Encore plus de découvertes, auteurs à suivre et lectures indispensables
«Il faudrait des mots nouveaux, y compris pour raconter Auschwitz, une langue nouvelle, une langue qui blesse moins que la mienne, maternelle".
En moins de deux cents pages vibrantes de vie, de lucidité implacable et d'amour, Edith Bruck revient sur son destin : de son enfance hongroise à son crépuscule. Tout commence dans un petit village où la communauté juive à laquelle sa famille nombreuse appartient est persécutée avant d'être fauchée par la déportation nazie. L'auteur raconte sa miraculeuse survie dans plusieurs camps de concentration et son difficile retour à la vie en Hongrie, en Tchécoslovaquie, puis en Israël. Elle n'a que seize ans quand elle retrouve le monde des vivants. Elle commence une existence aventureuse, traversée d'espoirs, de désillusions, d'éclairs sentimentaux, de débuts artistiques dans des cabarets à travers l'Europe et l'Orient, et enfin, à vingt-trois ans, trouve refuge en Italie, se sentant chargée du devoir de mémoire, à l'image de son ami Primo Levi.
"Pitié, oui, envers n'importe qui, haine jamais, c'est pour ça que je suis saine et sauve, orpheline, libre."
Encore plus de découvertes, auteurs à suivre et lectures indispensables
Ce récit autobiographique très personnel de l'autrice raconte sa jeunesse en Hongrie, son internement dans les camps avec sa famille, la perte de ses proches, sa survie, son retour en terre natale et sa quête d'un monde meilleur en terre promise (Israël) pour finalement la trouver en Italie. Avec en parallèle sa construction, son passage de jeune fille à femme et la découverte de la vie et des sentiments amoureux dans ce contexte. Sa construction s'est faite seule car après son passage dans les camps, elle s'est retrouvée orpheline de famille et de nation, ne pouvant compter que sur elle-même.
Une lecture forte, poignante et paradoxalement assez lumineuse en dépit des évènements. On ressent la force interne de l'autrice qui va de l'avant tout en ayant vécu une vie difficile. Toute la force de caractère d'Edith Bruck est retranscrite dans ce récit. Ses propos sont à la fois factuels et très intimes mais sans jamais tomber dans le pathos. C'est ce côté qui donne un caractère doux à la lecture malgré la noirceur des faits vécus et relatés.
C’est avec une force remarquable qu’Édith Bruck nous évoque son parcours complexe, celui d’une petite fille juive, ignorant même le sens et les implications d’une telle étiquette, dans ce petit village hongrois. Il faudra peu de temps pour en comprendre les enjeux : la famille est chassée de sa maison au cours d’une rafle et Édith est acheminée vers un camp de concentration. Elle en connaîtra met plusieurs, ballotée au hasard de décisions qui la dépassent. Sans comprendre. Elle survit malgré tout et assume le difficile retour de ceux qui ont connu le pire. Avec un appétit de vivre et de multiplier les expériences, une tentative pour effacer l’horreur des souvenirs.
Edith Bruck ne sombre pas dans le sordide. Les faits ne sont pas occultés mais évoqués sans complaisance. Cela n’est plus nécessaire, de nombreux écrits ont clairement expliqué le vécu insoutenable des camps de la mort. C’est plutôt l’après qui prend le pas. Le retour à la vie ordinaire, les angoisses qui persistent mais aussi un formidable élan créatif, les errances inévitables pour finalement se sentir accueillie et légitime en Italie, où elle pourra s’épanouir.
Pas de haine, pas de désignation de coupables, ni désir de vengeance, Edith Bruck conte son histoire avec un certain détachement, augmentant la puissance de ce témoignage, court et dense.
Transmission indispensable d’un drame historique qui ne doit pas disparaitre de la mémoire collective, les écrits sur la Shoah restent indispensables génération après génération.
167 pages Sous sol 7 janvier 2022
Le Pain perdu est l’histoire d’une vie, celle d’Edith Bruck, racontée par elle-même, de façon simple, mais toujours terriblement émouvante.
La petite Edith, surnommée Ditke, a vu le jour dans un village hongrois. Elle a six frères et sœurs dont certains, plus âgés, ont déjà quitté leur famille juive dont la mère est très croyante, affirmant que c’est Dieu qui lui a donné ses enfants. Ainsi, elle néglige le rôle du père, Stein Schreiber, qui, en 1942, est exclu de l’armée parce que juif. Ce gagne-misère, comme Ditke le qualifie, sent venir la pire des catastrophes confirmée par la présence de seulement trois personnes à l’enterrement de la grand-mère de ses enfants.
