"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
ENTRE 1868 et 1869, quatre très jeunes femmes convergent vers Lyon pour travailler dans la première branche mécanisée de l'industrie de la soie : « ovalistes », elles garniront les bobines des moulins (ovales) afin de donner au fil grège la torsion nécessaire au tissage.
Rien ne les destinait à se rencontrer, hormis la nécessité de gagner leur vie : Toia est piémontaise, le curé du village l'a recommandée au colporteur chargé de recruter des filles de bonne moralité comme ouvrières non qualifiées. Ne sachant ni lire ni parler le français, elle arrive seule à Lyon en diligence, l'adresse de l'atelier notée sur un papier qu'elle montre à qui pourra l'aider.
Il en va de même pour Rosalie Plantevin, originaire de la Drôme où sévit la maladie du mûrier : elle n'a pas trouvé à s'y employer pour nourrir son enfant, laissé en pension à sa soeur. Marie Maurier, elle, vient de Haute- Savoie, où son père est carrier. Vive, drôle, elle amusera tout le monde, dans son atelier de la Guillotière. La très blonde Clémence Blanc est la seule Lyonnaise du quatuor, que révolte la mort en couches de l'amie avec qui elle partageait un minuscule garni.
Dans une magnifique métaphore autour de la forme ovale - celle du moulin, celle du stade -, Maryline Desbiolles imagine ses quatre personnages en relayeuses se passant le témoin pour une course qui les mènera, non pas à un record, mais à devenir parties prenantes d'un événement d'importance : la première grève de femmes de l'histoire.
C'est en juin 1869 que Philomène Rozan, figure bien réelle que l'autrice met en scène en camarade d'atelier de Clémence, prend la tête du mouvement :
Pour énoncer leurs revendications salariales, demander de meilleures conditions de travail et de logement et poser un préavis de grève, les filles ont recours à un écrivain public. Les maîtres mouliniers font bien sûr la sourde oreille. Elles s'enhardissent pourtant et, pendant quelques jours, le mouvement va s'amplifier. Le livre avance alors au rythme exaltant d'une troupe féminine s'autorisant enfin à cesser de courber l'échine :
Nos quatre relayeuses y apparaissent comme en couleur, dans une foule anonyme en noir et blanc, titubantes dans l'élan de leur propre audace.
La course aura été belle, Philomène Rozan repérée par Marx lui-même pour participer au congrès de l'Association internationale des travailleurs à Bâle, en septembre de cette année 1869. Mais trois hommes iront finalement à sa place, dont Bakounine.
L'acuité, la poésie, l'humour, la concision de l'écriture font ici merveille pour donner voix et corps à ces oubliées de l'histoire.
En juin 1869 eut lieu la première grève de femmes, celle des ouvrières de la soie à Lyon. Exploitées, mal logées dans des dortoirs sans air, elles réclament le même salaire que les hommes et une réduction du temps de travail et des pauses alors que la journée compte douze heures de travail debout.
Cette main d’œuvre féminine bon marché et peu qualifiée vient des campagnes pauvres ou du Piémont voisin. Ce sont des « ovalistes », chargées de garnir l’ovale, c’est à dire les bobines qui torsadent le fil de soie qui sera ensuite tissé.
« La soie ovalée composée de huit, douze ou seize brins de soie grège tordus, chacun séparément puis ensemble, en sens inverse. Car il s’agit de donner de la force au fil, et même une force extraordinaire afin qu’il résiste aux extensions et aux fatigues du travail de l’étoffe. »
L’auteure a choisi de suivre quatre de ces humbles ovalistes qui vont se mettre en grève et tenter d’infléchir leur destin. Toia la piémontaise, Rosalie, Marie ou encore Clémence la lyonnaise, elles sont quatre, comme les quatre relayeuses du quatre fois cent mètres. Pourtant « en 1868, les femmes ne courent pas, on l’a assez dit, ou alors en cas d’urgence et empêtrées dans leurs jupes. » Pourtant, c’est bien d’une course qui s’agit, une course contre la pauvreté et le malheur, une course avec passage de témoin pour les femmes qui viendront après elles et qui lutteront pour plus de justice et d’égalité.
Cette première grève connue initiée par des femmes sera suivie, un an plus tard, de la Commune où les femmes auront un rôle à jouer.
