Des découvertes et des idées de lecture dans tous les genres littéraires !
Dans une grande ville d'un pays en guerre, un spécialiste de l'interrogatoire accomplit chaque jour son implacable office.
La nuit, le colonel ne dort pas. Une armée de fantômes, ses victimes, a pris possession de ses songes.
Dehors, il pleut sans cesse. La Ville et les hommes se confondent dans un paysage brouillé, un peu comme un rêve - ou un cauchemar. Des ombres se tutoient, trois hommes en perdition se répondent. Le colonel, tortionnaire torturé. L'ordonnance, en silence et en retrait. Et, dans un grand palais vide, un général qui devient fou.
Le colonel ne dort pas est un livre d'une grande force. Un roman étrange et beau sur la guerre et ce qu'elle fait aux hommes.
On pense au Désert des Tartares de Dino Buzzati dans cette guerre qui est là mais ne vient pas, ou ne vient plus - à l'ennemi invisible et la vacuité des ordres. Mais aussi aux Quatre soldats de Hubert Mingarelli.
Des découvertes et des idées de lecture dans tous les genres littéraires !
Après avoir reçu le Goncourt du premier roman en 2021 avec « Que sur toi se lamente le Tigre », le récit de la dernière journée d’une jeune Irakienne avant son exécution par son frère, Emilienne Malfatto poursuit sa lancée avec « Le colonel ne dort pas », un roman glaçant sur le quotidien dans un pays en guerre d’un “spécialiste de l’interrogatoire”.
Dans un pays en guerre – il n’est jamais nommé- un colonel effectue méthodiquement sa tâche dans le cercle de lumière d’une pièce en sous-sol : torturer des hommes pour les faire avouer. Le colonel est un “spécialiste”, le meilleur dans son domaine. Mais la nuit, le colonel ne dort pas. Il est hanté par ceux qu’il appelle ses “Hommes-poissons”, tous ceux qu’il a tués.
Un jeune ordonnance assiste tous les jours, dans l’ombre, aux séances de torture. Il sent au moindre geste, au moindre signe, l’humeur du colonel. Pendant que le tortionnaire s’affaire aux pires horreurs (qu’on devine seulement), le jeune homme pense aux filles du village, ou encore se récite intérieurement les lettres de sa mère qu’il a reçues depuis son arrivée… Le contraste est saisissant !
Et puis le temps passant, “il y a de moins en moins d’hommes à transformer en choses”. Les nouvelles de l’extérieur se raréfient. Personne ne sait plus très bien où en est la “Reconquête”, le Palais, déserté, prend l’eau et le général, obnubilé par les fuites dans le plafond, a perdu la raison…
En ne nommant ni les personnages, ni les lieux, ni le temps, ni l’ennemi, Emilienne Malfatto entend faire une peinture universelle de la guerre. Comme dans un décor de théâtre esquissé par petites touches, un huis-clos coupé de la réalité où se déchaîne le pire des hommes, la romancière met en évidence l’absurdité de la guerre, qui au-delà de ses buts, ouvre des brèches dans la folie des hommes. Ainsi même si la “Reconquête” ressemble à un concept vidé de sens, le colonel continue à accomplir sa macabre mission, avec “professionnalisme”, avec zèle, jusqu’à l’épuisement…
La narration est originale en ce qu’elle alterne les chapitres en vers libres dans la tête du colonel insomniaque, avec les chapitres où Emilienne Malfatto prend elle-même la prose pour raconter son histoire. Il est vrai que les vers libres apportent un véritable plus, comme un long chant déployé en italique avec des retours à la ligne. Ce monologue intérieur raconte les nuits sans sommeil, et la lutte contre l'assaut des "Hommes-poissons", ses anciennes victimes qui viennent hanter le colonel.
On effleure dans ce texte quelques sujets qu'il aurait toutefois été intéressant de creuser, comme la culpabilité ou pas de tuer en temps de guerre, l'interchangeabilité des méthodes et des êtres entre démocratie et dictature, ce que ressentent profondément les différents acteurs du drame etc… On espère que le personnage sur lequel le projecteur est braqué pourra donner corps à ces réflexions, les nourrir, et non simplement les nommer… Hélas, le format resserré du livre (120 pages) ne le permet pas.
Les démons poursuivent aussi les bourreaux.
Epatante Emilienne Malfatto, à la fois photographe, journaliste et autrice ici de son troisième roman. Le Prix Goncourt du premier roman pour « Que sur toi se lamente le Tigre », je ne l’ai pas lu (toujours cette fichue réticence à la lecture des premiers romans qu’il va falloir que j’outre passe).
Ce court roman de 110 pages (ou plutôt cette nouvelle) est d’une force et d’un réalisme qu’Emilienne Malfatto a dû « couver » lors de la période où elle a été reporter de guerre. En tout cas l’autrice donne le sentiment d’avoir approché le psychisme de combattants qui étaient sous les ordres de tyrans et dictateurs, mais qui n’en menaient pas large.
