Entrons dans "La Valise", petit bijou de Sergueï Dovlatov, méconnu en France, jamais publié en URSS
Entrons dans "La Valise", petit bijou de Sergueï Dovlatov, méconnu en France, jamais publié en URSS
J'avais déjà repéré le roman précédemment publié de Sergueï Dovlatov, La valise, mais l'allusion éponyme au célèbre poète russe a été l'argument ultime. Frère de dissidence et d'exil d'Alexandre Soljenitsyne et de Joseph Brodsky, Sergueï Dovlatov - Сергей Донатович Довлатов - a trouvé l'exil aux Etats-Unis, qui a eu l'honneur de publier ses textes dans le célèbre The New-Yorker. Le vent a tourné depuis, les vestes aussi, son oeuvre aujourd'hui est reconnue par l'intelligentsia de son pays natal.
On retrouve donc Boris Alikhanov, un auteur soviétique au placard, un mariage pas loin de l'être également, qui vient tenter de gagner quelques sous l'égide de celui qui apparaît comme le plus grand poète russe. De quoi se sentir relativement modeste tout écrivain qu'il soit, dans cet ensemble de bâtiments tous liés d'une façon ou d'une autre à l'auteur idolâtré. On ne peut pas dire que notre homme sache véritablement où il va ainsi et ce qu'il compte faire de sa vie. En-tout-cas, ce qu'il sait, c'est qu'il ne sera jamais un auteur en URSS, et si sa femme a bien compris qu'elle n'aurait pas d'avenir sur place, son exil étant décidé et planifié, Boris reste lui ancré sur un sol qui lui refuse pourtant tout avenir en littérature.
On rigole bien aux côtés de Boris : Sergueï Dovlatov en a fait un homme qui ne prend pas grand chose au sérieux, encore moins son rôle de guide au sein de l'institution Pouchkinienne, au fond les touristes ne sont-ils pas tous des ignares. Parce qu'après tout, il n'a plus rien à gagner, plus rien à perdre - on lui a déjà tout pris, Leningrad ne veut pas de ses livres, l'URSS n'en veut pas - autant se noyer dans les grammes de Vodka. Est-ce que l'auteur a voulu représenter l'écrivain qu'il se serait imaginé être si d'aventure, il ne s'était jamais exilé et n'avait jamais pu publier, il y a de quoi se poser la question. D'autant qu'en se penchant un peu sur sa biographie, que l'on retrouve en fin d'ouvrage, on s'aperçoit que comme son héros, il a également travaillé comme guide dans ce domaine Pouchkine, sauf que quelques années plus tard, à la différence de son Boris, il prend la décision de s'exiler.
Une vie sans saveur, sans aucun sens ou espoir, un homme éteint, sans plus aucune volonté. Un pantin désarticulé. Le ton est drôle, facétieux, rempli de blagues, mais au fond ce texte exsude un désespoir fataliste de ceux qui ont laissé leur instinct de survie s'éteindre peu à peu. On ne saura pas ce qui dans les textes de Boris ont provoqué leur censure, car après tout le principe même de la censure soviétique est dévoyée, ne comporte aucune logique, et fondamentalement aucun sens. À l'inverse, Pouchkine est l'étendard même de la fierté russe, même s'il faut pour ça s'arranger un peu avec la vérité, en rajouter, embellir, Pouchkine est la façade de ces censeurs soviétiques. L'illégitimité de Boris de ne pas ou ne plus sentir écrivain est ce qu'il combat depuis son arrivée, et bien plus depuis l'interdiction qui lui est tombée dessus, est insidieusement toxique et empoisonne peu à peu son esprit, déjà ravagé par l'alcool. Et ce n'est pas le triomphe de ces écrivains, qui n'écrivent que du vide, de l'esseulé, du pré mâche, justement ce qui ne risque pas d'effrayer le pouvoir ambiant, qui vont lui rendre espoir. Il n'hésite d'ailleurs pas à étriller ses contemporains et leur style, Violine, Likhonossov, adepte de la littérature paysanne, rayonnant le collectivisme soviétique, embourbé dans ce sentiment d'injustice face à cette reconnaissance, aussi factice fût-elle, inscrite noir sur blanc sur cette carte qui les reconnaît comme auteurs.
