"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Kyoto, dans les années soixante-dix.
Le récit est rédigé à la première personne : un jeune Français s'initie à la cérémonie du thé chez madame Yamamoto, la sensei (celle qui transmet son savoir et son expérience). On attend l'arrivée d'une des participantes, Shimizu-san. Son prénom, Ichie (à prononcer Itchié), évoque à la fois la « rencontre » (ichie) des deux jeunes gens autour du thé et le terme bouddhique ichigo ichie, littéralement "une fois, une rencontre", qui fait partie de la Voie du thé.
Le sentiment entre les deux élèves de Yamamoto sensei prenant doucement naissance, Ichie dévoile au jeune homme le secret tragique de sa famille à l'occasion d'une cérémonie du thé inhabituelle.
Dans cette histoire sans pesanteur, aussi légère que les gestes du thé et presque sans intrigue, tout est dans l'atmosphère, dans un sentiment d'étrangeté et de fascination qui emporte le lecteur, et dans la conduite d'une histoire savamment agencée. On pense au film sorti en 2020 de Tatsushi Ômori, Dans un jardin qu'on dirait éternel, et à Nuée d'oiseaux blancs, de Kawabata Yasunari. L'expérience de la diversité donne ici aux voix de l'intime les moyens de se livrer dans une narration sensible, récit de l'autre et révélateur de soi.
Quelle délicatesse dans ce court roman. L'art du thé : "Le thé n'est pas vraiment une cérémonie. Il n'en a pas la pompeuse solennité. Ce n'est pas la messe ou le rituel d'une quelconque religion. [...] "Cérémonie" est un mot trop rigide pour désigner un exercice aussi multiforme, fait de gestes simples et précis qui n'ont d'autre finalité qu'eux-mêmes, pensés et codifiés pour être strictement efficaces, nécessaires et suffisants et qu'on doit idéalement réaliser sans y penser et d'un cœur léger." (p.29)
Toute l'histoire tourne autour de ces moments chez madame Yamamoto. Tout y est lenteur, calme. Tout s'y déroule dans le silence, les regards se croisent, les gestes sont là pour offrir le thé, pour le savourer, et il s'y joue bien autre chose, l'amour naissant des deux jeunes gens. Ils se retrouvent parfois à l'extérieur, à la fin de la séance, marchent côte-à-côte en devisant. L'art du thé se rapproche de l'art de la séduction surtout lorsque ce dernier se fait en japonais : "La langue japonaise n'a rien de facile, sans parler de son écriture. Une conversation peut se révéler malaisée à suivre quand on n'y trouve pas de sujet ou de verbe. On a tendance à exposer les faits selon un ordre impressionniste où il faut savoir entendre au-delà des mots à travers un discours qui paraît éparpillé et qui favorise les apartés et les digressions." (p.58)
C'est beau, délicat, fin et reposant. Lire ce petit livre de Hubert Delahaye -comme son très beau Lettres d'Ogura- promet un moment à part, loin de la rapidité et de la performance, l'un de ceux que l'on savoure en prenant son temps et un thé.
A Kyoto, un jeune étudiant français se rend tous les samedis chez Madame Yamamoto pour y apprendre les subtilités de la cérémonie du thé. Le Gaijin et la Sensei ont développé une complicité faite de respect et d’indulgence. Il admire la vieille dame, elle s’amuse de ses maladresses.
Un matin, la leçon est retardée par Shimizu-san qui finit par arriver en s’excusant. La jeune fille est d’une beauté délicate, réhaussée par son magnifique kimono et l’étudiant n’est pas insensible à son charme. Aussi, quand après le cours, elle l’invite pour un thé chez sa sœur Miya, il accepte sans hésiter. Son prénom, Ichie, signifie ‘’une rencontre’’, elle lui parle d’ichigo, un hasard, pour qualifier le moment qu’ils viennent de vivre. Et en effet, au hasard d’une rencontre autour d’un thé, il va vivre avec la mystérieuse jeune fille, une histoire ‘’de thé et d’amour’’…
Une bulle de délicatesse, de sobriété, de pudeur. Hubert Delahaye nous entraîne à sa suite dans ses souvenirs de jeunesse lorsqu’il était étudiant à Kyoto et s’initiait à la cérémonie du thé, cet art séculaire qu’il tente de maîtriser malgré sa gaucherie et son impatience. Il nous raconte le matériel, toujours choisi avec soin en fonction des circonstances, les gestes, précis, codifiés, délicats, et les émotions liées au cérémonial, apaisement, calme et sérénité. Un environnement où ne déteint pas la belle Ichie, sublimée par les kimonos qu’elle choisit avec soin. C’est pourtant dans la plus parfaite nudité qu’elle choisit de lui préparer un thé, chez lui, dans sa petite maison traditionnelle. Leur liaison sera intense mais fugace, un moment hors du temps, à l’image de la cérémonie du thé. Ichie livre ses secrets mais reste mystérieuse, presque inaccessible. Comme le thé, elle restera à jamais l’essence du Japon, que l’on peut effleurer mais jamais posséder entièrement.
De thé et d’amour est une courte nouvelle totalement envoûtante, un éloge à la culture japonaise, une histoire poétique et intemporelle. A lire pour s’isoler de la trépidation du monde le temps d’un voyage à Kyoto.
Je remercie chaudement Pascaline et L’Asiathèque pour cette parenthèse enchantée.
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