Le pays en guerre n’est pas cité ; possiblement l’Irak, car l’autrice y avait séjourné pour des photo-reportages. L’histoire pourrait être une fable tant elle est interchangeable quant au lieu, aux personnages, aux comportements humains. Une fable pour décrire ce qu’une guerre peut faire aux hommes, fait au monde. Le conflit y est horrible, comme dans toutes les guerres d’ailleurs.
Trois personnages : le général planqué dans sa tanière jouant à longueur de journée dans son palais de marbre, le colonel - dit le spécialiste - qui lui est affecté et dont le problème essentiel est de dormir et d’évacuer les méfaits perpétrés dans la journée, et puis l’ordonnance qui observe le stratagème.
Ici les bourreaux deviennent victimes. Et Emilienne Malfatto le rend crédible. Disons qu’à travers l’écriture aux accents poétiques, elle réussi à nous faire entrer dans la noirceur des nuits de non sommeil du colonel.
Une citation :
« Ô vous tous,
puisqu’il faut que je m’adresse à vous
Que je ne peux plus vous ignorer
Que je ne peux plus vous ignorer
Puisque vous êtes devenus les sombres seigneurs de mes nuits
Puisque vos ombres et vos cris
Résonnent dans mes ténèbres
Puisque les Hommes-poisson
Ont pris possession de mes rêves
Vous tous je m’adresse à vous
Mes victimes mes bourreaux
Je vous ai tués tous
Chacun de vous il y a dix ans ou
Dis jours
Ou ce matin
…
Et le colonel coupe taille, sectionne dEs heures durant »
Émilienne Malfatto que l'on a découverte avec l'excellent Que sur toi se lamente le tigre, revient dans un roman très court, elliptique, très beau. D'ailleurs est-ce un roman, de la poésie, tant les deux se mélangent ? Chaque chapitre s'ouvre avec un texte en italique, les pensées du colonel, un poème en prose, dans lequel il s'adresse à ceux qu'il a torturés et qui à leur tour le torturent : le persécuteur persécuté. Souvent il aborde la guerre, la mort donnée en son nom et les honneurs liés :
"après la guerre après les Hommes-poissons les
marécages
il n'y avait que le silence
et les médailles les décorations accrochées sur
les poitrines que les âmes
avaient désertées
du clinquant du doré sur une poitrine vide
ça fait joli mais ça sonne creux" (p.59)
En peu de mots, Émilienne Malfatto brosse un portrait juste et dense, profond ; on sent les émotions, les peurs et angoisses du colonel, la folie qui s'empare du général. Cent-dix pages dans lesquelles l'homme change, la Ville et la Reconquête itou. Et l'on se prend à rêver d'un monde où les hommes cesseraient d'ambitionner le pouvoir à tout prix même celui de la guerre.
Très beau texte, original dans le fond et la forme. Une autrice qui excelle dans les romans courts et denses, qui cultive un style très personnel, tout ce que j'aime.
Dans un pays en guerre « Le colonel ne dort pas », obsédé par son travail quotidien, qu’il effectue apparemment sans état d’âme : torturer des hommes pour les faire avouer. Projeté dans un halo de lumière, le colonel « coupe, taille, sectionne des heures durant », sous l’œil d’un jeune ordonnance qui attend que cela se passe en songeant aux filles du village.
La nuit venue, le colonel est hanté par ces créatures sans visage, qu’il a baptisé « Les hommes poissons ».
La narration est entrecoupée par les récits des insomnies du colonel où les hommes poissons viennent le hanter.
En ne nommant ni les personnages, ni les lieux, ni le temps, ni l'ennemi, la romancière fait une peinture universelle de la guerre.
J’ai particulièrement apprécié l’écriture d’Emilienne Malfatto qui réussit à nous plonger dans une sorte de brouillard dans lequel on aperçoit la barbarie de la guerre.
On ressent le malaise du colonel qui s’adonne à sa macabre mission, jour après le jour tout en connaissant le prix qu’il devra payer aux hommes poissons nuit après nuit.
Emilienne Malfatto signe un roman étrange et envoutant qui présente des personnages pris dans un engrenage qui ne peut les mener qu’à leur perte.
Le colonel ne dort pas.
Ce « spécialiste » de la torture est hanté chaque nuit par le souvenir des atrocités qu'il a commises et par le visages de ses victimes, imprimés à jamais dans sa mémoire . Ce ne sont que visions glaçantes, macabres et fantastiques de martyrs « désarticulés sanglants dépecés, défaits déconstruits » dignes des tableaux de Jérôme Bosch .
Ce tortionnaire du jour devient le torturé de la nuit . De bourreau, il se transforme en victime.
