"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
1934. Bérénice Capel, une adolescente juive, rêve de devenir comédienne malgré la désapprobation familiale. Au Conservatoire puis à la Comédie-Française, elle côtoie les grands acteurs de son temps. Jusqu'au jour où ses origines sont dévoilées dans une lettre anonyme... Une trajectoire artistique captivante qui rend ainsi justice aux destins brisés par la folie meurtrière de la Seconde Guerre mondiale. Bérénice 34-44 a obtenu le prix Simone Veil 2013.
Un angle original pour ce roman : les années d'occupation vues à travers le prisme du milieu des artistes, et plus particulièrement des auteurs et comédiens rattachés à La Comédie Française. Très bien documenté, il montre toute la complexité et l’ambiguïté de la situation de ces "saltimbanques" exclusivement voués à leur art, soudain obligés de s'éveiller à la politique. On retrouve bien sûr des thèmes souvent abordés dans les romans qui traitent de cette époque : les différences de comportement face aux restrictions imposées aux Juifs, la difficulté de discerner le vrai du faux, les petites mesquineries et les grandes trahisons. Mais on ne peut s'empêcher d'être touché par ces personnages qui, encore moins que les autres, n'étaient absolument pas faits pour la guerre.
Voici donc dix années dans la vie de Bérénice de Lignières. Passionnée de théâtre depuis l'âge de huit ans, elle est admise première au concours d'entrée du Conservatoire en 1934, contre l'avis de ses parents qui la bannissent. Grâce au soutien d'une cliente de son père, elle poursuit son apprentissage dans la classe de Louis Jouvet et entre à la Comédie Française en 1937 sous ce nom de scène. Bérénice ne vit que pour sa passion du théâtre et des grands auteurs classiques, elle apprécie par dessus tout l'esprit de troupe qui règne dans la grande maison et gravite dans un milieu artistique qui l'amène à rencontrer deux hommes qui compteront particulièrement pour elle : Nathan Adelmann, célèbre compositeur juif allemand en exil et Alain Béron, son librettiste, poète et avocat.
Bérénice et Nathan se marient, leurs carrières respectives sont en plein essor lorsque la guerre éclate. Échaudé par son expérience allemande, Nathan choisit de partir pour l'Espagne tandis que Bérénice, aveuglée par son amour de la scène choisit de rester. Sauf que Bérénice de Lignières cache en réalité Bérénice Capel, fille de Moïshe Kapelouchnik réfugié juif de Russie dont le nom sera francisé au moment de sa naturalisation en 1892. Dénoncée, elle sera exclue de la Comédie Française comme tous les acteurs juifs, à la demande des autorités allemandes. Réfugiée chez Alain Béron, sa conscience politique s'éveillera peu à peu l'amenant à passer à l'action autrement que sur une scène de théâtre. Et à comprendre cette phrase longtemps répétée par son père : "Etre juif, ça se porte"
Si les trois principaux protagonistes de cette histoire sont des personnages créés de toutes pièces, ils croisent la route de toutes sortes de gens bien réels. Louis Jouvet, Pierre Dux, Robert Manuel, Jean-Louis Barrault, Madeleine Renaud, Véra Korène ou encore Jacques Copeau l'administrateur de la Comédie Française au moment de l'exclusion des acteurs Juifs. Ce qui fait de ce roman une mine d'information sur ce milieu, autant qu'un hommage émouvant à toutes les victimes de cette terrible époque.
Quelle idée d'appeler sa fille Bérénice quand on est russe, juif, installé en France pour fuir les pogromes dans son pays d'origine. S'il avait su quel destin attendait sa fille, Maurice Capel y aurait réfléchi à deux fois. Très tôt Bérénice n'a aucun doute sur ce qu'elle veut faire. Elle n'a qu'une passion : le théâtre, qu'un but : la Comédie Française. Comme si son prénom, l'historique de son choix, avaient conditionné la vie de la petite fille. Mais ses parents, fourreurs, voient d'un très mauvais oeil la vocation de leur fille. Avec la complicité de Madame de Lignières, Bérénice trouve le moyen de passer le concours d'entrée au Conservatoire dont elle sort première. Sa vocation est telle que la jeune fille soumise à un cruel ultimatum de la part des ses parents, préférera quitter le cocon familial, être reniée par son père pour pouvoir vivre sa passion pleinement;
La première partie du roman nous montre les différentes étapes qui mèneront la jeune Bérénice Capel, devenue Bérénice de Lignières, jusque sur les planches de la Maison. On y découvre l'apprentissage des futurs comédiens, les coulisses du Conservatoire puis de La Comédie Française. On y vit la passion de Bérénice, son intégration complète dans ce milieu, ce sentiment de troupe, de famille qu'elle ressent comme jamais avant. Mais sa vocation, Bérénice la vit dans une période agitée et une petite phrase sinistre vient comme un refrain nous avertir que le drame est proche.
