"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Jakob est un jeune agriculteur qui exploite la ferme familiale en Haute-Autriche. Dépassant ses premières réticences, il accueille Katja, une artiste qui se découvre une passion pour son métier ; peu à peu, ils vont s'apprivoiser et fonder une famille. Mais cette union et cette apparente stabilité ne résolvent pas les sombres questions qui traversent Jakob de longue date : celle de la difficulté quotidienne de la vie rurale, celle du pesant héritage de l'histoire de son pays, celle du silence et de l'incommunicabilité. La violence enfouie en Jakob menace sans cesse de ressurgir en s'abattant sur ses terres, sur les autres, et sur lui-même. Découvert en France avec les somptueux Lilas rouge et Lilas noir, Reinhard Kaiser-Mühlecker nous offre ici un puissant roman sur la condition agricole aujourd'hui et l'inconvénient d'être né. Porté par une langue limpide, Braconnages nous invite à parcourir les plaines de l'Autriche comme celles de l'âme déchirée de ses personnages.
Le destin se moque des hommes
J’avais adoré Lilas rouge et Lilas noir et dans Braconnages je retrouve cette plume qui sait de quoi elle parle.
Jakob est à l’image de la première scène qui a donné le titre à ma chronique.
En Haute-Autriche Jakob gère la ferme familiale avec un père fantôme et une mère absente, une grand-mère paternelle qui ne veut pas lâcher le magot pour moderniser cette exploitation qui en aurait besoin pour faire face à une politique agricole qui se construit en dépit du bon sens.
Il maintient à flots ce navire avec détermination alors que tout le monde lui renvoie une image négative, faisant des petits boulots à côté pour survivre.
Au début du livre il y a Landa, une chien fugueuse à la fin il y aura Axel chien prédateur ils sont la métaphore d’un monde qui va mal.
C’est en rénovant un local municipal pour l’arrivé d’une artiste en résidence dans le voisinage qu’il va voir sa vie bouleversée.
Les scènes de rencontre avec cette jeune femme montre combien il est décalé, en marge de la vie.
Katja sera un accélérateur et redorera l’image qu’il a de lui-même car elle connait sa valeur.
« Car enfin, posant les yeux sur lui, que pouvaient-ils voir d’autre, ces innocents, que ceci : un perdant de plus, un raté de plus, encore un médiocre qui avait échoué à vivre de sa terre, et n’avait dès lors d’autre ressource que d’aller gagner sa croûte ailleurs ? »
Katja est une artiste mais elle n’est pas déconnectée des contingences terriennes.
Ils vont faire couple, duo exploitants l’un stimulant l’autre, ils vont fonder une famille.
Jakob redresse la tête il va croire que la roue tourne et travailler encore plus dur.
Il a du mérite car la société prône la société de loisirs, le travail n’est plus une valeur essentielle.
L’auteur dresse un tableau du monde agricole d’une grande lucidité, sans concession avec en parallèle la noblesse du métier et de ceux qui l’exercent.
Mais il y a une profondeur qui va très au-delà de cette analyse, c’est l’héritage sous-jacent du nazisme, un poison lent et sournois qui assombrit l’atmosphère même et surtout aux heures heureuses. Comme si l’impossibilité de se laver de ça faisait que cette violence coule dans les veines de chacun.
Jakob est un personnage fort car il est multiple, touchant, déroutant, rebutant et cette violence reste un mystère qui courre de la première à la dernière scène.
La force de cette écriture c’est qu’elle donne à voir, elle conduit les lecteurs à ouvrir les yeux sur me monde, à dire que l’Histoire passée ne sert pas de leçon aux générations à venir.
C’est sombre et percutant.
Un livre qui interroge dans un monde qui occulte le passé pour ne pas faire de remous, un monde qui se censure et bâillonne toute tentative d’éclairer les jeunes générations de peur des représailles. Chaque jour se réveille sur une chappe de plomb. Où sont les hommes de bonne volonté ?
J’ai beaucoup aimé le clin d’œil à Ferdinand Golberger.
C’est un très grand livre par le fond et la forme, la plume est vraiment belle.
©Chantal Lafon
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