"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
«Souvent la nuit je rêve de toi, mon Joe. Nous marchons côte à côte sur une plage de Californie, sur un sentier en Crète, le long d'un trottoir de New York, à Paris au jardin des Tuileries jusqu'à cette statue représentant l'homme et sa Misère. Tu te voyais comme un divertisseur qui, à défaut de pouvoir changer le monde, s'était fixé pour mission d'apporter un peu de joie et de légèreté. J'avais une conception différente du métier d'artiste. Pour moi, la fonction première d'un film, d'un livre ou d'une chanson était de dénoncer les outrages et les injustices.» Hollywood Forever Cemetery, 20 août 1981. Un vieil homme cherche la tombe de son fils. L'homme est Jules Dassin, grand cinéaste américain qui, un an plus tôt, a enterré ici Joe Dassin, chanteur au succès planétaire emporté par un infarctus à l'âge de quarante ans. Au crépuscule de sa carrière, Jules a une idée de documentaire : pour rendre hommage à Joe, il évoquera tous les 20 août de sa vie trop brève. Portrait croisé de deux artistes farouchement indépendants, ce roman est avant tout une exploration poignante d'une relation père-fils et un voyage nostalgique à travers le XX? siècle.
Le père et le fils parti trop tôt
Dans «Jules et Joe» Alexis Salatko retrace les vies du cinéaste Jules Dassin, de son épouse Melina Mercouri et de leur fils, le chanteur Joe Dassin. L’occasion de revenir sur trois carrières exceptionnelles, mais aussi de retraverser le XXe siècle et de plonger dans une intimité où les bonheurs se mêlent aux regrets.
Le chapitre initial de cet émouvant roman se déroule en août 1981 et raconte le pèlerinage de Jules Dassin sur la tombe de son fils Joe. Dans ce Forever Cemetery de Los Angeles, la stèle funéraire indique sobrement «5 NOVEMBRE 1938-20 AOÛT 1980». Quelques objets ont été déposé par des admirateurs et viennent rappeler à cet homme meurtri qu'il n'est pas seul avec sa peine.
Après cette ouverture, Alexis Salatko revient à la chronologie et retrace les débuts new-yorkais de l'émigré Jules Dassin. Nous sommes en 1938. Le jeune homme est «acteur-ouvreur-chaisier dans un théâtre yiddish populaire en alternance avec ses camarades Nicholas Ray, Joseph Losey, Elia Kazan, Edward Dmytryk, tous fils de déracinés comme lui.»
Son épouse, Béa Launer, émigrée tout comme lui, est violoniste. Pour l'heure, elle répète avec un ventre bien rond. Dans quelques jours, elle mettra au monde Joseph Ira qui passera à la postérité sous le diminutif de Joe.
Mais en cette période de montée des tensions, il faut d’abord penser à survivre, car la crise s'installe durablement.
La solution viendra de Californie et des studios d'Hollywood où Jules finit par trouver du travail. Il sera l'assistant du grand Alfred Hitchcock avant de se voir proposer un premier contrat par la MGM. Après des films de commande, il est engagé chez Universal et réalise deux films qui seront modifiés par la production. Il rejoint alors la Fox et réalise son premier grand film, Les Forbans de la nuit, «œuvre surgie du chaos, qui deviendra pourtant un classique du film noir.» Malgré les heures sombres et la Guerre, son avenir semble tout tracé. Mais c'est oublier le sénateur McCarthy et sa chasse aux communistes. Jules est contraint de s'exiler. Il va d’abord retrouver Hitchcock en Angleterre. «Après Londres, ce fut Rome et, après Rome, Genève puis Paris.» Période mouvementée qui va contraindre Jo et ses sœurs à changer onze fois d'école. Jules était traqué et menacé, mais pouvait poursuivre sa carrière de cinéaste en Europe. C'est en 1955 avec Du rififi chez les hommes, Prix de la mise en scène à Cannes, qu'il obtiendra la reconnaissance de ses pairs et fera la rencontre de la flamboyante Melina Mercouri. «Entre la déesse grecque aux yeux d’or et le réalisateur slave aux yeux bleus, c'était désormais à la vie à la mort. (...) Chiffres en main, elle lui avait expliqué qu'ils étaient prédestinés: ils s'étaient rencontrés un 18 mai, il était né un 18 décembre et elle, un 18 octobre, bref c'était inscrit dans les astres, les dieux s'étaient manifestés, ils n'y pouvaient rien, le destin avait frappé.»
Il quitte Béa, amadoue son fils en lui trouvant un rôle dans son nouveau film aux côtés de Melina et marche vers la gloire.
