"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Bigarré, vertigineux, toujours surprenant, tel demeure le monde aux yeux de qui en est curieux:
Pas mondialisé, en dépit de tout. Venu du profond de l'enfance, le désir de le voir me tient toujours, écrire naît de là. Chacun des noms qui constellent les cartes m'adresse une invitation personnelle. Ce livre est un voyage à travers mes voyages. Digressions, zigzags, la mémoire vagabonde. Visages, voix, paysages composent un atlas subjectif, désordonné, passionné. Le tragique, guerres, catastrophes, voisine avec des anecdotes minuscules. Des femmes passent, des lectures. Si j'apparais au fil de cette géographie rêveuse, c'est parce que l'usage du monde ne cesse de me former, que ma vie est tressée de toutes celles que j'ai rencontrées.
O. R.
Un séisme littéraire adressé à la lecture et l’écrit mais avec une intimité évidente destinée aux lecteurs de l’auteur. Et moi, qui achète tous les ‘Rolin’ dès leurs sorties, ce bouquin m’a fait flipper dans tous les sens comme la boule d’acier qui tape sur les lance-billes à travers la vitre qui me sépare du joueur. Mon contrat avec lui m’inquiète. Je n’en ai peut-être pas lu toutes les clauses… Il ne me semblait pas avoir compris qu’il y ait pu avoir un ‘dernier livre’… Et ça aussi, c’est le sujet : et si un de vos auteurs apprécié venait à soudainement disparaître… et qu’en plus, il vous en préviendrait ?!!
D’abord il (Olivier Rolin) dit qu’il commence ce livre comme on ne doit pas commencer un livre. Il va le continuer sous forme de puzzle, Il ne sait plus comment écrire… (Ben, voyons !) Il s’en fiche. Il donne un grand coup de pied dans la fourmilière des ateliers d’écriture qui fourmillent justement… Et c’est là que j’ai compris qu’il allait déstructurer tous les codes. (Révolutionnaire un jour, révolutionnaire toujours !) Allez hop ! Un peu (enfin beaucoup) d’anarchie que Diable ! Mais bien entendu la structure du livre est maîtrisée de main de maître.
A partir de traces non éditées de tous ses carnets de notes, il va nous livrer ses souvenirs en construisant son livre comme un ramendeur de poteries qui sait reconstituer un vase canope. D’ailleurs le nombre incalculable de parenthèses (minimum deux par page voire une page complète entre deux parenthèses) nous en montre les coutures du fil de bâti.
« C’est le même genre de travail que j’entreprends : rabouter, coller des dizaines d’éclats de souvenirs, en recomposer un vase imparfait, fracturé, dont je ne serai que le vide central. »
Digressions à fond. Là, un des thèmes premiers du livre et pour faire ça, il faut avoir un sacré talent. Ne nous méprenons pas, Olivier Rolin en est bourré (de talent je veux dire bien qu’il avoue s’être bourré de pas mal d’autres trucs.)
« (ce que j’écris, quoi que ce soit, pourrait s’appeler ainsi : ‘Digressions’ ; se recommandant non seulement de Sterne, inévitable dès lors qu’il s’agit de divagations, mais encore de notre Montaigne : ‘Je m’égare, mais plutôt par licence que par mégarde. Mes fantaisies se suivent, mais parfois c’est de loin, et d’une vue oblique’), lors d’un précédent écart, donc, j’ai cité ‘Le cimetière d’Eylau (et auparavant, même du Leconte de Lisle !). »
Un besoin de récapitulation… Pas une biographie… Et encore moins des mémoires ! Quelle horreur ! Et l’auteur se défendant d’écrire une biographie, va nous parler beaucoup de lui de son enfance à ses 82 ans.
Au seuil du grand âge, il dévoile un homme déprimé face à la vieillesse et désabusé par ce nouveau siècle dont il n’apprécie pas la perte de vocabulaire et l’assommante nouvelle culture abêtissante et proche du vulgaire. Déshabitué des écrans, lorsqu’il allume une télévision dans un hôtel il écrit :
« … tu te demandes, stupéfait, comment l’humanité, soumise à ce déluge de laideur, de grosses blagues, de rires fabriqués, de lieux communs satisfaits, de mensonges publicitaires, peut n’être pas plus abrutie et malheureuse encore qu’elle n’est. »
Avec son humour habituel, il croque en forçant le trait, des situations burlesques rencontrées sur Internet tel que l’itinéraire Paris – Achgabat « 6293 Kilomètres, deux jours et dix-sept heures de route selon eux (qui, eux ?) : ils sont optimistes. » à commencer par « Descendez la rue de l’Odéon, prenez à gauche la rue des Quatre-Vents, puis à droite la rue de Tournon » et ainsi de suite sans omettre les ronds-points jusqu’au centre de la capitale du Turkménistan.
