"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Je ne sais pas ce que déclenche la mort d'un père, je ne sais pas si je vais me briser me tordre ou grandir, m'élever. Je sais que je vais devenir une autre personne, j'espère être meilleure, progresser, j'espère ne jamais perdre ma douceur et mon étonnement sur le monde, j'espère que je saurai remplacer ce qui va désormais me manquer. (...) Il y aura une force nouvelle et inconnue parce que je ne veux pas tomber. »
Face à la douleur, Nina Bouraoui se tourne vers l'écriture, et mêle la vie de son père à la sienne. Tous les souvenirs reviennent de Paris à Alger, un art de jouer et d'aimer, une façon de vivre et d'observer. Nina Bouraoui raconte ce grand seigneur à l'existence hautement romanesque, et imagine les secrets qu'il emporte. C'est le bouleversant récit d'une perte et d'un rendez-vous par la mémoire et l'amour.
« Pudique et poignant » Le Point
En 2022, Nina Bouraoui perdait son père. En un hommage sobre et bouleversant, elle entremêle ses souvenirs au récit de sa fin de vie dans un service de soins palliatifs.
Né en Kabylie de parents épiciers, Rachid Bouraoui était devenu haut fonctionnaire, diplomate et gouverneur de la banque centrale d’Algérie. Il avait aussi participé à la libération des otages américains en Iran en 1981. Lui qui ne parlait jamais de ses missions était la fierté de sa famille et passait aux yeux de ses filles pour un héros mystérieux, souvent en voyage et peut-être même un peu espion. Réfugié en France au début de la guerre d’Algérie, à l’instigation de son frère bientôt porté disparu alors qu’il avait rejoint les rangs du FLN, il s’y était marié avec une Bretonne, la mère de l’auteur, et n’était rentré en Algérie qu’après l’Indépendance, pour la quitter à nouveau, cette fois définitivement, en 1981, alors que s’y s’annonçaient de terribles violences. Il avait cinquante-six ans, espéra longtemps un rappel qui ne vint jamais et assista de loin aux années de plomb et à la guerre civile. Il ne retourna chez lui qu’à la toute fin de son existence, quand, malade, il alla y liquider maison et papiers.
Lorsque, réduit à l’ombre de celui qu’il était, il entre en soins palliatifs pour ce que tous savent ses derniers jours, c’est d’abord le père, le modèle et le héros de toujours, « le chef, le garant, le protecteur » qui laisse son épouse et ses filles éplorées. C’est aussi la « moitié de son histoire », sa part d’identité algérienne, qui se dérobe soudain irrémédiablement sous les pieds de l’auteur qui, née en Bretagne, aura passé en Algérie les quatorze premières années de sa vie pour ne plus jamais y revenir ensuite, laissant la déchirure, vécue d’autant plus dramatiquement qu’elle s’est faite sans adieux ni empaquetage de souvenirs, s’emplir d’ombre et de silence. Alors, dans cette chambre, ce jardin et ces couloirs du centre de soins palliatifs où, jour après jour, se tissent les rituels d’une attente lourde d’émotions dont la restitution minutieuse semble vouloir encore en retarder l’échéance, l’introspection de l’auteur s’approfondit à mesure que les souvenirs se pressent. Le mourant ayant déjà sombré dans l’inconscience, c’est dans la tête de sa fille que les images d’une vie avec lui défilent, ombres et secrets désormais à jamais impénétrables.
Un récit poignant, d’une grande sobriété, qui, au travers d’une expérience très personnelle, nous renvoie à notre condition universelle de mortels. Tandis que l’auteur inventorie le passé au moment de se projeter dans un avenir sans son père, c’est ni plus ni moins « l’idée de [s]a propre mort » qu’elle apprend à accepter.
Nina Bouraoui rend un hommage émouvant à son père, qui a été plus qu'un père. Il a été LA figure qui lui a permis de se construire et de s'affirmer dans sa vie.
L'autrice nous présente ce père qui a compté aussi bien dans le contexte professionnel dans lequel il a évolué, mais aussi dans sa vie de famille. Lire ce texte, c'est donc se replonger dans un contexte historique avec les liens qu'elle a avec son pays d'origine, l'Algérie, ainsi que les souvenirs et l'attachement qu'elle porte à ce pays. C'est aussi tout un pan de son enfance qu'elle se remémore et sa construction en tant que jeune femme qui se découvre.
L'écriture de ce roman lui permet donc de parler de son père, mais surtout de se révéler au lecteur sur ce qu'elle est elle. On comprend ainsi qu'elle est celle qu'elle est grâce à cette figure paternelle, qui l'a porté toute sa vie (au sens figuré) et qui reste en elle malgré sa disparition. Un écrit qui lui permet d'essayer de faire son deuil, même si on ressent que cela n'est pas évident.
