"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Années 2010, un journaliste vit de l'intérieur les convulsions de l'entreprise de presse pour laquelle il travaille depuis un certain temps : rachat, brutalité managériale, obsession du profit envers et contre tout... À l'occasion d'un plan de départs volontaires, il prend ses cliques et ses claques en saisissant au vol une opportunité de reconversion professionnelle. Mais, dans les méandres des organismes de formation qui sont un business à part entière, rien ne va se passer comme prévu, sous le regard de l'ex-homme d'information qui est aussi poète à ses heures perdues.
Au fil de ce roman, Eric Faye brosse le tableau d'une classe moyenne incapable de résister à l'offensive néo-libérale et de se mobiliser lorsqu'elle est attaquée.
Dans sa course au profit, la pourtant florissante agence de presse américaine MondoNews a commencé, depuis quelque temps déjà, la délocalisation de ses bureaux européens vers des pays à bas coûts. C’est maintenant le tour du bureau parisien, où un plan de départ volontaire vient tendre encore l’atmosphère kafkaïenne entretenue par les nouvelles méthodes de management du groupe. Mais tous les salariés n’y seront pas éligibles. A 57 ans et avec trois décennies d’ancienneté, le journaliste Aurélien Babel se retrouve au coeur d’une lutte pour le moins paradoxale : celle pour le droit d’être viré.
Eric Faye a longtemps exercé la profession de son personnage principal, et si son livre est un roman à part entière, avec sa part de réécriture de la réalité en même temps que d’invention de ses protagonistes, c’est tout de même bien un témoignage de son expérience qu’il nous livre ici, en insistant sur sa représentativité quand son vague alter ego déclare qu’il est la foule, cette « part de la foule qui, dans ces années 2010, forme sans doute la première génération à avoir autant peur en temps de paix », et en lui insufflant une dimension politique, quand, en regard du titre renvoyant à une remarque d’Emmanuel Macron à un chômeur, il pointe, dans cette « petite saga des années 2010 », l’évolution récente des entreprises privées, du secteur de l’information mais pas seulement, dans une logique à ce point exclusivement financière qu’elle finit par devenir leur unique raison d’être, au grave détriment de l’éthique et de l’humain.
A l’approche d’une soixantaine qui ne lui laisse aucune illusion sur ses chances de retrouver un emploi ailleurs, Aurélien Babel constate qu’en externalisant et en délocalisant à tour de bras pour profiter d’une main d’oeuvre bon marché, ici sans métier ni qualification, MondoNews « est en train d’inventer le journalisme sans journalistes » et que c’est toute sa profession qui se retrouve dévoyée par la pression du « bankable ». L’information rentable, celle qui génère les clics, se met à prendre le pas sur une information parfois plus cruciale. Cette presse-là, qui ne se donne plus la peine d’investiguer ni de vérifier, manque à son rôle de fond et à sa fonction, essentielle pour la démocratie, de contrepoids aux différents pouvoirs.
Et puis, plus globalement, de décisions bêtement financières en absurdités bureaucratiques – comme ce formulaire en anglais transitant par l’Inde pour parvenir au siège et bloquant pendant des jours le simple remplacement du clavier d’ordinateur d’un Aurélien Babel privé de son plus indispensable outil de travail – , se développent au sein des entreprises des systèmes kafkaïens, où plus rien d’humain n’a de place. Pourtant, accrochées à leur salaire et à leur aisance, ces classes moyennes supérieures qui, corvéables à merci, explosent sous la pression des organisations qui les emploient, loin de lutter et de se défendre collectivement, se contentent de se faire la guerre dans une compétition acharnée qui achève de rendre leur quotidien infernal. Chez MondoNews, c’est à qui marchera sur son voisin pour bénéficier du plan de départ volontaire : un triste privilège qu’il faut conquérir de haute lutte…
Avec un humour et un style qui font de cette lecture un régal, Eric Faye met en scène un Lucien de Rubempré contemporain qui a perdu au moins autant d’illusions qu’en son temps, celui de Balzac. Sa si juste observation des métamorphoses actuelles de l’industrie de la presse, entre mondialisation et dumping social, interroge, plus globalement et au-delà de tout clivage politique, sur la place de l’homme dans le travail et sur les grandes orientations sociales du monde de demain. Coup de coeur.
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