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«"La Maritza, c'est ma rivière..." a chanté Sylvie Vartan. Moi qui n'oserai pas chanter, je me contenterai de murmurer : "La Rukarara, c'est ma rivière..." Oui, je suis bien née au bord de la Rukarara, mais je n'en ai aucun souvenir, les souvenirs que j'en ai sont ceux de ma mère et de son inconsolable nostalgie.» Ainsi commence cette suite de nouvelles rwandaises, belles et poignantes, où coulent les tourments et les espoirs de tout un peuple. Se souvenir de tout, et de la mère avant tout, qui, dans sa nostalgie d'exilée, pare la rivière Rukarara de toutes les merveilles de la légende. Et se souvenir des histoires que murmurent les collines : pourquoi Viviane, même nue, porte-t-elle autour de la taille une cordelette où s'accroche un minuscule morceau de bois?... Et puis, entre la Bible et les aventures de Titicarabi, y a-t-il d'autres livres? La narratrice ne le croit pas... Et le règne d'un roi peut-il nous être conté par une vache?... Et si l'on chasse de la colline celle sur qui s'accumulent les malheurs, chassera-t-on grâce à ce bouc émissaire le Malheur inhérent à la condition humaine?... Mais Cyprien le Pygmée, rejeté de presque tous, aura, lui, un fier destin. Ces histoires s'enchâssent avec maestria comme les tesselles d'une mosaïque. Les mots de Scholastique Mukasonga coulent, cristallins, de mémoire en mémoire, jusqu'à nous montrer, même quand passe le malheur, toute la beauté de la vie.
Les nouvelles de ce recueil sont comme des portes d’entrée dans l’histoire des narratrices rwandaises. Cela pourrait être Scholastique Mukasonga tout simplement. Pourtant, comme dit le poète, cela ne semble pas être « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. La première personne nous amène dans l’intimité de cette femme et de ce qu’elle porte de son pays, de sa famille, de sa culture, dans son statut de personne déplacée. Sans être au cœur des textes, l’exil et la tragédie du génocide perpétré contre les Tutsi sont présents. Ce sont des thèmes qui hantent les histoires comme des fantômes. Cette absence-présence est très forte et accentue la mélancolie nostalgique des nouvelles. L’autrice nous raconte des discussions passées, des traditions éteintes, d’abord par le colonialisme, ensuite par l’exil, enfin par le génocide. C’est un monde disparu qui apparaît progressivement par touches successives. À la fin de chaque texte, il des notes éclairantes sur l’histoire du pays, sur l’arrivée des explorateurs, des colons, le fonctionnement de la monarchie et le glissement d’un pays hiérarchisé par une discrimination venue d’ailleurs. Scholastique Mukasonga mêle habilement l’intime et le contexte, passant facilement du microscope au macroscope. Elle nous emmène au Rwanda, au milieu des collines, rappelant que l’imaginaire prend appui sur les souvenirs qui peu à peu s’effacent.
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