"L'été peut renaître, la lumière éclater, les jours rallonger, les amoureux s'embrasser mon père n'est plus de la fête, assigné à la maison médicale, privé des instants joyeux et de la course des hommes et des femmes du dehors."
De la peine, se délester des souvenirs, le parfum apaisant des fleurs, un cancer, la colère, la perdition, des tentacules, la légende, la solitude, de la tristesse, de la colère, un calendrier intime, la lumière du jour, de la réalité, se sentir différente, du fantasme, ne pas vouloir dormir, de l'arrachement, une vibration, impossible de brider son esprit, le seuil des ténèbres, un arbre blanc à feuilles noires, les larmes, rester aux aguets, l'éternité des minutes, l'Algérie de son enfance, un porte cartes, l'effacement, de la douceur, le passé désordonné, marcher dans ses pas, passer comme une bourrasque, un allié silencieux, donner un cadre, des fauteuils ronds couleur pastel, guetter la douleur, un radeau de fortune, son livre préféré...
La fin de vie, la maladie, la dépendance, la relation avec la personne malade et le milieu médical, le récit de l'agonie, le tourbillon des émotions, l'éclatement de la cellule familiale, la dévastation, l'intimité, le temps qui passe de façon différente, la vulnérabilité, le fait de devoir avancer, de garder sa dignité et sa force...
Je me suis bien sentie concernée par les thèmes abordés dans ce livre.
Le style de Nina Bouraoui est généreux, rempli d'amour, de sensibilité, et de courage.
L'autrice rend un belle hommage aux Grand seigneur, héros doux, lumineux et bouleversant. Une écriture sensible, tendre et pudique. Des souvenirs qui reviennent de Paris à Alger Nina Bouraoui nous raconte une histoire très personnelle celle de son père ce Grand seigneur. Un livre intime, romanesque, les secrets, la perte d'un proche, les histoires et les contradictions, les blessures de la vie.
Quête d'identité, Exil, Déracinement, Homosexualité, Couple, Racine et Culture.
Une lecture de la rentrée littéraire de cette hivers 2024 que je vous conseille.
"La fin de vie est une aventure à part entière, elle possède ses rites, ses habitudes, sa géographie et ses personnages, elle fige les aventures passées après les avoir remisées dans une chambre secrète dont on a égaré la clé, deux mondes se mélangent, celui des couchés, celui des debout, aucun langage assez juste pour que ces deux mondes s’entendent et se répondent. Je sais la colère du premier, la perdition du second."
Nina Bouraoui, confrontée aux derniers jours de la vie de son père, a réussi à confier ses sentiments et ses souvenirs pour faire vivre à ses lecteurs ces moments si difficiles. Au travers de ces lignes, elle réalise un magnifique et émouvant hommage à cet homme entré en soins palliatifs le 28 mai 2023.
J’avais déjà lu Nina Bouraoui dans Tous les hommes désirent naturellement savoir et je retrouve son homosexualité assumée dans Grand Seigneur. Ce Grand Seigneur, c’est bien sûr son père qui, malgré ses absences longues et fréquentes à cause de ses responsabilités, a su accepter sa fille telle qu’elle est pour qu’elle vive heureuse et qu’elle s’épanouisse.
Proche de la fin de sa vie à cause d’un cancer généralisé, son père se trouve dans la maison médicale Jeanne-Garnier, dans le XVe arrondissement, à Paris.
Le nom de cet établissement dont je n’avais jamais entendu parler me permet d’apprendre que Jeanne Garnier (1811 – 1853) est la pionnière dans le domaine des soins palliatifs. C’est à Lyon où, à 24 ans, elle vient de perdre son mari et leurs deux enfants, qu’elle a fondé les Dames du Calvaire, une association de femmes. Animée par une foi et un amour sans pareils pour l’humanité, elle a décidé de s’occuper des malades incurables, délaissés. Plus tard, d’autres femmes, comme Aurélie Jousset, à Paris, en 1874, ont poursuivi son œuvre.
Je reviens à ma lecture de Grand Seigneur pour indiquer que Nina Bouraoui ne cache pas que l’argent n’est pas un problème dans cette famille qui a quitté Alger alors qu’elle n’avait que 14 ans. Si sa mère est française, Rachid, son père, haut fonctionnaire international pour l’Algérie, voyait sa sécurité menacée. Celui-ci lui avait appris que Bouraoui signifie le conteur en arabe… tout un programme pour Nina devenue une écrivaine qui compte.
