"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Un soir à la nuit tombante, au début des années 1940, un père et sa fille arrivent dans un village de Haute-Autriche sur une carriole tirée par un cheval, avec leurs malles et leurs meubles, et s'installent dans une ferme abandonnée qui leur a été attribuée. La jeune fille traumatisée serre dans son poing un bouquet de lilas rouge.
Ferdinand Goldberger, chef de section du parti nazi, a dû fuir son village d'origine, mais ses crimes pèseront sur sa descendance. Au moment où la lignée semble devoir s'éteindre, puisque aucun des petits-enfants du patriarche n'a eu d'enfant à son tour, voici que surgit un ultime héritier, né à l'insu de tous, éduqué au loin. Comme son grand-père et son arrière-grand-père, il s'appelle Ferdinand...
Avec ce roman, Reinhard Kaiser-Mühlecker raconte dans une langue somptueuse le destin de l'Autriche rurale aux prises avec l'héritage du nazisme. La littérature de langue allemande n'avait pas produit depuis longtemps une fresque narrative d'une telle ampleur, comparables aux plus grands classiques européens. Riche en personnages inoubliables, Lilas rouge a été salué par la critique allemande comme une révélation.
Faire une recension de ce chef d’œuvre est un exercice périlleux.
Comment dire que j’ai fait durer cette lecture jusqu’à l’extrême, non parce que le livre fait 700 pages, mais parce que j’ai laissé instiller en moi cette histoire comme on laisse maturer un met d’excellence.
Début des années 40 Ferdinand Goldberger, la soixantaine, chef de section du parti nazi, fuit Innvertiel à la nuit tombée.
Il quitte sa propriété prospère avec sa fille Martha 21 ans.
« Lui Ferdinand Golberger, avait dénoncé les gens de son propre village. Une foule de personnes. Or il se trouvait qu’une seule de ces accusations — la première — était réellement fondée. Il ne parvenait pas à s’expliquer pourquoi il s’était alors acharné, comme possédé, ce qui l’avait conduit à l’infamie. »
Ils arrivent à Rosenthal dans une ferme dévastée qui appartenait à la famille de sa défunte femme.
Tout est à faire, lui qui gérait son domaine, doit se mettre même aux travaux les plus durs.
Il s’y attelle, pour seule distraction une bière à l’auberge du village, avec la charmante Elisabeth.
C’est à Rosenthal qu’il apprendra la fin de la guerre et qu’il attendra le retour de son fils Ferdinand, chez les Goldberger, on s’appelle de Ferdinand de père en fils.
Nous, lecteurs vivons avec cette famille au rythme de cette Autriche rurale et provinciale qui subit non seulement le changement de saison mais où survivent de façon tenace les traces du nazisme.
La construction de cette histoire est au cordeau, 5 parties de 10 chapitres. Il y a le rythme naturel de la nature et des travaux agricoles avec ses changements profonds dus à la mécanisation, mais aussi l’évolution familiale.
Ferdinand junior reviendra de la guerre, à partir de là Ferdinand Sénior deviendra Golberger. Le fils ne fera pas de cadeau au père, Il ne saura pas pourquoi son père a dû fuir ni pourquoi sa sœur est traumatisée.
La scène du père qui continue à exercer ses fonctions à Rosenthal, lors de l’exécution d’un prisonnier polonais, est floue. L’auteur n’insiste pas sur les faits, ne les commentent pas, mais donne à voir les conséquences.
Ferdinand fils va évincer le père, il essaiera de savoir comment sa mère est morte, pourquoi sa sœur est comme cela, mais rien ne sortira.
Le mutisme est entré dans cette famille et il est clair qu’il est connexe à la faute du patriarche.
Exode : 34.7 qui conserve son amour jusqu'à mille générations, qui pardonne l'iniquité, la rébellion et le péché, mais qui ne tient point le coupable pour innocent, et qui punit l'iniquité des pères sur les enfants et sur les enfants des enfants jusqu'à la troisième et à la quatrième génération !
Mais dans la tête de Golberger c’est jusqu’à la septième génération.
Pour ce patriarche à la main de fer il est difficile de laisser la place, mais le fils ne lâchera rien, et tout cela sans prononcer un mot. C’est le fils qui devait hériter de cette propriété il entend bien la faire prospérer.
C’est ce qu’il fait, il s’occupe de tout, est partout à la fois, il gère le mariage de sa sœur, travaille comme un forcené, s’établit, fonde sa famille.
En voyant Ferdinand fils agir le lecteur a le sentiment que si le fils veut rompre avec la figure tutélaire, il y a des gènes qui ne trompent pas.
Notamment dans la manière dont il exerce son pouvoir pour savoir lequel de ses fils reprendra l’exploitation. Ferdinand Junior aura rompu avec la tradition des prénoms, il aura trois enfants : Maria, Thomas et Paul.
Malgré cet amour-haine, la vie se construit.
« Son père lui inspirait toujours de la pitié. Mais la vue de ce vieil homme retranché derrière sa chaise avait été riche de plusieurs enseignements. Elle lui avait aussi permis de comprendre quelque chose : en dépit de tout, Golberger lui était demeuré une sorte d’appui, dans la mesure où il paraissait ne pas avoir changé. Il était une personnification du passé, quelque chose sur quoi on pouvait faire fond. C’en était fini à présent. Golberger était devenu un autre homme ; le passé ne s’incarnait plus en ses traits. Il n’offrait plus un quelconque appui. La pitié que ressentait Ferdinand était aussi un apitoiement sur lui-même. Plus rien ne le soutenait. »
Il n’y a pas que le mutisme qui soit pérenne dans cette histoire familiale, il y a aussi le lilas rouge. Où que soir un Golberger du lilas rouge sera planté, même à l’autre bout du monde.
Symbole du renouveau, chaque floraison est attendu et admirer, on le dit lié au bonheur conjugal et au souvenir ;
Cette prospérité retrouvée sera transmise à Thomas, Paul aura un autre destin que je ne dévoilerai pas.
Golberger à la fin de sa vie demande pardon à Paul.
Alors me direz-vous c’est une histoire de famille comme il y en a beaucoup dans la littérature surtout la littérature classique. Eh bien non, c’est différent.
L’écriture est magistrale, car elle fait renaître une maîtrise qui nous semble en voix d’extinction. La rigueur du cadre allié à la puissance narrative nous fait vivre cette histoire avec une profondeur inégalée. La nature omniprésente a des couleurs qui vous foudroient, elle ne remplit pas le silence de cette famille, elle l’accompagne, l’enveloppe et fait vie car elle a des pulsions qui rythme cette vie et fait sens.
C’est à mon avis cette osmose qui nous accroche à cette famille.
Paul échappera-t-il à son destin ? Et la malédiction s’éteindra-t-elle avec lui ?
Rien n’est moins sûr, car à la fin c’est par lui que cette histoire continuera.
J’attends avec fébrilité Lilas noir.
©Chantal Lafon
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Merci Annie. N'hésitez pas c'est une merveille.
Votre chronique me donne envie de le lire. Merci.