Dans la vie du village, la mise à l’écart des Juifs ne suffit pas. Lorsque Ditke, première de sa classe, croise le maître d’école, celui-ci lance un « Heil Hitler ! » qui en dit long sur ce qui se prépare.
Vexations, humiliations, interdictions, petites agressions, cela n’est pas le fait de militaires ou de policiers faisant la promotion du nazisme mais tout simplement d’habitants du village avec lesquels la communauté juive vivait en parfaite harmonie, jusque-là.
Ditke vient d’avoir 13 ans quand les gendarmes brisent la porte d’entrée de leur modeste maison pour expulser toute la famille. Justement, ce matin-là, sa maman avait préparé des miches de pain. Il ne lui restait plus qu’à les enfourner quand le malheur est arrivé.
Quand toute la famille se retrouve embarquée dans un train avec beaucoup d’autres juifs, la mère de Ditke ne parle que de son pain perdu abandonné à la maison.
Le ghetto, les insultes, le pillage de tous leurs objets précieux, l’engrenage infernal est enclenché. Birkenau, Auschwitz, les chiens, la séparation et ces vies qui partent en fumée, la négation de toute humanité : l’extermination d’un peuple.
Edith Bruck raconte l’enfer qu’elle a vécu, donne des nouvelles de ses frères et sœurs, détaille les souffrances endurées. Il faut marcher, subir les maltraitances infligées par les kapos, assister au suicide de ses amies, constater l’égoïsme des fermiers refusant toute nourriture à ces femmes, à ces enfants et à ces hommes déplacés d’un camp à l’autre et affamés.
Tout cela, je l’ai lu déjà mais le récit d’Edith Bruck est poignant, terriblement émouvant, extraordinairement précis. Il ne faut pas l’oublier, jamais le passer sous silence malgré le temps qui s’écoule inexorablement. Le récit, le témoignage de cette jeune fille frôlant souvent la mort, est fondamental.
Bien sûr, arrivent les soldats US, la libération des camps. Comme les Hongrois ont été déportés en dernier, ils sont rapatriés les derniers. Edith Bruck, alors, constate que leur retour n’est pas très apprécié, que Sara, sa sœur, l’accueille froidement, que dans son village d’origine on la regarde comme une ennemie.
Ditke adore écrire. Judit, sa sœur, fait partie d’un groupe sioniste et veut absolument rejoindre la Palestine. Si Ditke fuit en Slovaquie, elle est dépucelée à 16 ans, à Bratislava. S’ensuit un récit comme une épopée qui emmène notre autrice en Israël, puis en Grèce, en Turquie et enfin à Naples puis à Rome car elle a eu la chance d’intégrer une compagnie de ballet.
Il faut vraiment lire Le Pain perdu pour découvrir toutes les étapes d’une vie marquée à jamais par ces années de cauchemar, moments horribles, atroces, programmés et infligés sans le moindre état d’âme à plusieurs millions de personnes dont la plupart ne sont jamais revenues.
Quand Edith Bruck découvre Herculanum et Pompéi, elle imagine avec horreur ce que vécurent leurs habitants foudroyés par une éruption volcanique en l’an 79 de notre ère.
Si Ditke est devenue Edith Bruck, c’est grâce à un extraordinaire courage et une admirable volonté de témoigner.
Pour finir, elle s’adresse directement à Dieu, le tutoie et lui reproche de n’avoir jamais rien donné à sa mère qui, pourtant, l’invoquait, le suppliait plusieurs fois par jour. Elle se pose des questions existentielles, essentielles, mettant en cause une croyance à laquelle sa mère était viscéralement attachée.
Edith Bruck, star en Italie mais inconnue en France, fut très amie avec Primo Levi dont le suicide la bouleversa. Elle s’est consacrée au journalisme, à la télévision, au roman, à la poésie mais surtout à son témoignage sur l’holocauste des Juifs, la Shoah dont Le Pain perdu est un élément essentiel.
Chronique illustrée à retrouver sur : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
Le pain perdu
18 mars 2022
Le pain perdu de Edith Bruck
Edith Bruck est née juive hongroise en 1932. Au crépuscule de sa vie, les premiers signes d'une amnésie soudaine la terrassent alors qu'elle sent encore qu'elle a à éclairer les jeunes consciences sur la tragédie de la Shoah qu'elle a vécue, rescapée d'Auschwitz où elle a été déportée à treize ans avec sa famille. le pain perdu sera son témoignage, écrit à près de quatre-vingt dix ans. Une épure de 170 pages pour revenir sur toute une vie.
