"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« Noces de givre » est d’emblée la prononciation d’un roman inoubliable
Étourdissant de puissance, la langue nouvelle, admirable et rigoureuse.
La maturité du style laisse sans voix.
Nous sommes dans le cœur de l’épiphanie hivernale. Un livre qui accroche ses bras autour de votre cou. La sensibilité d’un texte pétri de sentiments.
« J’ai tout de suite été frappée par sa démarche, par sa façon de projeter son buste en avant. Comme s’il voulait échapper aux regards.. »
Elle est ici. La jeune narratrice d’à peine seize ans. Elle le regarde, dans cette intrigue passagère. Il marche sur le chemin, le poids lourd du monde sur ses épaules frêles.
Biche traquée, l’enfance fusillée. Il frôle les dix-huit ans et pas à pas, il se fond dans le paysage. Mimétisme, cache, il est le radeau de Géricault. La terreur exacerbée. La hantise des injustices, l’horizon hostile.
Le sud de la France, les montagnes sont dans cette mystique des regards. Elles ne lâchent rien, observent et tout est relié au vivant. L’histoire s’élève, douloureuse et sublime, tant le don d’exaucement est omniprésent.
Cette femme-enfant, grandissante, à peine-née, et déjà, elle pressent l’évidence du vertige. Ce qui pourrait traduire sa vie, autrement. Son double cornélien, ce jeune homme en fuite dans l’abîme des engloutis. Sauvage et énigmatique, il va et vient, disparaît de la vue de la jeune fille.
Mais c’est sans compter sur la ténacité de cette adolescente qui va honorer la véritable rencontre avec la spontanéité des écorchés vifs qui se savent.
« C’est à ça que je songe en cet instant qu’il existe des choses, des lieux, des êtres, et que tous possèdent un cœur secret auquel on aura pas accès. »
Elle vit chez Mamé, sa grand-mère. Elle se love dans sa tendresse, berceau de quiétude, dans cet apaisement crépusculaire de la connivence. Mamé, peintre-bohème, qui a glissé un pinceau dans la main de cette enfant orpheline et dont le père vivant est un mystère pour elle. L’horizon qui se cogne en ses regards. Les faillites parentales et la chute d’Icare. On aime Mamé, intuitive, brillante de finesse, qui laisse la jeune fille vagabonder, étreindre les couleurs, le pictural salvateur. Une grand-mère artiste dans l’âme qui fait œuvre d’initier l’enfant aux grands maîtres de la peinture, tel Michelangelo Merisi, (le Caravage).
« Mamé est penchée sur la toile, tellement absorbée que je pourrais passer derrière elle sans qu’elle s’en rende compte. Un tel don de soi, un tel degré de concentration ne sont pas pour rien dans l’idée que je me fais de sa démarche, de son caractère sacré. »
L’éducation spéculative, l’art exutoire, la jeune fille est dans la réconciliation , l’élixir intense qui console sans attente de retour. Ce livre des explorations de l’âme humaine est l’apothéose de l’inné. Raymond Penblanc peint la spontanéité de l’amour, le point d’ancrage sentimental. Ces deux oisillons tombés du nid, bien trop vite, bien trop tôt. Otages des faillites des grandes personnes. Ce livre bleu-nuit est la beauté .Tout simplement.
Ce qui se cache sous l’écorce de la pureté et de la grandeur. Le jeune garçon, gavroche-poulbot, abandonné du monde, va se réfugier dans la cabane des chasseurs.
La vulnérabilité d’un antre qui coopère avec ce jeune homme, en fuite, du foyer, accusé à tort, bouc-émissaire. Un gosse perdu dans les limbes, accusé de vol. La cabane, Alcazar, matrice, accueille ces deux jeunes-lianes. Referme en elle la sauvagerie, l’hostilité. Dresse la table des dimanches et illumine les confidences, les approches, les premiers gestes, gammes maladroites encore. Le pouvoir du virginal, de la beauté pure, entre pommes et bières, cigarettes et caresses. Les paroles brèves dans cette émancipation de l’écoute d’urgence.
Mamé est dans sa bulle. Laisse l’enfant aller et venir. Ou bien est-elle complice de ce bouleversement et ne dit rien et observe en silence. « Peut-être a-t-elle su lire dans mes yeux. »
Mais le village pressent un changement d’heure. Les regards lourds derrière les persiennes.
On retient notre souffle dans cette transmission créatrice. Elle lui apprend les couleurs, les passages-gué, et les retenues prêtes à éclore. Elle nomme Michelangelo, elle élève son frère de cœur dans ce puits de lumière.
L’étymologie pastorale qui excelle dans cet antre de bois, de mousse et de givre. Les souffrances dans l’ombre des sous-bois endormis, pour un instant encore.