"Elle ne racontera pas à ses petits enfants, ni même à ses enfants..."
Car la tempête gronde, Hitler est au pouvoir en Allemagne et ses visées expansionnistes vont mettre le feu aux poudres. Malgré les suppliques de son mari, juif allemand ayant quitté l'Allemagne à l'arrivée au pouvoir d'Hitler, Bérénice ne vit que pour la Comédie Française, que pour la tragédie.
Ce roman nous peint le portrait d'une femme passionnée, d'une femme pour qui le théâtre est la vie. Une personnage tour à tour attachant et agaçant tant sa passion l'aveugle. Sa vocation d'actrice la rend pendant une bonne partie du roman, complètement aveugle et sourde à ce qui se passe en dehors du théâtre. Elle se croit protégée par sa célébrité.
Bérénice 34-44 nous montre cette sinistre période de l'histoire sous une angle particulier. La majeure partie du roman se passe sur scène, en coulisses et la guerre à l'extérieur, n'est qu'une musique de fond qui prend peu à peu de l'importance. On y retrouve des comédiens célèbres comme Louis Jouvet qui sera la professeur de Bérénice, ou Robert Manuel, l'ami des débuts. Un milieu décrit avec précision par un Isabelle Stibbe qui sait de quoi elle parle puisqu'elle a travaillé pour la Maison. La Comédie Française nous y apparaît comme un microcosme, on y retrouve tout ce qui constitue la société mais en concentré. Les amitiés, les jalousies, les rivalités, le tout exacerbé par l'horreur de la guerre.
Isabelle Stibbe nous livre un roman passionnant porté par une plume efficace, par moment poétique. Le seul petit bémol que je mettrais à ce livre passionnant tient dans la disproportion entre le traitement de la vie dans le théâtre, et la vie extérieure, les décisions politiques, l'avancée du conflit. Mais malgré tout un excellent moment de lecture.
"C'était vers cela qu'elle voulait tendre en tant que tragédienne, elle ne serait satisfaite que quand elle parviendrait, par l'amplitude de sa voix, par la variété de ses couleurs, à faire ressentir la difficulté d'être, le frôlement avec la folie et la mort, ce moment de basculement subtil où chacun pourrait passer sans crier gare de l'autre côté de la normalité. L'art ne doit pas être réaliste, songea-t-elle, il doit amplifier la vie."
"Quand reviendra le jour, tout s'arrangera, murmura Alain Béron à l'oreille de Bérénice, nous avons tant lutté, tant souffert que tout sera merveilleux ensuite, tout deviendra possible. Il suffira de vouloir pour que nos désirs se réalisent, quand reviendra le jour, même revoir Nathan sera facile et nous jouerons enfin La Harpe de David. Après tant d'horreurs, l'art triomphera, l'humanité comprendra qu'il est le seul salut, que l'art est tout ce qui nous préserve de notre part d'ombre, c'est pour moi l'évidence..."
L’histoire d’une comédienne qui brûle de passion pour le théâtre, un véritable talent. Deux parties dans ce roman, le théâtre d'abord, l'entrée au conservatoire, Jouvet, la comédie française, le fonctionnement de cette institution, des comités aux emplois, des ascenseurs interdits à certains, aux habilleuses.... Et puis la guerre, l'exclusion, la résistance, l'Armée juive, la déportation.
Un personnage féminin fort, autour duquel se croisent d’autres personnages de fiction mais aussi d’acteurs bien réels, Ce roman nous permet effectivement d'appréhender différemment cette période de l'Occupation, qui a déjà fait couler tellement d'encre. Il offre également un portrait de ce qu'était la vie des théâtres au début du siècle dernier, ce qui n’est pas inintéressant ... La manière de raconter l'occupation est original mais les nombreux flashs back et les changements de sujets rend le récit parfois un peu compliqué à comprendre.
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