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Le destin se moque des hommes
J’avais adoré Lilas rouge et Lilas noir et dans Braconnages je retrouve cette plume qui sait de quoi elle parle.
Jakob est à l’image de la première scène qui a donné le titre à ma chronique.
En Haute-Autriche Jakob gère la ferme familiale avec un père fantôme et une mère absente, une grand-mère paternelle qui ne veut pas lâcher le magot pour moderniser cette exploitation qui en aurait besoin pour faire face à une politique agricole qui se construit en dépit du bon sens.
Il maintient à flots ce navire avec détermination alors que tout le monde lui renvoie une image négative, faisant des petits boulots à côté pour survivre.
Au début du livre il y a Landa, une chien fugueuse à la fin il y aura Axel chien prédateur ils sont la métaphore d’un monde qui va mal.
C’est en rénovant un local municipal pour l’arrivé d’une artiste en résidence dans le voisinage qu’il va voir sa vie bouleversée.
Les scènes de rencontre avec cette jeune femme montre combien il est décalé, en marge de la vie.
Katja sera un accélérateur et redorera l’image qu’il a de lui-même car elle connait sa valeur.
« Car enfin, posant les yeux sur lui, que pouvaient-ils voir d’autre, ces innocents, que ceci : un perdant de plus, un raté de plus, encore un médiocre qui avait échoué à vivre de sa terre, et n’avait dès lors d’autre ressource que d’aller gagner sa croûte ailleurs ? »
Katja est une artiste mais elle n’est pas déconnectée des contingences terriennes.
Ils vont faire couple, duo exploitants l’un stimulant l’autre, ils vont fonder une famille.
Jakob redresse la tête il va croire que la roue tourne et travailler encore plus dur.
Il a du mérite car la société prône la société de loisirs, le travail n’est plus une valeur essentielle.
L’auteur dresse un tableau du monde agricole d’une grande lucidité, sans concession avec en parallèle la noblesse du métier et de ceux qui l’exercent.
Mais il y a une profondeur qui va très au-delà de cette analyse, c’est l’héritage sous-jacent du nazisme, un poison lent et sournois qui assombrit l’atmosphère même et surtout aux heures heureuses. Comme si l’impossibilité de se laver de ça faisait que cette violence coule dans les veines de chacun.
Jakob est un personnage fort car il est multiple, touchant, déroutant, rebutant et cette violence reste un mystère qui courre de la première à la dernière scène.
La force de cette écriture c’est qu’elle donne à voir, elle conduit les lecteurs à ouvrir les yeux sur me monde, à dire que l’Histoire passée ne sert pas de leçon aux générations à venir.
C’est sombre et percutant.
Un livre qui interroge dans un monde qui occulte le passé pour ne pas faire de remous, un monde qui se censure et bâillonne toute tentative d’éclairer les jeunes générations de peur des représailles. Chaque jour se réveille sur une chappe de plomb. Où sont les hommes de bonne volonté ?
J’ai beaucoup aimé le clin d’œil à Ferdinand Golberger.
C’est un très grand livre par le fond et la forme, la plume est vraiment belle.
©Chantal Lafon
La floraison du lilas ne ment pas
Lilas Rouge se terminait par le départ de Ferdinand, fils de Paul, arrière-petit-fils de Goldberger.
Parti à Vienne faire des études d’agronomie, étudiant boursier faisant des petits boulots, il était bien décidé à prendre son destin en main. Résolu plus que jamais à ne pas être un pion entre les mains de Thomas, son oncle, celui qui avait chassé Paul de Rosental.
Il retrouve à Vienne son amour de jeunesse Suzanne.
Dire cela pourrait faire de cette histoire familiale une histoire comme tant d’autres.
Mais chez les Goldberger, rien ne peut s’assimiler à une norme quelconque.
La terre et l’évolution de l’agriculture accompagne chaque génération, tremplin ou perte ; des chevaux aux machines agricoles les plus performantes, l’agriculture trace son sillon et traine dans son sillage la malédiction des Goldberger.
