"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Mai 1945. Dans les ruines de Berlin, deux orphelins juifs assistent apeurés à la victoire soviétique. Réfugiés à Leipzig, Konrad et Andreas Werner deviennent citoyens Est-allemands. C'est la marche de l'histoire.
Juin 1956. Les deux frères ont rejoint les rangs de la Stasi pour échapper au camp de rééducation. Ils seront les fils de l'Est.
Juin 1974. Lors de la 10ème coupe du monde de football, un match historique va opposer la RFA et la RDA. C'est le match de la guerre froide. Le retentissement est mondial.
Pour faire gagner la RDA, Erich Honecker décide d'impliquer les meilleurs agents de la Stasi. Il faut prouver la supériorité du régime socialiste sur le monde capitaliste. Konrad Werner est infiltré depuis des mois dans l'équipe de la RFA. Andreas Werner fait partie de la délégation de RDA. Voilà douze ans qu'ils ne se sont pas vus.
Le choc des deux bloc va ébranler leurs convictions.
Deux ans après leur succès avec « Le voyage de Marcel Grob » (120 000 exemplaires vendus), le duo Collin - Goethals récidive et nous propose « la patrie des frères Werner ». On franchit le Rhin et ce deuxième opus commence là où le premier s’arrêtait : à la fin de la seconde guerre mondiale. La couverture de ce nouvel album reprend la maquette du premier : même typographie, avec le titre placé en bandeau sur le tiers inférieur. Même reprise d’une légende avec une date de la couleur du titre : au « JUIN 1944, un jeune français de 17 ans est enrôlé dans la Waffen SS » fait écho le « JUIN 1974 : orphelins de guerre, deux espions communistes se retrouvent pour el match de l’Est contre l’Ouest » et même attitude enfin de Marcel et d’Andreas tous deux de trois quarts. Il me semble qu’il y a donc une volonté affichée de la part des auteurs non pas de surfer sur une recette éprouvée mais de construire ces œuvres en miroir voire en diptyque : après avoir montré une jeunesse prise en otage par la machine nazie, les auteurs vont raconter comment le communisme a également façonné une jeunesse perdue.
Dans « Le voyage », la période contemporaine était en couleurs et les souvenirs au lavis. Ici toute la bande dessinée est au lavis et chaque séquence est réalisée dans différentes palettes toutes en bichromie oscillant entre l’ocre rouge ou rosé, le sépia, le jaune, le gris vert et le gris bleuté. Sébastien Goethals est assisté pour ce faire par Horne Perreard et c’est très réussi. La mise en page est classique et oscille entre 6 et 9 cases donc reste plutôt aérée même si l’on ne compte qu’une pleine page. On y retrouve les gouttières et il n’y a pas d’incrustations mais des cases bien délimitées. Contrairement à l’ouvrage précédent, il n’y a pas d’analepses mais un récit linéaire et chacune des séquences est souvent datée de surcroît ce qui favorise grandement la lisibilité.
La narration est donc très fluide. C’est nécessaire pour une histoire aussi complexe. On a à la fois un récit historique, une histoire familiale, une tranche d’histoire du sport et un récit d’espionnage. « Le voyage de Marcel Grob » était basé sur des faits réels (la biographie du grand-oncle du scénariste), ici on a un mélange : le match de foot et les joueurs sont bien sûr authentiques mais les frères Werner sont inventés. Le récit évite le didactisme tout en étant prenant puisqu’il est effectué à hauteur d’homme et mélange la grande Histoire à des destins individuels. Collin est chroniqueur de « l’œil du tigre » et il parvient à rendre palpitant un match de foot (sport que je déteste !) grâce à un exposé très clair de tous les enjeux géopolitiques.
On a la chronique d’un double destin. Et la mise à mal des liens du sang par idéologie. Ainsi la relation des frères Werner est comme une métaphore de la destinée des deux Allemagnes. Les dialogues sonnent justes et de nombreuses pages muettes sont elles aussi très efficaces (la découverte émerveillée par Andreas de sa chambre d’hôtel fort commune qu’il juge très luxueuse est évocatrice du dénuement qui règne en RDA).