Le premier chapitre, " La petite fille aux pieds nus ", est exceptionnel et rien que pour lui, Edith Bruck vaut d'être lue. En racontant l'arrestation de toute la famille dans leur village hongrois, elle parvient à saisir le territoire de l'enfance juste avec quelques détails bouleversants. Ce ruban rouge qu'elle perd et qui lui manquera lorsque sa mère entreprend de la coiffer avant de partir pour la déportation. Ce pain qui était à cuire, fabriqué avec une farine cédée par les voisins, que sa mère se désespère de voir gâcher.
Elle fait le choix de ne pas s'appesantir sur l'expérience concentrationnaire, plutôt sur les marches de la mort, peu traitées en littérature, qui l'ont conduit d'Auschwitz à Bergen-Belsen en passant par Dachau. Sa réflexion est riche et inédite, expliquant que la pauvreté de sa famille a été une clef pour survivre dans les camps, un avantage même par rapport à ceux qui étaient gâtés matériellement. Les pauvres savaient déjà que la vie était méchante et cruelle.
« Les jeunes bourgeoises, plus fragiles que nous, avaient moins de défenses, tout comme les hommes : notre vie antérieure, par sa dureté même, nous avaient avantagées et nous avions mieux résisté. Nous luttions contre les poux, contre la faim, sans jamais aller jusqu'à arracher de la bouche des autres la nourriture, contrairement à elles, qui le faisaient souvent, même entre mère et fille. L'éducation morale de maman avait porté ses fruits jusqu'à cette limite, où nous aurions, sans elle, risqué de devenir des ennemies l'une pour l'autre. »
Elle poursuit sa réflexion en se penchant sur les conséquences de la Shoah dans la construction de sa personnalité. le terrible retour dans son village hongrois natal où les juifs ne sont pas les bienvenus, sa maison d'enfance saccagée et souillée. Son errance, des désillusions d'Israël à la Tchécoslovaquie, la Grèce, la Turquie, la France, l'Allemagne, sans jamais trouver se fixer ni trouver la sérénité. Jusqu'à l'Italie, le nid où elle se sentira bien immédiatement, là où elle pourra revenir à la vie et se réinventer.
A son retour, Edith Bruck éclate de mots. La littérature devient refuge. Ecrire en hongrois l'écorche. L'italien s'imposera comme la langue du témoignage..
« Il faudrait des mots nouveaux, y compris pour raconter Auschwitz, une langue nouvelle, une langue qui blesse moins que la mienne, maternelle »
Sa parole est claire et nette. Les mots, directs et crus, presque mats, sans euphémisation, sans pathos, sans dérobades, portés par une vitalité qui transperce le lecteur et épouse l'exceptionnel caractère empreint de radicalité de l'écrivaine. Edith Bruck raconte qu'elle a été en colère lorsqu'elle a appris le suicide de son ami Primo Levi. Une colère immédiate et profonde car elle estime que les morts qui nous entourent nous donnent le devoir moral de vivre. Elle, elle recherche la lumière. La mémoire est son pain quotidien pour se construire loin de la haine. Dans la magnifique Lettre à Dieu qui clôt le livre, elle, l'athée sans illusion qui préfère la poésie à la prière, clame haut et fort que ce qui l'a préservée, c'est de ne point haïr mais d'avoir pitié de ses bourreaux.
Ce livre très court est d’une émotion rare. Les événements s’enchaînent et on comprend le changement qui s’opère chez Ditke et la font passer d’enfant à adulte avec brutalité.
Pourtant Ditke garde en elle les images de son insouciance d’enfant, de sa liberté. Le tout est magnifiquement représenté dans le dernier chapitre du livre, cette Lettre à Dieu qui temoigne d’un respect et d’un doute certain sur l’existence d’un être suprême.
Une lecture indispensable…
Dans Le Pain perdu, traduit de l’italien par René de Ceccaty, Edith Bruck née Steinschreiber le 3 mai 1931 à Tiszabercel en Hongrie, raconte comment elle a survécu à l’enfer des camps de la mort.
Cette magnifique autobiographie qui commence comme un conte « Il y a très longtemps, il était une fois… », débute dans ce petit village de Hongrie orientale où Edith dont le diminutif est Ditke vit avec ses parents et ses frères et sœurs très pauvrement. Ils appartiennent à la communauté juive et leur vie est empoisonnée par la propagande fasciste, nazie, les habitants du village leur faisant mener une vie impossible, ayant tout pouvoir sur eux et pouvant les empêcher de travailler.