« Et puis ce sera la Commune où les femmes, qui soutiennent leur mari, leur frère ou leur père en grève, sont à leur place. »
Le roman est bien documenté sur l’époque et le travail harassant des ovalistes. On suit le mouvement à travers le regard des quatre ouvrières. A les côtoyer ainsi on entre dans leur vie, on découvre leurs rêves et leurs aspirations.
Maryline Desbiolles a su nous rendre ces trois femmes émouvantes et très proches. Nous découvrons la condition difficile, révoltante de ces ouvrières reléguées au plus bas de l’échelle et qui triment douze heures par jour pour une misère. Souvent, elles tombent malades et meurent d’une phtisie ou autre chose, tant leurs corps sont malmenés, épuisés.
Rendre hommage à ces anonymes qui ont osées se révolter contre l’ordre masculin et celui des patrons était important et nécessaire. Voilà qui est fait, avec une verve créatrice et une écriture élégante et vive, à travers les biographies romancées de ces quatre ovalistes. Un roman qui se lit avec plaisir et curiosité.
Le fil de soie grège ne peut être tissé directement. Il faut le rendre plus résistant en le moulinant, c’est-à-dire en lui faisant subir une torsion avant de l’enrouler sur les bobines de moulins rendus plus performants par leur forme ovale. Au milieu du XIXe siècle, cette opération emploie des milliers d’ouvrières en France, dont beaucoup dans la région lyonnaise où on les appelle les ovalistes. Sans qualification, elles travaillent douze heures par jour, sont payées à la pièce bien moins cher que leurs homologues masculins, et comme on les recrute dans les campagnes environnantes et même jusqu’au Piémont, elles s’entassent dans des dortoirs insalubres et surpeuplés, totalement assujetties au strict règlement de leurs « usines-pensionnats ». A l‘été 1869, ces filles illettrées, qui se voient contraintes d’avoir recours à un écrivain public pour exposer leurs revendications, se mettent en grève, réclamant un meilleur salaire et un temps de travail réduit. C’est la première grève de femmes connue. Elle va durer un mois, se solder par des emprisonnements et des expulsions des ateliers-dortoirs, avant que le travail ne reprenne sans aucune avancée significative. Elle marque cependant l’histoire d’une pierre blanche, celle qui inaugure la longue lutte dont les femmes se sont passé le relais jusqu’à aujourd’hui pour l’amélioration progressive de leur condition.
Cette image du passage de relais entre les femmes s’est si bien imposée à l’auteur lorsqu’elle s’est intéressée à la grève des ovalistes qu’elle en a fait le fil conducteur de son roman. Soif d’émancipation, prise de conscience de leur sororité face à la toute-puissance des hommes et des employeurs qui les traitent en « bonnes filles » modestes et dociles : sans violence ni sang versé, avec la seule calme détermination née d’un trop-plein d’injustice et de servitude silencieuse, ces femmes sont les premières, non pas à se révolter, mais à en prendre l’initiative. Ce sont elles qui s’autorisent enfin à ne plus courber l’échine. Et même si elles n’obtiennent pas gain de cause, elles sont des pionnières qui ouvrent à leurs semblables, femmes de leur temps ou des générations à venir, le long chemin du féminisme. Alors, à cette troupe en jupons perdue dans l’oubli incolore de l’anonymat, Maryline Desbiolles a choisi de prêter quatre visages imaginés comme en technicolor, leur redonnant chair et vie en quelques scènes croquées sur le vif, et insistant sur la sororité des femmes par-delà les siècles.
Jonglant avec les mots et les images dans une langue courant comme une rivière en longs rubans de phrases non dénuées de poésie, l’écrivain met l’originalité, probablement clivante, de son style au service d’un roman social et féministe, construit sur un fait historique oublié pour mieux inviter les femmes à reprendre le flambeau de la lutte.
Les sans-grades, les oubliés de l’histoire, les invisibles, ne souffrirons pas de ce statut dans le roman de Maryline Desbiolles, Il n’y aura pas de sang versé. Celui-ci met en scène quatre femmes, Toia, Rosalie Plantavin, Marie Maurier, Clémence Blanc. Elles ont peu de points communs quant au parcours initial de leurs vie, souvent caractérisé par la misère , une souffrance familiale, un manque d’éducation . Pour Maryline Desbiolles, c’est une comparaison sportive qui s’impose pour éclairer et expliciter le sort de ces femmes, et les relier entre elles, celle des relayeuses d’un parcours athlétique . Ces femmes ont en commun d’être des ouvrières ovalistes, lorsqu’elles sont embauchées à différents moments dans les usines textiles de l’agglomération lyonnaise. Leur rôle est de garnir les bobines des moulins ovales et de surveiller la torsion nécessaire à donner au fil grège.