Le graphisme est élégant, la mise en page aussi bien que très classique. Goethals a gagné en fluidité : ses personnages sont moins figés. Les cadrages pour le match de foot sont innovants. J’ai beaucoup aimé le surdécoupage et le ralenti de l’action au moment du but fatidique de la RDA. En revanche je trouve que les personnages féminins sont très souvent ratés : Steffi Herzog ou la prostituée de Hambourg sont « hommasses ». La directrice de l’hôtel ne se ressemble plus d’une case à l’autre. Les traits de Konrad et Andreas adultes sont aussi fluctuants ce qui peut parfois nuire à la lisibilité. Les personnages d’après nature (les joueurs), les héros enfantins et les regards sont eux réussis et expressifs.
Collin a réussi à donner toute la complexité des relations fraternelles et c’est le point fort de cet album. Les caractères sont bien typés avec l’aîné réfléchi et avide de reconnaissance (qui se trouve un père de substitution avec Gronau et surinvestit la mère patrie) tandis que le cadet, plus chien fou, met en doute « au nom du père », la doctrine de la RDA (qui occulte sa judéité et ne reconnaît pas le massacre de ses parents). J’ai beaucoup aimé l’utilisation de l’épisode historique des « enfants-loups » pour créer le lien indissociable entre les deux frères. Leur relation est au cœur de l’histoire et crée des enjeux dramatiques et des conflits de loyauté. Il n’y a pas de manichéisme même dans l’histoire amoureuse qui va lier Steffi et Andreas. L’épilogue de 1992 lie encore une fois superbement la destinée des héros et des sœurs ennemies que sont RFA et RDA en montrant le match de la réconciliation. La boucle est bouclée : tous les thèmes historique, intime et sportif sont à nouveau liés dans un scénario maîtrisé. Un bel album.
La patrie des frères Werner lu et chroniqué avec SophieWag Deux frères orphelins, se retrouvent seuls dans Berlin après la guerre. Recueillis par des Allemands à Leipzig, ils deviennent citoyens est-allemands par la force des choses. Enrôlés par la Stasi, ils vont avoir tous deux des missions différentes. Konrad sera infiltré à l'ouest tandis qu'Andréas devient le kiné de l'équipe de foot de la RDA. En 1974, après 12 ans de séparation, les deux frères vont se recroiser lors de la coupe du Monde de football. Les liens sont toujours très forts entre eux mais les enjeux nationaux et idéologiques sont importants également.
Un roman graphique magnifiquement orchestré: scénario et graphisme apportent chacun sa part de mystère et de révélation. Un dossier historique très documenté complète le tout. Un chef d'oeuvre tant graphique qu'historique.Une bande dessinée historique de Philippe Collin et Sébastien Goethals sur les deux Allemagne entre 1945 et la Coupe du Monde de football de 1974. Un scénario digne des films sur la Stasi et des dessins qui portent l'histoire, à lire absolument!
Philippe Collin et Sébastien Goethals signent ce gros album : La patrie des frères Werner qui retrace pas moins de cinquante ans de la grande Histoire allemande à travers la petite histoire de deux personnages.
En 1945, les frères Werner sont à peine adolescents, orphelins de guerre, ils tentent de fuir les ruines de Berlin et l'avance des russes qui mangent les enfants.
Ils grandiront du côté est du rideau de fer et se trouveront embarqués de gré ou de force dans les rangs de la fameuse Stasi, au cœur de la guerre froide.
Le 22 juin 1974 ils seront à Hambourg lors du match mémorable de la Coupe du Monde où les équipes de RDA et RFA s'affrontent pour la première (et la dernière) fois.
Un match sous haute tension et à forts enjeux politiques, un peu l'équivalent à l'échelle allemande du tournoi mondial d'échecs Spassky-Fisher en Islande en 1972.
C'est ce parcours que retrace la BD illustrant le destin d'un pays à travers celui des deux frangins.
Une histoire bien connue mais qu'il n'est jamais inutile de réviser. De plus, un petit dossier rédigé par Fabien Archambault vient clôturer intelligemment la leçon d'Histoire, dossier où l'on apprendra quelques détails peu connus notamment sur la séparation entre RDA et RFA (qui n'a vraiment eu lieu qu'en 1949, quelques années après la guerre) ou sur la place du foot dans cet échiquier complexe.
Cette BD réserve d'autres surprises comme le récit en images de ce mémorable match, un récit qui passionnera même ceux qui n'aiment pas trop le foot.
Même pour celles et ceux qui n'aiment pas trop le foot.