Avec Jamais le dimanche et sa chanson qui fera le tour du monde et obtiendra un Oscar, Les enfants du Pirée, Melina décroche le Prix d'interprétation féminine à Cannes. «Devant l'entrée des cinémas qui affichent DASSIN-MERCOURI, LE DUO DU SIÈCLE en lettres géantes, il y a de quoi perdre la raison, c'est humain. Nous nous laissâmes délicieusement submerger par ce tsunami d'honneurs et d'émotions.»
Le paradoxe veut que ce soit aussi durant cette époque grecque que Joe, qui s'est longtemps cherché, va trouver sa voie, sa femme, quelques amis fidèles. Finie les apparitions dans les films de son père, il est désormais un chanteur adulé qui voit les succès s’empiler. Mais pour le fils de Jules, cette gloire ne vient couronner qu’un art mineur.
Si le roman est parfaitement documenté et court sur tout le XXe siècle, ou presque,
Alexis Salatko choisit de le centrer sur les rapports père-fils. Il donne ainsi à ces trois biographies – celles de Jules, Joe et Melina – l’aspect d’une quête intime. Et touche au cœur. Pour cela, il n’a pas besoin de s’embarrasser de fioritures ou de grandes envolées lyriques. Les faits, racontés dans un style classique et limpide, suffisant à dire la douleur d’un père, ce sentiment de culpabilité qui l’habite désormais. Nous sommes alors bien loin de l’hagiographie ou de livre pour les inconditionnels du chanteur des Champs-Élysées, de l’Amérique ou de L’été indien, mais bien plus proches de la tragédie… grecque.
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Alexis Salatko raconte la vie de Jules Dassin à travers le récit de la journée anniversaire de la de mort de son fils, Jo Dassin, le 20 août 1981. Alors, chaque année le 20 août, le narrateur décrit, comme un journal, sa vie de cinéaste, celle de sa première femme Béatrice Launer, violoniste réputée, puis la naissance de leur famille avec Joe, l’aîné, etc.
Une vie à travers la même date au fil des années
En chapitres courts, Alexis Salatko brosse les dégâts du maccarthysme dans le Hollywood des années cinquante et la faille dans la vie de Jules. Puis arrive la rencontre avec la fulgurante Melina Merouri, son divorce et son remariage. Parallèlement, Joe grandit et découvre ses combats mais aussi ses addictions, jusqu’à sa mort.
Évidemment, le fonds documentaire est fourni et richement mis en scène. Mais, au-delà des vies d’artistes, Alexis Salatko raconte la relation particulière d’un père originaire d’Odessa essayant de se faire reconnaître par sa patrie d’adoption et qui incarne difficilement son rôle de père. Les rendez-vous manqués sont autant de pierres qui pèseront dans la vie du fils.
Alors, lorsqu’à son tour, Joe découvre qu’il rencontre du succès, il ne saura jamais si celui-ci n’est pas dû à la notoriété de son père. Un père si absent qu’il en est omniprésent dans une chanson de son fils: ” L’Amérique, L’Amérique si c’est un rêve, je veux rêver “, lui, l’américain à part entière.
“Joulius”, comme le dit Melina, est un homme trop préoccupé par sa propre reconnaissance, fils de barbier de Harlem, qui ne parle jamais de ses blessures et de ses difficultés à vivre son exil d’Odessa.
Puis apparaît la personnalité de Melina. Jeune, elle était une bimbo bouillonnante. Malgré l’acharnement de Jules, il sera difficile que son métier de comédien vienne combler toutes ses envies. Le portrait qu’en fait Alexis Salatko est attachant faisant ressortir les enjeux entre conscience politique et carrière artistique.
Roman attachant
Alexis Salakto réussit parfaitement à montrer les failles de Joe. Il le présente comme un artiste à la conscience sociale affirmée, mais qui voulait soigner son manque de confiance par un perfectionnisme intransigeant. Joe voulait lui aussi réussir pour être reconnu par son père mais voulant vivre une vie, à pêcher et taper dans une balle blanche et dormir dans des lieux inconnus.
Le roman, Jules et Joe, est très réussi se lisant aisément et avec intelligence narrative, transporte de l’industrie cinématographique d’Hollywwod au milieu artistique français en passant par la dictature grecque. Mais, surtout, Alexis Salaktos en profite pour disséquer les conséquences, souvent invisibles, de l’exil. Un roman très agréable !
Chronique illustrée ici
https://vagabondageautourdesoi.com/2023/11/05/alexis-salatko-jules-et-joe/
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