Dans leur parcours, il y a l’espérance d’échapper à la misère, de trouver une vie meilleure, c’est souvent la cause première de l’émigration vers un autre pays : « Toia serait logée, nourrie, à l’atelier, avec d’autres bonnes filles comme elle, des ovalistes on les appelle. » Pour Rosalie Plantavin, c’est le souvenir de sa famille qui lui donne l’énergie indispensable pour survivre dans ce nouveau milieu, impersonnel, mais où elle trouve de l’humanité et du réconfort : « Avec Thérèse, elle va au café, un vinaigre, comme l’appelle Thérèse, où on boit du vin et de l’eau-de-vie. C’est la première fois que Rosalie Plantavin entre dans un café ;(…) Je suis une femme qui tombe, je suis une femme qui boite, je suis une femme qui rit, je suis une femme qui pleure, et de se savoir capable de toutes ces choses la réconforte grandement. »
Au cours de leur participation à la grève survenue en juin 1869, ces femmes se confrontent à la réalité sociale et économique, à l’apprentissage de la rédaction et de la formulation de leurs revendications, ces dernières démarches étant grandement facilitées par l’entremise d’un écrivain public, Monsieur Bosquier.
Même si ces demandes ne sont pas toutes satisfaites à bref délai, c’est une étape qui est marquée dans leurs vies, un point d’ancrage pour l’avenir , une leçon de vie administrée : « Jamais peut-être elles n’auront été autant elles-mêmes que ces jours et ces nuits-là , des mois de juin et juillet 1869 , à parler fort, à être d’accord, à ne pas être d’accord (…) Être soi-même en sortant de soi , consiste à éprouver ce que nous ignorons , une ferveur ? une joie ? la joie et la peur de trahir, les parents ? les patrons ? »
Le récit de Maryline Desbiolles nous plonge avec grand bonheur dans le ressenti individuel de ces ouvrières, dans leur découverte très personnelle de l’émancipation, des conflits sociaux , de la nécessite de l’éducation .Il rejoint ainsi la grande Histoire .
Il n'y aura pas de sang versé, un beau livre, pas véritablement un coup de coeur toutefois.
Sur fond d'histoire ouvrière, l'auteur crée une fiction qui déroule à travers le portrait de quatre jeunes femmes , la vie ouvrière dans les soieries lyonnaises en 1868-1869 jusqu'à la grève de juin 1869, menée par les femmes qui voient finalement leur mouvement confisqué par les hommes,
L'écriture suit le rythme de la course de relais .
Le récit donne vie à quatre jeunes femmes qui sortent ainsi de l'anonymat des 2500 ouvrières ovalistes des filatures, ce procédé rompt la distance temporelle et émeut le lecteur.Le titre souligne la vulnérabilité des femmes , « le sang » est celui de celles qui meurent en couches , de celles qui se blessent dans les ateliers , celui des jeunes filles qui le découvrent apeurées, images à la fois christiques et animales.
Toia, à quinze ans, quitte son Piémont , pour aller travailler dans un atelier de moulinage à Lyon.Elle vivra jour et nuit dans cet atelier, partagera le lit d'une autre ouvrière.
Rosalie, la relayeuse numéro 2 a 30 ans, travaille pour payer la pension de l'enfant qu'elle a eu malgré elle,
Marie Maurier travaille chez Pichat, elle vient de Mieussy, en Savoie.
La dernière coureuse Clémence Blanc est lyonnaise.Son amie ouvrière comme elle Suzette Cordier décède en 1869 à l'hospice de la Charité, l'accouchement s'est mal passé.