Alors, l’autrice écrit encore remarquablement, réussit une impressionnante plongée dans ses sentiments, ses souvenirs, avec beaucoup de très justes et de très émouvantes réflexions.
Entre ses visites et le temps passé auprès de son père, elle rend hommage à son Amie précieuse et, surtout, elle rappelle l’existence de celle qu’elle nomme A et qu’elle aime. Au passage, elle n’oublie pas une certaine Hélène avec laquelle les relations n’ont pas été simples. J’ajoute qu’elle ne néglige aucunement sa mère et sa sœur ainsi que d’autres relations.
Ce qui m’a le plus touché dans ce récit, c’est l’amour entre ce père et sa fille : c’est énorme et la qualité de l’écriture de Nina Bouraoui permet d’aller au-delà des apparences pour cultiver ce monde des souvenirs souvent enjolivés mais quelle importance ?
Dans Grand Seigneur, l’autrice réalise une recherche approfondie sur son père, ses origines, ses goûts, son enfance et sa jeunesse. Si les phrases sont longues, elles sont parfaitement maîtrisées. Au passage, beaucoup de questions essentielles sur la mort sont posées et méritent que nous y réfléchissions, ce que Grand Seigneur m’a permis.
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2024/04/nina-bouraoui-grand-seigneur.html
La douleur s’exprime de différentes façons en fonction des individus, cela est propre à chacun. Pour Nina Bouraoui, mettre des mots sur ce sentiment pénible lui permet de réaliser que son Grand Seigneur n’est plus. L’autrice décrypte et analyse ses souvenirs l’aidant à cheminer vers l’absence de celui qui pour elle est une figure paternelle unique et un modèle d’admiration. Un joli témoignage du lien et de l’amour qui unit une fille à son père.
Une écriture tendre, précise mais hélas je n’ai pas été aussi émue que je l’aurais voulu. Je le regrette vraiment car le sujet de la perte d’un proche m’intéressait beaucoup. Nina Bouraoui en abordant sa jeunesse et son homosexualité a cassé le récit qui gravitait autour de son père. Je ne doute pas ces périodes de vie soient intéressantes mais celles-ci n'auraient pas dû être traitées dans ce roman. Je garderai donc en mémoire une jolie déclaration d’amour d'une fille à son père.
http://www.mesecritsdunjour.com/2024/05/grand-seigneur-nina-bouraoui.html
Amour et poésie. Accompagner un être cher vers sa dernière demeure. Les derniers instants et tous les souvenirs qui remontent à la surface. En compagnie de sa mère et de sa sœur, elles veillent sur l'homme quelles ont chéri.
En mai 2022, le père de Nina est admis en soins palliatifs au centre Jeanne-Garnier, dans la chambre 119 ; il est entouré de sa femme et de ses deux filles et il va y séjourner pendant une dizaine de jours.
Cela va induire une réflexion de Nina sur la souffrance, la maladie, la mort, le deuil mais en parallèle les souvenirs d’enfance remontent à la surface. Elle évoque ainsi cet homme brillant et cultivé qu’est son père, l’exil, car il a dû quitter son pays natal, l’Algérie, au moment où sévissait la violence.
Elle évoque aussi ses absences, elle guettait ses retours avec impatience, car comme elle le dit si bien il était « l’homme de sa vie », et ce sera le seul en fait, celui qui l’a aidée à se construire. Elle faisait tout ce qu’elle pouvait dès le plus jeune âge pour qu’il soit fier d’elle, même s’il l’a élevée en garçon.
Nina Bouraoui parle de ce « grand seigneur » avec tendresse et respect, évoquant au passage l’exil, le déracinement, le couple qu’il formait avec sa mère, Bretonne, la double culture, et également son homosexualité et comment il la percevait.
Elle livre dans ce récit intimiste la progression vers la fin de vie, la manière dont son père est devenu l’ombre de lui-même, rongé par la maladie, ainsi que ses réactions vis-à-vis de la mort qui approche, ainsi que toutes les démarches qui accompagnent : choisir « la tenue » organiser le grand départ.
J’ai été touchée par sa pudeur aussi, quand elle n’ose pas le toucher ou quand elle lui parle, ainsi que la relation qui se noue avec Georges dont la sœur occupe la chambre d’en face et ne veut plus se battre.
J’ai beaucoup aimé ce livre qui m’a permis de découvrir la plume de Nina Bouraoui et je vais rester dans la même thématique avec « Kaddour » de Rachida Brakni.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions J.C. Lattès qui m’ont permis de découvrir ce livre et la plume de son auteure.
#GrandSeigneur #NetGalleyFrance !
https://leslivresdeve.wordpress.com/2024/04/03/grand-seigneur-de-nina-bouraoui/
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