Konrad et Andreas Werner, deux frères orphelins, se retrouvent seuls dans Berlin après la guerre. Recueillis par des Allemands à Leipzig, ils deviennent ainsi citoyens est-allemands . Enrôlés par la Stasi, ils vont avoir tous deux des missions différentes. Konrad sera infiltré à l'ouest tandis qu'Andréas devient le kiné de l'équipe de foot de la RDA. En 1974, après 12 ans de séparation, les deux frères vont se recroiser lors de la coupe du Monde de football. Les liens sont toujours très forts entre eux mais les enjeux nationaux et idéologiques sont importants également.
Un roman graphique magnifiquement orchestré: scénario et graphisme apportent chacun sa part de mystère et de révélation. Un dossier historique très documenté complète le tout. Un chef d'oeuvre tant graphique qu'historique. J'ai adoré!
Chers Philippe Collin et Sébastien Goethals,
voici un deuxième courrier. Ce n’est pas une relance. Vous n’avez rien n’à vous acquitter. Vous n’aurez pas de pénalités de retard.
Ma première missive, vous concernant, était pour votre précédent ouvrage : “le voyage de Marcel Grob”.
Cher Philippe Collin, vous avez le don de nous raconter des histoires. Immiscer, infuser, subtilement, celles-ci dans la grande Histoire.
La bonne idée : jouer du mimétisme comme d’une arme d’efficacité massive.
Deux frères (les Werner). Deux sœurs (la RFA et la RDA). Un livre sur la fraternité, la séparation, la trahison, le pardon, la réconciliation….
Dans “la patrie des frères Werner”, nous oscillons sans cesse entre fiction et faits historiques. Entre passion fraternelle et soumission idéologique. Entre sport et politique. Entre l’Est et l’Ouest.
Et au milieu coule une guerre froide que le graphisme de cet ouvrage tant à “sublimer” (cher Sébastien, celle-là est pour vous !)
Mais qui sont les frères Werner, tout droit sorti du cortex cingulaire postérieur, pour le moins inspiré, de Philippe Collin ?
Andreas et Konrad Werner sont deux frères, liés par le sang sur les ruines de Berlin en 1945. Au gré de leur pérégrination de fin de conflit mondial, ils se verront incorporés dans la STASI (la police politique Est allemande).
Attention, ici, le mur qui cicatrise les terres germaniques, qui le saigne, a des oreilles. La lecture rend palpable la chape de plomb posée sur ses hommes et ses femmes. Sur la régnante méfiance des uns envers les autres. Et vice-versa.
L’intrigue se joue à la limite de deux plaques tectoniques. Entre deux pays que tout sépare, si ce n’est le sang versé pour l’Histoire.
“Le foot n’est pas une question de vie ou de mort, c’est bien plus important que cela.”
Bill Shankly
Bon, c’est bien beau, mais le sport dans tout ça ?
C’est là, l’idée géniale. Envoyer tout ce petit monde en juin 1974 en Allemagne de l’Ouest pour la rencontre de football, sans doute, la plus historique. Celle qui opposa la RFA à la RDA lors des phases éliminatoires de la Coupe du monde. Il faut remettre dans le contexte, les relations sont plus que tendues. Les murs sont encore loin de tomber. Ce match revêt, surtout pour l’Allemagne de l’Est, une importance capitale.
Au niveau sportif, c’est David contre Goliath, le rideau de fer contre le rideau de terre.
“Il était une fois dans l’Ouest” ou “À l’Est d’Éden” ? Choisi ton camp camarade !
Je me garderai bien, là, de dévoiler le fin fond de l’histoire. Pour le résultat du match de football, il est facile de le connaître, mais pour le reste…
En filigrane de cette histoire, la question : jusqu’où peut-on aller par idéologie ? Vous avez deux heures ! C’est justement le temps de lecture de cette bande dessinée.
Et les frères dessinés !
Chers Philippe et Sébastien, je vous adjure de nous sortir un troisième volet. Et jamais deux sans trois courriers.
Sébastien Beaujault
“La patrie des frères Werner”
Philippe Collin et Sébastien Goethals
Editions Futuropolis
Il n'y a pas encore de discussion sur ce livre
Soyez le premier à en lancer une !
"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L'auteur se glisse en reporter discret au sein de sa propre famille pour en dresser un portrait d'une humanité forte et fragile
Au Rwanda, l'itinéraire d'une femme entre rêve d'idéal et souvenirs destructeurs
Participez et tentez votre chance pour gagner des livres !