Première découverte d'un auteur que j'aimerais découvrir plus avant, comme tous les écrivains dissidents, il possède cette aura, qui lui vient sans doute du courage qui a été le sien de laisser derrière lui un pays qui obstruait ses desseins littéraires. Son premier livre a été, en effet, détruit par le KGB. Et ce n'est que vers la fin des années quatre-vingt-dix, que ses textes commenceront à être publiés en URSS, à l'aube de sa dissolution. Ce roman atteste à quel point l'exil est un exhausteur des sentiments patriotiques, des rancoeurs comme des liens indissolubles qui rattache un auteur déchu de sa patrie, comme s'il n'avait jamais quitté cette dernière. Certes, il a débuté l'écriture de son roman en 1977, mais celui-ci a été publié en 1983, près de quatre ans après son exil.
Belle découverte !
Sergueï Dovlatov est un journaliste et écrivain russe qui quitte l’ex-URSS en août 1978, ce, pour une seule raison : il sait qu’il ne sera jamais reconnu en tant qu’écrivain dans ce pays où il subit le carcan de la censure et de la répression.
Il aurait voulu emporter avec lui des livres et bien des effets personnels mais il lui fut autorisé à ne prendre que trois valises maximum. Pour finir, il quittera son pays auquel il restera toujours sentimentalement attaché, avec qu’une seule et unique valise.
Arrivé en Europe, il s’achète de nouveaux vêtements puis après trois mois en Italie, il s’envole aux États-Unis où il s’installera en reconstituant sa famille.
En plus de sa fille, il eut un fils qui, enfant turbulent, fut un jour puni et demandé d’aller dans le placard pour se calmer. Quelques minutes plus tard, quand il va le rechercher, il le trouve assis sur la valise restée fermée depuis plus de quatre ans.
« J’empoignais alors la valise et l’ouvris. »
Il en vida son contenu.
« J’examinai la valise vide. Karl Marx au fond. Brodsky sur le couvercle. Et entre les deux, une vie foutue, inestimable, unique… »
« Mes affaires formaient un tas bariolé sur la table de la cuisine. (…) C’est alors que les souvenirs, comme on dit, refirent surface. Ils étaient probablement restés enfouis dans les plis de ces pauvres hardes. Et voilà que brusquement ils émergeaient. »
Chaque vêtement va correspondre à une histoire alimentée par les souvenirs de l’auteur dans la Russie des Bolcheviks avec son quota d’absurdités entre milices, dénonciations, corruption, antisémitisme, suicides, arrestations, bureaucratie, le tout fortement arrosé de vodka, d’aventures et de littérature.
L’écrivain narrateur est un personnage haut en couleur qui croque la vie à pleines dents, n’hésitant pas à suivre des copains de beuverie marginaux dans des combines plus ou moins louches pour compléter ses revenus insuffisants de journaliste un peu raté.
Son goût pour une vie dissolue et anticonformiste, l’entraîne parfois dans des situations burlesques qui forcent à rire tout en dévoilant une galerie de portraits de gens ordinaires et originaux face au quotidien difficile de l’époque.
Bien que les souvenirs soient tantôt joyeux, tantôt tristes, tantôt dramatiques, le ton reste fataliste et gentiment ironique.
Au-delà des chaussettes finlandaises en crêpe, des chaussures du maire, du costume croisé tout à fait convenable, du ceinturon d’officier, de la veste de Fernand Léger, de la chemise en popeline, de la chapka et des gants d’automobiliste, c’est toute l’âme russe complexe et énigmatique que contient cette valise.
Une écriture talentueuse et un esprit vif pour un livre pétillant zébré d’un sarcasme bienveillant qui m'a beaucoup plu.
En fin de livre, on peut lire un entretien intéressant paru dans la revue Slovo en 1988 qui nous fait découvrir cet auteur édité post-mortem en France ainsi qu’une chronologie de sa vie et de son œuvre.
« Je suis parti pour devenir écrivain et je le suis devenu après avoir réalisé un choix difficile entre la prison et New-York. L’unique but de mon émigration était la liberté créative. (…) Je n’avais pas même de griefs contre le pouvoir : j’étais habillé, chaussé et jusqu’au bout, dans les magasins soviétiques, ils vendaient des pâtes, je n’avais pas besoin de penser à la subsistance. Si j’avais été édité en Russie, je ne serais pas parti. »
« Cette profession ne se choisit pas. C’est elle qui vous choisit. »
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