Dans cette suite, véritable gageure, l’auteur de sa belle écriture nimbée de classicisme nous fait vivre dans une attente tendue comme la corde d’un arc.
C’est intelligent, habile dans la construction où une répercussion d’échos nous évite les redondances de lourdes rétrospectives des six décennies passées.
Ce sont les non-dits, à l’intérieur de la famille comme à l’extérieur, le village est là à épier, commenter et propager la vie de celui qu’ils n’ont jamais accepté Goldberger, l’ancien.
La période lumineuse que va vivre Ferdinand va prendre fin brutalement et sa seule échappatoire sera d’aller sur les traces de son père en Bolivie.
L’écriture associée à cette période fait vivre au lecteur cette hantise qui habite Ferdinand, les fantômes sont là prêts à le dévorer.
Mais Rosental le rappelle, le happe à nouveau, sera-t-il le marionnettiste ou la marionnette ?
Sabine, femme de Thomas va vider son sac et celui-ci est lourd. Cette femme qui a tout encaissé parle et c’est un tableau qui se peint devant nos yeux avec tous les détails et nous en donnent la compréhension. Elle dit la dureté d’un monde.
La vengeance qui se fait jour sera-t-elle un soulagement ? Rien n’est moins sûr.
« Dès son premier souffle, l’homme ne vit que dans l’attente de l’instant de son trépas, quand bien même cette évidence demeurerait-elle un temps voilée à sa conscience. »
Lilas rouge et Lilas noir sont un grand livre, par l’histoire narrée mais par le style et cette manière de percevoir et de faire vibrer les sentiments de chaque personnage comme les changements de la nature au fil des saisons. C’est une impression de chaleur, de lumière aux premiers rayons du soleil, le froid aux premiers gels, c’est la terre qui donne. Le poids de la terre au creux de la main, le brin d’herbe entre les lèvres, les premiers épis…
Tout est offert pour que le lecteur ressente les joies et les affres des personnages.
Quoi de mieux que le travail de la terre pour être au plus près de ce qui fait un homme.
J’ai aimé cette osmose terrienne.
J’ai refermé ce livre avec une sensation de vertige devant l’habileté de Ferdinand à fouiller ses sensations au plus près.
Le raccord entre ce volume et le précédent est juste parfait.
De la belle littérature et une pépite de plus dans cette belle maison d’éditions : Verdier.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2023/05/15/lilas-noir/
Faire une recension de ce chef d’œuvre est un exercice périlleux.
Comment dire que j’ai fait durer cette lecture jusqu’à l’extrême, non parce que le livre fait 700 pages, mais parce que j’ai laissé instiller en moi cette histoire comme on laisse maturer un met d’excellence.
Début des années 40 Ferdinand Goldberger, la soixantaine, chef de section du parti nazi, fuit Innvertiel à la nuit tombée.
Il quitte sa propriété prospère avec sa fille Martha 21 ans.
« Lui Ferdinand Golberger, avait dénoncé les gens de son propre village. Une foule de personnes. Or il se trouvait qu’une seule de ces accusations — la première — était réellement fondée. Il ne parvenait pas à s’expliquer pourquoi il s’était alors acharné, comme possédé, ce qui l’avait conduit à l’infamie. »
Ils arrivent à Rosenthal dans une ferme dévastée qui appartenait à la famille de sa défunte femme.
Tout est à faire, lui qui gérait son domaine, doit se mettre même aux travaux les plus durs.
Il s’y attelle, pour seule distraction une bière à l’auberge du village, avec la charmante Elisabeth.
C’est à Rosenthal qu’il apprendra la fin de la guerre et qu’il attendra le retour de son fils Ferdinand, chez les Goldberger, on s’appelle de Ferdinand de père en fils.
Nous, lecteurs vivons avec cette famille au rythme de cette Autriche rurale et provinciale qui subit non seulement le changement de saison mais où survivent de façon tenace les traces du nazisme.
La construction de cette histoire est au cordeau, 5 parties de 10 chapitres. Il y a le rythme naturel de la nature et des travaux agricoles avec ses changements profonds dus à la mécanisation, mais aussi l’évolution familiale.