Tout seul dans sa baraque de bord de mer face à une mal bouffe… (Je l’avais déjà noté dans mon avis sur ‘Un homme ‘ de Philippe Roth : La vieillesse (et je commence à m’y connaitre et reconnaître) c’est une vraie mauvaise nouvelle. J’avais écrit et je le maintiens : C’est une saloperie.) Et, Olivier Rolin le confirme.
D’autant plus que lui, a été un homme à femmes et pas n’importe lesquelles au vu de la galerie qu’il livre au point de nous lasser un peu car là, oui, il parle de lui intimement et on sort de ses écrits passionnants qui nous intéressent soit ceux de l’homme journaliste aventurier et écrivain voyageur, conteur historien. Elles sont toutes grandes, minces, voire très minces, de plus, jeunes, avec des bras fins, des jolis poignets fins, de longues mains, des nuques magnifiques sur lesquelles cheveux relevés laissent une mèche rebelle (quand même…) voler au vent ou sur lesquelles de longues nattes ou queues de cheval sont attachées, des peaux de nymphes (va s’en dire), laiteuses et douces, (bandantes, donc), et des visages de poupées aux yeux noirs mais aussi verts ou bleus, et un charisme intelligent à faire chavirer tout ce qui s’appelle « homme ». Ce, sans compter son amante d’un temps, la célèbre Jane B. en maillot de bains blanc affublée d’un chapeau de paille conique sur une plage vietnamienne (ouah sexy !) et qui lui demande d’acheter une hyène sur un marché (complétement excentrique ! exotique ! On frôle le scoop…)
Bon… A vrai dire on s’en fiche un peu mais du coup, on approche d’un livre à l’aura testamentaire écrit par l’auteur qui nous dit ce qu’il a été et est… Il l’écrit pour probablement ne laisser personne d’autre le faire à sa place…
J’ai eu l’occasion de rencontrer l’auteur au printemps dernier lors de la pause d’un salon de lecture. D’abord on lui donne un bon 20 ans de moins que son âge. La soixantaine à tout casser. Il est grand, campé sur un physique bien charpenté, aux épaules larges, surmonté d’une tête faite comme celle des photos qui circulent, une bouche de barracuda et toujours plein de cheveux et des yeux, enfin un regard vif et direct. Un imper ouvert vert mastic qui lui donne une allure casual chic, décontracté, à l’écoute, facile d’accès. Sous un saule pleureur parisien, les femmes ont papillonné autour de la table de jardin comme des insectes autour d’une lampe à gaz sur une plage tropicale. Il pouvait décrocher tous les 06 de son choix. Peut-être l’a-t-il fait. Puis il est parti avec le dynamisme d’un homme pressé. Je n’ai vu ni un homme déprimé ni à l’article de la mort ou alors, il cache bien son jeu !
Parenthèses, parenthèses…
Bon… Il se jette à l’eau et tourne autour de son bureau. Non, ce n’est pas une autobiographie. Ce sont des traces relevés sur ses carnets de notes. Une récapitulation.
Et nous voilà dans ses voyages, ses carnets, ses bibliothèques de par le monde et sa bibliothèque personnelle : Borges, Proust, Lowry, Chateaubriand, Rosa, Proust, Montaigne, Sterne, Barthes, Michon, Michaux, Mallarmé, Perec, Verne, Cendrars, Pouchkine, et bien d’autres.et puis tous ceux que j’ai notés pour les lire à mon tour. Travail de transmission (mieux que la télé) … Et la musique. Du coup, j’ai regardé dans ma collection de CD et n’ai trouvé qu’un CD de Schubert avec David Fray au piano que j’ai mis sur la platine pour m’imaginer ce qu’il aime écouter alors qu’il écrit et que je le lis, cet auteur que j’aime tant lire. Il a lu les Misérables au pôle nord et moi, je n’ai toujours pas lu Hugo. Bon… après ce qu’il en dit, je le lirai au chaud. (‘Extérieur monde’ n’a rien de vain !)