Aussi, quelle joie, lorsque, en avril 1944, le matin après la Pâque juive, leur voisine leur offre de la farine. Aussitôt la mère s’active sur le pétrin, et ainsi durant la nuit, la pâte monterait pour être mise au four à l’aube. Mais, alors que tous dorment, les gendarmes et les fascistes hongrois cognent à la porte qui cède, hurlant l’ordre de sortir dans les cinq minutes. Le père, encore en caleçon, sort ses médailles de la Première Guerre Mondiale, prouvant qu’il avait combattu, ils les jettent à terre disant qu’elles ne valent rien et lui pas davantage. Quant à la mère, elle n’avait que deux mots : le pain, le pain, ce pain qui allait être perdu, d’où le titre du livre.
Un moment inimaginable et inoubliable pour cette jeune enfant de treize ans. De plus « Les bourreaux qui parlaient dans leur langue les blessaient avec chacune de leurs paroles, en les dirigeant comme si c’étaient des moutons, vers la petite synagogue, où se trouvaient déjà tous les Juifs du village ». Ils sont ensuite parqués dans un ghetto avant d’être déportés à Auschwitz où la famille est séparée. Edith séparée de force de sa mère, se retrouve avec sa sœur aînée Judit. Elles sont ensuite transférées à Dachau puis au camp de Kaufering et à celui de Landsberg, des sous-camps de Dachau, puis à Bergen-Belsen où encore en février 1945, elles verront arriver, incrédules de nouvelles déportées de Budapest.
Les Américains arrivant, ce sera la longue marche vers elles ne savaient où, pour fuir. « Marsch ! Laufen schnell ! » Marcher ! Vite ! En avant ! Alors qu’elles étaient « des sortes d’épouvantails, flottant dans leurs haillons, le visage creusé, livide, les chevilles, les pieds crevassés d’engelures ».
Edith survivra, elle ne sait comment…
Elle partira à seize ans pour le jeune état d’Israël, s’y mariera avec un certain Bruck, voyagera, fera tous les métiers d’Athènes à Istanbul et finira par s’installer en 1954 en Italie, devenue désormais sa nouvelle patrie : « Pour la première fois, je me suis trouvée bien tout de suite, après mon long et triste pèlerinage ». À Rome, Elle rencontre Nelo Risi, le frère de Dino qu’elle épouse, devenue outre écrivaine, scénariste et réalisatrice.
Avec des mots simples, évitant au maximum les atrocités sans pouvoir évidemment les gommer, Edith Bruck décrit la force hors du commun qui a été nécessaire aux déportés pour pouvoir survivre à la déportation en camps de concentration.
L’auteure ne s’en tient pas seulement à la période de déportation mais raconte aussi l’avant et l’après, donnant ainsi une force supplémentaire au récit.
Elle explique bien comment, malgré déjà les lois raciales et les discriminations dont les Juifs étaient victimes, elle était encore une enfant vivant pauvrement certes, mais entourée de sa famille, ne comprenant pas tout ou ne voulant pas comprendre puis, comment elle est devenue adulte dès son entrée au camp de concentration où elle a appris le pire de l’être humain.
Elle dit également combien il était atroce d’être arrêté, injurié et emmené par ses propres compatriotes.
Mais si elle a survécu, dit-elle, c’est que dans le noir absolu, il y a toujours un moment de lumière et cela a été pour elle la chose la plus importante. Elle raconte l’émotion immense qu’elle a ressentie à Dachau quand un cuisinier lui a demandé son nom, alors que depuis son arrivée au camp, elle n’était plus que le numéro 11152 : elle était à nouveau un être humain ! Autre point de lumière, le jour où un soldat lui a lancé sa gamelle avec un reste de confiture, signe qu’il fallait encore vivre et lutter pour la vie. C’était l’espoir et la force d’aller de l’avant.
Et que dire de l’après-guerre, à leur retour, quand personne ne les a vraiment accueillies, elle et sa sœur. Elles étaient devenues un poids pour la société, même pour la famille. Personne ne voulait entendre ce qu’elles avaient vécu. Elles se sentent de plus en plus seules et abandonnées. C’est en 1946 qu’Edith commence à écrire car elle se sent remplie et « enflée » des mots qu’elle ne peut pas dire et ne peut plus supporter ce vécu, personne ne voulant l’entendre, tous disant qu’eux aussi ont souffert, qu’ils ont subi les bombardements, comme si c’était la même chose… « Ils ne veulent pas nous écouter : c’est pour ça que je parlerai au papier ».