Ferdinand junior reviendra de la guerre, à partir de là Ferdinand Sénior deviendra Golberger. Le fils ne fera pas de cadeau au père, Il ne saura pas pourquoi son père a dû fuir ni pourquoi sa sœur est traumatisée.
La scène du père qui continue à exercer ses fonctions à Rosenthal, lors de l’exécution d’un prisonnier polonais, est floue. L’auteur n’insiste pas sur les faits, ne les commentent pas, mais donne à voir les conséquences.
Ferdinand fils va évincer le père, il essaiera de savoir comment sa mère est morte, pourquoi sa sœur est comme cela, mais rien ne sortira.
Le mutisme est entré dans cette famille et il est clair qu’il est connexe à la faute du patriarche.
Exode : 34.7 qui conserve son amour jusqu'à mille générations, qui pardonne l'iniquité, la rébellion et le péché, mais qui ne tient point le coupable pour innocent, et qui punit l'iniquité des pères sur les enfants et sur les enfants des enfants jusqu'à la troisième et à la quatrième génération !
Mais dans la tête de Golberger c’est jusqu’à la septième génération.
Pour ce patriarche à la main de fer il est difficile de laisser la place, mais le fils ne lâchera rien, et tout cela sans prononcer un mot. C’est le fils qui devait hériter de cette propriété il entend bien la faire prospérer.
C’est ce qu’il fait, il s’occupe de tout, est partout à la fois, il gère le mariage de sa sœur, travaille comme un forcené, s’établit, fonde sa famille.
En voyant Ferdinand fils agir le lecteur a le sentiment que si le fils veut rompre avec la figure tutélaire, il y a des gènes qui ne trompent pas.
Notamment dans la manière dont il exerce son pouvoir pour savoir lequel de ses fils reprendra l’exploitation. Ferdinand Junior aura rompu avec la tradition des prénoms, il aura trois enfants : Maria, Thomas et Paul.
Malgré cet amour-haine, la vie se construit.
« Son père lui inspirait toujours de la pitié. Mais la vue de ce vieil homme retranché derrière sa chaise avait été riche de plusieurs enseignements. Elle lui avait aussi permis de comprendre quelque chose : en dépit de tout, Golberger lui était demeuré une sorte d’appui, dans la mesure où il paraissait ne pas avoir changé. Il était une personnification du passé, quelque chose sur quoi on pouvait faire fond. C’en était fini à présent. Golberger était devenu un autre homme ; le passé ne s’incarnait plus en ses traits. Il n’offrait plus un quelconque appui. La pitié que ressentait Ferdinand était aussi un apitoiement sur lui-même. Plus rien ne le soutenait. »
Il n’y a pas que le mutisme qui soit pérenne dans cette histoire familiale, il y a aussi le lilas rouge. Où que soir un Golberger du lilas rouge sera planté, même à l’autre bout du monde.
Symbole du renouveau, chaque floraison est attendu et admirer, on le dit lié au bonheur conjugal et au souvenir ;
Cette prospérité retrouvée sera transmise à Thomas, Paul aura un autre destin que je ne dévoilerai pas.
Golberger à la fin de sa vie demande pardon à Paul.
Alors me direz-vous c’est une histoire de famille comme il y en a beaucoup dans la littérature surtout la littérature classique. Eh bien non, c’est différent.
L’écriture est magistrale, car elle fait renaître une maîtrise qui nous semble en voix d’extinction. La rigueur du cadre allié à la puissance narrative nous fait vivre cette histoire avec une profondeur inégalée. La nature omniprésente a des couleurs qui vous foudroient, elle ne remplit pas le silence de cette famille, elle l’accompagne, l’enveloppe et fait vie car elle a des pulsions qui rythme cette vie et fait sens.
C’est à mon avis cette osmose qui nous accroche à cette famille.
Paul échappera-t-il à son destin ? Et la malédiction s’éteindra-t-elle avec lui ?
Rien n’est moins sûr, car à la fin c’est par lui que cette histoire continuera.
J’attends avec fébrilité Lilas noir.
©Chantal Lafon
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