courir les musées et les expos. Ce monde joyeux et coloré, féministe et poétique qui répond pourtant à un crime.
https://urlz.fr/ktpE
De Jo, il faudra attendre sa mort pour découvrir ne serait-ce que l'esquisse de cette femme. La femme d'Édward Hopper.
Prétendument une emmerdeuse.
Prétendument jalouse de son génie de mari. Elle qui peignait. Un peu. En dilettante, comme toutes les femmes. Quelques natures mortes. L'art n'est pas fait pour le sexe faible.
Nous sommes au début du XXe siècle.
De cette toile, absolument sublime, Cape Cod Evening, l'auteure en extrait l'essence de ce couple si mystérieux, que formait Hopper et son épouse. Ce couple solitaire. Esseulés même ensemble. Comme repliés sur eux-mêmes.
On découvre un amour ambigu, une violence latente, à la limite d'un masochisme réciproque.
Catherine Guennec donne la parole à Jo, avec un naturel et une lucidité confondantes.
On referme ce livre et...
Je vais vous raconter ce que j'ai fait après. Je suis allée regarder un documentaire, Jo et Edward, The violence of silence. Je vous le recommande. Puis j'ai cherché si les journaux intimes de Jo avaient été finalement publiés... Je n'ai pas trouvé.
Mais je n'en ai pas fini avec ces deux-là !
J'étais fascinée par ce peintre, par toute cette solitude dégorgée de sa palette. Je le suis toujours. Mais à présent, ma fascination s'étend au couple Hopper.
A lire.
Si vous aimez Hopper, à lire absolument.
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