Leur restant de vie n’était plus qu’un poids alors qu‘elles avaient espéré un monde qui les aurait attendues…
Pour Edith, une existence aventureuse traversée d’espoirs et de désillusions va alors commencer la conduisant à travers l’Europe et l’Orient avant qu’elle ne se trouve une nouvelle patrie, l’Italie où elle trouvera refuge, ayant la sensation qu’elle pouvait enfin vivre là.
Dans un dernier chapitre, intitulé Lettre à Dieu, Edith Bruck non croyante, pose cette question : « Oh, Toi, grand silence, si Tu connaissais mes peurs, de tout, mais pas de Toi. Si j’ai survécu, ça doit avoir un sens, non ? »
Malgré ce vécu quasiment indicible tant il est inhumain, Edith Bruck croit en l’homme, en l’humanité, n’a pas de haine mais de la pitié en se demandant comment ils ont pu faire cela… Sa foi est de respecter l’être humain.
Se sentant chargée du devoir de mémoire, à l’image de son ami Primo Levi, elle cultive ce vécu, afin de le raconter aux jeunes pour qu’ils puissent comprendre ce qui s’est passé, et qui peut se passer un jour, qu’on a essayé de détruire un peuple avec la complicité et la collaboration de toute l’Europe. Tous ont permis, sont restés indifférents…
Témoigner de son expérience sans jamais recourir à la haine, tel est son but.
Le Pain perdu d’Edith Bruck, l'une des dernières grandes témoins de la Shoah, est un livre qu’il faut lire absolument, un témoignage bouleversant.
C’est en écoutant l’émission Le masque et la plume, sur France Inter que j’ai entendu parler de ce livre, chacun des intervenants ne cessant de louer sa beauté et sa force. Quand, quelques jours plus tard, lors de la Masse critique, Babelio proposait ce bouquin, je n’ai pas hésité une seconde sur mon choix. Et super belle surprise, mon désir a été exaucé. Je ne peux que remercier chaleureusement Babelio et les Éditions du sous-sol !
Vous pouvez également réécouter sur France Inter, L’heure bleue de Laure Adler du jeudi 22 février 2022 consacrée à Edith Bruck.
Chronique illustrée à retrouver sur : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
Il fut un temps où surveiller la levée de la pâte à pain était vital et où, s’il n’était pas cuit au bon moment, le Pain perdu représentait un drame pour les familles pauvres.
Mais en cette année 1944, dans ce petit village de Hongrie, des choses bien plus graves se produisirent. Rejetée, dénoncée, arrêtée, la famille juive de Ditke, 13 ans, est enfermée dans le ghetto de Budapest puis déportée en camp de concentration.
Commence alors un long chemin de croix pour l'adolescente, sa sœur aînée Judit, sa mère et son petit frère qui les mènera en Pologne, dans les camps d’extermination de Birkenau et d’Auschwitz.
En 1945, les deux sœurs seront transférées en Allemagne à Dachau puis à Bergen-Belsen où elles seront libérées par les russes.
Jeune femme meurtrie, Ditke va tenter de se réconcilier avec la vie. Elle va passer plusieurs années à chercher une nouvelle patrie et finira par s’installer en Italie où elle deviendra écrivain.
Ce livre raconte la vie de cette survivante « martyre des ghettos et des camps, affamée d’amour et de paix ». Exclue de sa communauté, martyrisée par des bourreaux puis rejetée pour l’ombre de l’horreur qu’elle porte, elle continue, malgré tout.
A 89 ans, elle écrit un dernier livre et s’inquiète de voir changer l’Europe « où souffle un vent pollué par de nouveaux fascismes, racismes, nationalismes et antisémitismes ». Elle termine son récit en s’adressant à Dieu pour Le remercier de n’avoir jamais éprouvé de haine, ce qui lui a permis de survivre.
Si le propos est superbe, le style de ce roman est assez difficile à saisir, hachuré, décousu, comme un testament que l’émotion submergerait.
Le Pain perdu a obtenu plusieurs prix littéraires en Italie et je garderai en mémoire l’essentiel, avec ce souvenir d’une femme volontaire qui a su redonner, par la parole et l’écriture, un sens à sa vie.
Préservons ces témoignages, les voix s’éteignent, c’est le cycle de la vie, mais les écrits restent pour dire l’indicible afin que nul n’ignore et que tous nous transmettions encore et encore.