Une victime qui implore ses « visiteurs du soir » son « armée des ombres », qui lui refusent « l'amnésie même provisoire de quelques heures de sommeil » d'accourir à son secours et de lui accorder la mort.
Un roman, ou plutôt une fable à valeur universelle dont l'action se déroule dans un pays indéterminé, livré à une dictature militaire, dans un pays gris aux contours flous, dévasté par 40 jours de pluie où tout se délite, en proie à une « décrépitude de choses et êtres, même de la hiérarchie » ; le Général à la tête du pays passant désormais son temps à jouer, seul, aux échecs.
Cette fable est constituée de l' alternance du récit d'un narrateur extérieur, exposant froidement le travail du Colonel , et d'un discours en stances de style incantatoire, basées sur des apostrophes, des d'accumulations : prière du « tortionnaire torturé » à ceux qui sont désormais ses bourreaux
Un ouvrage d'une rare puissance tant par le sujet qu'il interroge : la torture, que par l'angle sous lequel il le présente : celui du bourreau vampirisé par le souvenir de ses victimes.( juste retour des choses , me direz-vous ….)
Un bref ouvrage de 110 pages, superbe, à la fois glaçant et magnétique qui laisse au lecteur toute latitude d'en situer l'action dans le monde.
Le colonel ne dort pas. Ses heures nocturnes s’étirent, rythmées par des ombres, pesant de tout leurs poids sur son âme.
Les ombres, ses victimes, devenues ses bourreaux. Car le colonel est un spécialiste.
Un spécialiste de la guerre mais surtout de la torture, des moyens de maintenir un corps en vie, de le briser pour en connaître tous les secrets.
Mais voilà, même si c’est son devoir (quoiqu’il n’ait pas rechigné à un changement de camp), le colonel se trouble, grisonne, se dématérialise.
Comme la Ville où il opère, noyée sous la pluie, comme le général qui réalise la précarité de son statut, comme le subalterne qui ment sur les réussites militaires, comme l’ordonnance qui pense à tout sauf au spectacle morbide auquel il doit assister.
Ce récit d’Emilienne Malfatto est encore une très belle réussite. J’ai lu qu’elle avait écrit ce court roman avant « Que sur toi se lamente le Tigre » et cela se ressent un peu. J’ai trouvé ce récit peut-être un peu moins abouti, un peu moins percutant mais tout aussi émouvant.
Il interroge sur la guerre et sur la vacuité de celle-ci, où les atrocités sont, au final, commises par tous les protagonistes. Une situation où tous subissent cette déshumanisation, cette désespérance et ce, peu importe les raisons du combat.
Un roman qui interroge, interpelle, déstabilise le lecteur et qui ne s’oublie pas après la dernière page tournée.
Je me réjouissais de retrouver l’auteure après son magnifique 1er roman : « Que sur toi, se lamente le Tigre ».
Comme les athlètes de haut niveau, difficile de refaire la même prouesse.
Le sujet était pourtant intéressant : le colonel spécialiste en tortures ne dort plus. Les fantômes qu’il a fait souffrir ne le laissent plus en paix.
Sujet intéressant, mais traitement poussif.
Je suis allée jusqu’au bout, mais je me suis ennuyée, tellement cela tourne en rond, sans progression dramatique.
Dommage. C’est un rude métier que celui d’auteur et il est impossible d’embarquer son lecteur à chaque fois.
J’attends donc avec confiance le 3ème roman d’Émilienne Malfato.
Cela pourrait être n’importe où et n’importe quand, mais les lieux foulés par l’autrice dans le cadre de sa profession, du coté du moyen orient ont sans doute inspiré ce conte philosophique. Trois personnages, l’ordonnance, le colonel et le général sont les acteurs d’un conflit dont on ne connaît ni les origines, ni les objectifs ni l’évolution. Seule une pratique, commune à tous les conflits est évoquée et fait l’objet de cette narration, la torture. Le colonel, bon petit soldat semble être parvenu à un détachement psychologique lui permettant d’effectuer les pires horreurs pour briser la vie des prisonniers qu’il interroge, mais, les apparences sont trompeuses et ses exactions sont à l’origine de troubles affectant durablement son sommeil. Les faits sont suggérés, et on ne mesure leur gravité qu’aux effets qu’il produisent sur les protagonistes. Les passages narratifs du quotidien sont entrecoupés par des réflexions de conception poétique sur les remords, la culpabilité et des dialogues entre morts et vivants, bourreaux et victimes. Cette évocation, désincarnée touche le lecteur par sa forme et l’absence de descriptions gore forcent l’imagination de leur violence et leur gravité. Une petite touche d’humour dans cet univers angoissant et glauque émerge avec l’attitude de ce général fou qui s’abrite sous un parapluie des fuites d’eau de son bureau et qui profite de son environnement aquatique pour sortir sa canne à pêche !
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