"Ce que personne n’a jamais su, ce mystère dont on ne parlait pas le dimanche après le match, autour d’une bière fraîche, cette sensation que les vieilles tentaient de décortiquer le soir, enfouies sous les draps, ce poids, cette horreur planquée derrière chaque phrase, chaque geste, couverte...
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"Ce que personne n’a jamais su, ce mystère dont on ne parlait pas le dimanche après le match, autour d’une bière fraîche, cette sensation que les vieilles tentaient de décortiquer le soir, enfouies sous les draps, ce poids, cette horreur planquée derrière chaque phrase, chaque geste, couverte par les capsules de soda, tachée par la moutarde des hot-dogs vendus avant les concerts ; cette peur insupportable, étouffée par les familles, les écoliers, les chauffeurs de bus et les prostituées, ce que personne n’a pu savoir, c’est ce que Thomas avait ressenti quand le flic aux cheveux gras était venu lui passer les bracelets, en serrant si fort son poignet que le sang avait giclé sur la manche de sa chemise. […] Personne n'a jamais su. Quand la mère de Thomas s'est précipitée hors de chez elle, sa robe à moitié défaite, ils n'ont pas vraiment compris. […] Personne ne savait réellement ce qui s'était passé. Les volets de la maison demeuraient clos. Les poutres pourrissaient. Aucun parent n'était venu ouvrir la bicoque depuis l'enterrement. Peu à peu, la ville engloutissait ce qui restait de la famille Hogan. Bientôt, l'histoire de Thomas devint une légende du bourg : un mauvais souvenir qui faisait peur aux gosses et alimentait les conversations de comptoir.
Non, vraiment, personne n'a jamais su."
Une petite ville quelque part aux Etats-Unis, une de ces villes conquise et bâtie par les pionniers et désormais rongée par la lassitude et le découragement. Une ville imaginaire – ou pas, on ne sait exactement où et peu importe. Ce qui compte, c'est ce qu'elle symbolise et ce qu'elle porte en elle. Ce qui importe c'est qu'elle soit un lieu obscur, porteur d'une malédiction sourde qui va s'abattre impitoyablement sur le pauvre Thomas Hogan. L'ambiance est proche de celle des livres de Steinbeck (sous l'égide duquel, en exergue, est placé le roman), une ambiance faite de mystère, de légendes, de tragédies muettes et de drames aux accents bibliques.
Dans cette petite ville, on suit le destin implacable d'une famille, les Hogan. Le père, William, dur à la tâche, travaille à la scierie la semaine et donne un coup de main le week-end à la caserne de police où il est chargé de classer les "fiches vertes", qui composent le "répertoire macabre" des affaires sordides du comté. Pénibilité du travail physique à laquelle succède le spectacle de l'horreur qui, insidieusement, l'atteint, s'immisce en lui, le contamine d'une "humeur noire", qui, dans l'alcool, se mue en violence. William s'isole peu à peu de sa famille, de sa belle et douce épouse Mary et de son fils unique, le petit Thomas, garçon fragile et discret qu'il imagine dans un bureau plutôt que dans les bois. Mais il n'aura pas le temps de voir son fils grandir, il se blesse gravement à la main et est emporté par la gangrène.
À l'enterrement de William Hogan, toute la ville est là, autour de Mary et Thomas, dont certains pressentent déjà, par "sa façon de se tenir en retrait, son regard quand une gamine criait trop fort, le mouvement de ses lèvres sans que le moindre son s'en échappe", qu'"il y avait quelque chose de son père en lui, un mauvais sang qui roulait dans ses veines : l'écume avant l'orage". Le drame annoncé dès les premières lignes du roman se précise, semble s'avancer, imminent, grave et énigmatique, mystérieux et masqué.
Peu à peu, c'est un cercle maudit, infernal qui se referme, se resserre autour de Thomas, comme dans l'enfer de Dante. Un cercle de trahisons, d'échecs, de déceptions qui l'emprisonne et l'entraîne vers la chute. C'est la chronique d'un drame annoncé qui fascine par le caractère insidieux et inexorable dont l'étau se resserre autour du personnage de Thomas. Même si la tragédie est attendue, l'intrigue n'en est pas moins haletante, courte mais d'une densité et d'une intensité prenantes. L'écriture tout autant que l'histoire sont incroyablement maîtrisées, le style est original, ciselé, sobre tout en étant imagé, doté d'une puissance évocatrice remarquable. Dans une atmosphère en apparence paisible, banale, feutrée dans le conformisme, Cécile Coulon parvient à faire sourdre l'inquiétante étrangeté des consciences tourmentées. Son récit âpre, tendu, incisif, porté par une écriture hypnotique, puissante, emporte le lecteur dans les tréfonds de l'âme humaine. Jusqu'au vertige.
Pas abouti et confusément construit !