Ce devoir de mémoire nous ancre dans la mémoire collective, dans l’appartenance à la Nation.
L’horreur n’a eu ni limites ni frontières.
Edith Bruck à la fin de l’ouvrage nous livre une confidence poignante, celle de la mémoire qui s’enfuit et donc l’urgence à témoigner encore.
Dans tous ces témoignages, Primo Levi, Simone Veil, Marceline Loridan, Charlotte Delbo entre autres,il y a l’universel et le personnel.
D’où l’importance de dire l’indicible.
Edith est née le 3 mai 1931, dans un petit village hongrois Tiszabercel, près de la frontière ukrainienne, en 1944, elle subit les premières manifestations de racisme contre les juifs. Petite fille vive et intelligente, déjà pourvu d’un caractère affirmé, elle est emmenée avec sa famille à l’aube de ses 13 ans, dans un convoi pour les camps.
Dernière image heureuse, sa mère les mains dans la pâte à pain, dont les ingrédients avaient été offerts par des voisins compatissant devant leur dénuement.
La famille est séparée, le père avec son frère David, la mère avec Jonas, et Edith avec sa grande sœur Judit.
Edith devient le matricule 11152.
« Marcher ! Vite ! En avant ! nous répétaient les deux gardes. Celle qui n’y arrive pas doit le dire et on l’hospitalisera !
Quatre sœurs, dans l’espoir d’un lit, levèrent aussitôt la main, et les fusils des soldats répondirent par quatre coups. »
Un an de camps puis la liberté ?
Les deux sœurs ont pu rester ensemble jusqu’au bout.
Le rapatriement se fait dans l’ordre d’arrivée, les Hongrois seront les derniers rapatriés, Edith et Judit vont faire comme d’autres partir dans un voyage de retour périlleux.
Que peut-il y avoir de pire que ce qu’elles ont déjà vécu ?
Il y a des escales où elles retrouvent des survivants, où elles apprennent les morts, où elles découvrent qu’il y a eu des hommes et des femmes qui se sont battus contre l’ignominie « les Justes »,
La première personne qu’elle retrouve c’est Mirjam, leur sœur aînée, très endurcie, un accueil glacial, elle ne cherche pas à savoir ce qu’elles ont vécu, Judit et Edith se sentent « de trop ». Mirjam leur apprend que leur frère David est chez leur autre sœur Sara, c’est ainsi qu’elles apprennent qu’elles ne reverront pas leurs parents ni le petit Jonas.
Ne se sentant désirées nulle part, elles vont retourner dans leur village. Arrivées sur place, c’est là aussi l’indicible, une maison pillée, les voisins craignent les représailles qu’elles pourraient vouloir exercer.
C’est au milieu du fumier qu’Edith récupère son seul héritage, les quelques photos de famille qui ont résisté.
Dès lors Judit n’a qu’une idée, aller en Palestine, comme en rêvait leur mère. Edtih, elle, veut écrire encore et encore, elle commence ses carnets.
Judit partira la première, Edith retournera chez sa sœur Sara, puis ira chez David qui s’est marié, puis elle partira.
Elle finira par aller en Palestine où elle retrouvera Judit.
Mais, brisée, elle ne se sent pas à sa place.
Les hasards de la vie font qu’elle finira par s’installer en Italie, où elle fera sa vie, continuera ses carnets débutés en hongrois et continués en italien.
Une identité et une place retrouvée grâce à l’écriture, témoigner c’est se réappropriée son être.
Edith Bruck, quasi nonagénaire, veut encore témoigner. Elle dit en fin d’ouvrage comment lors de signe de perte de mémoire, elle a ressenti l’urgence de dire.
Chaque récit sur cette période a une valeur universelle, mais aussi une valeur personnelle.
Ce qui est commun c’est de taire ce qui a été vécu, enfouir pour oublier. Mais au contraire d’autres veulent dire encore et encore. Ne pas oublier, surtout si comme moi c’est la voix de l’enfant que vous entendez derrière ces témoignages.
Edith Bruck rend celui-ci particulièrement prégnant et émouvant. Il me semble que c’est la première fois que je lis le rejet d’une famille, l’absence de cohésion, ce repli sur soi.
Une enfant devenue adulte dans l’horreur, et des décennies plus tard c’est la voix de l’enfant que vous entendrez.
A lire car ce n’est pas du passé.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2022/02/12/le-pain-perdu-edith-bruck/
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