Les grèves commencent..,
la course commence avec du sang et des jupes sales qui ne devraient pas trainer
parce qu’une fille devenu femme avec accro
le rang et le genre étendard sanglotant
et puis le départ pour la grande ville
Lyon
une éternité
à travers les montages la première vendue à l’usine par colporteur au regard en dessous
pour la dot promise les dettes insoumises
avant cela "Le monde était ce qu’elle avait sous les yeux" ensuite
il se réduit encore
à l’usine
un texte a rebond vif en ébullition qui déborde avec justesse
une écriture presque mélancolique qui s’attarde sur les instant mais fait toute une vie
belle prouesse que de croquer autant avec si peu de mots et la lutte chante et la grève par les femmes vocifère
prendre le droit d’être bruyante
entendues
et des lettres en lutte pleuvent et la grève avance en voix de femme
réclame mieux équitable et l’histoire du travail des genres et cette perpétuelle digression entre la maison et le travail toujours payé en deçà voir pas
payé à hauteur à valeur moindre puisque femmes
être toujours le dominé de quelqu’un chuchote la voix au passage
celui des hommes celui des blancs celui des riches à décliner
et les femmes de mourir en couche de n’avoir pas dit non et la suivante de courir le corps en feu la rage pendue aux dents et la gifle d’atterrir sur une joue oratrice
et le déplacement des filles les régions esseulés de force vives pour quelques pièces sans même un lit à soi
Ovalistes aux ordres dit le loup de déployer sa puissance et les pauvres de survie triment
la fréquentation des arbres pour éponger le désespoir et mille voix se déploient pour convaincre
elles croient au soutien loi contre injustice
mais
et la prison de changer une vie en avalant les misères et les condamnations qui ne devraient pas en être
pas de sang mais de l’allant pour ne pas sombrer sous l’injure faite dominant
perdre ou gagner importe peu ce qui reste c’est la rue sans frôler les murs sans l’accablement
ce qui reste c’est la grandeur
faire corps en course cause commune les jambes s’ imbriquent les mains deviennent passages les femmes tissent les fils de soie pour plus de tout dans ces vies si courtes
1868 première grève de femmes la première entame les autres
donnent courage aux suivantes
une autrice nous rappelle que
J'ai terminé ce joli roman qui résonne étrangement avec l'actualité aujourd'hui.
Quatre portraits et histoires d'ovalistes, ouvrières des soieries lyonnaises, qui vont se croiser lors de la grève de juin 1869. Une grève de femmes pour des augmentations et de meilleurs salaires.
J'ai beaucoup aimé l'évocation de Lyon, toujours drôle de voir les personnages déambuler dans des rues connues. J'ai également trouvé très belle l'idée de donner vie à des jeunes femmes aujourd'hui oubliées de l'histoire...
À vos marques, prêt, partez ! Ce roman est construit comme une course de relais : la préparation physique, les courses de chaque relayeuse, les passages de témoin, les performances finales.
Vers quoi courent-elles, nos quatre relayeuses, ces jeunes filles de 1868, une époque où elles ne sont pas censées gesticuler comme des garçons ? Elles courent vers la première grève féminine, empêtrées dans leurs grosses jupes de travailleuses dans un atelier de moulinage
à Lyon.
Toia, quinze ans, l’âge des premières règles. Rosalie, si jeune et déjà mère, qui se souvient du sang de la première fois. Marie et sa blessure à la main. Clémence, dont la colocataire est morte d’une hémorragie après son accouchement. Il n’y aura pas de sang versé lors de cette grève sans précédent, puisque ces femmes l’ont déjà versé, leur sang mais aussi leurs larmes, chaque mois, à chaque blessure, à chaque accouchement.
Jusqu’à la ligne d’arrivée, chaque seconde, chaque détail, chaque mot compte. Le terme “grève” qui est un terrain plat formé de sables et de graviers. Le mot “travail” issu du latin “torture”. Les femmes qui forment une “bande”, un mot “bien loin de son premier sens, bien loin du ruban, bien loin de la joliesse du ruban.”
Il faut de longues phrases et beaucoup de répétitions pour que puisse se produire cette grève de femmes, s’envoler sables et graviers, être entendues les doléances. Être payées au temps et pas à la pièce, gagner deux francs comme les hommes, avoir le droit de s’asseoir, avoir un lit à soi, travailler dix heures par jour au lieu de douze. Des réclamations qui seront finalement à peine entendues.
Alors, des années après, soyons toujours à nos marques, soyons toujours prêtes, prêtes à partir, à marcher, à courir.
J'ai (re)découvert l'histoire de la première des grèves de femmes ouvrières , les ovalistes, mais je n'ai pas accroché sur le style déroutant de cette prolifique auteure....je n’ai pas compris ce que le passage des relais et de la comparaison avec des courses apportait à une histoire si poignante du travail des ouvrières « ovalistes ». Et pourtant, quelle bonne intention que de raconter la première grève de femmes exploitées et toute la misère dont elles venaient.
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