« Chacun a déposé en moi quelque chose que je ne saurais pas nommer, pas une « leçon », certainement pas, plutôt une très mince pellicule, de savoir, d’émotion, de rêve, et toutes ensemble ont composé à la fin ma vieille écaille jaspée de tortue marine »
Plume…
On voyage quand même. Comment faire autrement ? Qui dit Olivier Rolin dit voyage. Il nous embarque sur ses feuillets non écrits qu’il ressort et édite. Kaboul, Sarajevo, Porvenir, Saint-Petersbourg, Valparaiso, Shanghaï, le Viet-Nam, l’Ukraine, Lisbonne mais aussi la Bretagne et son bord de mer, Paris, le jardin du Luxembourg, le quartier de l’Odéon … L’armée, les politiques, la société, les centres culturels, les paysages, la guerre, les bars, les hôtels, les femmes, le regard des gens, son regard… Et aussi sa vie de parisien face au logement…
Olivier Rolin nous offre une peinture kaléidoscopique rare avec un ressenti que peu d’écrivains savent écrire.
Alors, il dit que ce n’est pas une autobiographie sauf qu’il parle de lui tout le temps… De son enfance à aujourd’hui. Pour ce faire, il reprend toutes les traces laissées sur une soixantaine de calepins (il aime les cahiers). Il nous parle des pays traversés, des avions, des bateaux, des véhicules militaires, de sa bibliothèque, de ses amours, de son enfance.
Mais ce qui m’inquiète est là. Cela a une foutue aura testamentaire avec cette idée de dépression qui le tient malgré une vie que nombre d’entre nous rêvons d’avoir ou d’avoir eu et par moment je trouve la lecture pesante.
Il fait résonner la vieillesse de mon père, homme à femmes qui a fini par se foutre en l’air dès les premiers symptômes de Parkinson et ma vieillesse à moi qui même si on dit « Vous ne faites pas votre âge » ou « Quelle vie vous avez eue ! », on a l’âge qu’on a et il faut faire avec et lui, Olivier Rolin couronné de succès, fini fatigué, déprimé, dépassé pourrait comme mon père décider de ne plus alimenter ma bibliothèque et alors oui, une fêlure dans ma vie, une crevasse, un gouffre s’y installerai là dans cet espace de la bibliothèque qui attendait, qui attend son prochain livre, son prochain voyage, ses amours, ses emmerdes, son verre de vodka ou autre…
L'épigraphe, un extrait d'El Hacedor de Borges, qu'il a choisi ne rassure pas d'emblée...
Comme un dernier livre… 'peu avant de mourir'... et franchement, je ne l’espère pas car ne plus avoir un Olivier Rolin à acheter, fêlerai ma vie. Mais, ouf ! Tout est bien qui finit bien.
Olivier Rolin rassure son lecteur qu'il lui arrive, entre parenthèses, de perdre par moment, et ne fait que mettre de l’ordre dans sa vie en rangeant ses vieux calepins de notes.
Citant Chateaubriand : « —My lord, do you remember me ? (‘Alors commença entre nous la série de ces – vous souvient-il – qui font renaître toute une vie.) », Olivier Rolin écrit :
« D’autres visages, d’autres voix, tout un petit tumulte dort dans les pages de ces carnets amoncelés sur ma table, que je n’ouvrirai sans doute plus. »
« S’il y a quelque chose de vaguement testamentaire dans mon entreprise — parce que bien sûr je me suis posé la question, que me suggérait d’ailleurs la citation de Borges dont je me suis souvenu chemin faisant, et que j’ai mis en exergue — c’est là dans ce possible adieu aux notes, que cela se tient — se tiendrait. Mais il suffit que j’écrive ces lignes pour me rebeller. Testamentaire, et quoi encore ? On ne baisse pas le rideau, jamais de la vie ! Ces carnets ne sont pas les derniers, c’est donc décidé. »
Et, moi, petite lectrice crédule, apeurée, effrayée de tenir entre mes mains le der des der d’Olivier Rolin, cruche qui prend l’eau, me voilà rassurée :
« … on continuera à se laisser étonner, et instruire, et façonner par le monde. »
Olivier Rolin a sorti tous les carnets de moleskine de ses tiroirs et nous promène de digressions en digressions dans tous les pays qu'il a parcouru ou dans lesquels il a fait des pauses. On pardonne rapidement à ce roman de ne pas avoir de cohérence et son aspect testamentaire parfois pesant. Il y a toujours un personnage ou une image intéressante au détour des pages d'un roman des frères Rolin, indispensables à la littérature française.
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