Ils sont ici, dans cet havre, en sursis encore.
« Noces de givre » de Raymond Penblanc est l’éminente littérature. Un récit tragique, sublime, crépusculaire. Le dixième roman de cet auteur de génie.
Un roman engagé, fascinant et bouleversant, puissamment réaliste.
Un livre qui a du bleu au fond des yeux.
Publié par les majeures Éditions Le Réalgar.
Lucide, sombre, subliminal, « L’éternel figurant » est un kaléidoscope manteau gorgé de pluie sur notre monde vacillant.
Le regard visionnaire et les mots annonciateurs, c’est un électrochoc nécessaire. Il donne la parole à douze nouvelles. Brise le plafond de verre, lames gelées, brise-glace sur nos égarements. Le macrocosme du monde ployé sous les affres des perditions et de l’impondérable. Les conséquences des actes lancinants et violents.
« Dans mon pays en guerre » est un symbole fort.
« Si certains prient, c’est tout bas, comme s’ils avaient honte. C’est aussi la preuve qu’on peut encore se réfugier en soi-même. »
Église asile, grotte matrice-mage, où les habitants repliés pensent le feu s’arrêter sous le porche des regrets. Il n’en sera rien. Le bûcher parabolique, annonciateur des mécanismes implacables où le prochain doit mourir.
« Les premiers brandons s’abattent en sifflant autour de nous. »
La guerre fratricide, mordante et tueuse qui ne laisse aucune miette pour les affamés de la paix. Si près de nous encore…
Les signaux vifs de Raymond Penblanc rassemble l’épars. Existe-il un bruissement de rédemption ?
On déambule dans un labyrinthe où les racines accrochent nos pieds. Les résistances, contre-pied au nihilisme, au cynisme, à l’effroyable.
« Qu’importe si on ne me reconnaît pas. Je serai cent, je serai mille, je le suis déjà, si je m’amuse à mettre bout à bout toutes les figurations… Un sacré sport qui vaut toutes les figurations. »
Un peu du mime Marceau, de la transmutation, les mythes théâtralisés, le masque tombe. La figuration, scène exutoire.
Que dire de la douzième qui sonne le glas de la finitude littéraire. Autofafé sur nos consciences qui n’ont pas compris combien le mot est l’oxygène du monde. Le néant, le dernier lecteur, la parabole est l’encre égarée dans les méandres des perditions. Prenez soin de celle-ci. « Le dernier ouvrage » mirage annonciateur.
Les fragments sont des étincelles tragiques et tremblantes. Des soubresauts réalistes et inéluctables, d’une beauté inouïe. Raymond Penblanc dresse le portrait de la vie et de ses inévitables errances, à rebours des non dits et des fausses joies. En cela ce texte est aussi une urgence de lecture. La tristesse douloureuse, ces douze nouvelles sont la traversée du miroir de notre vaste humanité. Grave et superbe, cette noria de nouvelles est un ballet d’oiseaux noirs qui transpercent nos indifférences. Inoubliable.
Publié par les majeures éditions Le Réalgar.
Vous dire que j'ai tout compris à ce roman qui commence formidablement bien, serait exagéré :
"Lorsqu'il a étranglé la fille, elle se trouvait juchée sur sa table, jupe retroussée, cuisses écartées. A-t-on idée de grimper sur sa table quand on est élève à l'institution de la Mère-Dieu ? Ici, c'est genoux serrés et bouche cousue (ça devrait l'être, c'était comme ça avant. Avant, c'est-à-dire avant l'arrivée de monsieur Rouste, le nouveau directeur)." (p.9)
La suite, eh bien j'ai commencé en me perdant un peu entre les noms des différents personnages, leurs fonctions, leurs rôles dans cette histoire, leur folie, leur décalage total avec la réalité, jusqu'à ce que je me dise : "Mon petit gars, laisse-toi porter par les mots plus que par leur sens !" Et oui, lorsque je me parle, je m'appelle mon petit gars, parce que comme disait le regretté Pierre Desproges, si je m'appelle ma petite fille, ça m'excite et après je réponds plus de rien... Et c'est ce que j'ai fait. Et ça fonctionne. En fait, pour tout vous expliquer, je suis du genre à vouloir comprendre phrase par phrase voire mot par mot. Ce qui explique mon incapacité à lire et comprendre de la philosophie par exemple pour laquelle, il faut globaliser la compréhension par paragraphe voire par chapitre... Or, ce roman, comme d'autres nécessite un recul et un mode de lecture différent du mien, un lâcher prise sur le sens. Je l'ai donc lu de la même façon que lorsque j'ai lu des livres des surréalistes ou que je peux lire des livres absurdes. L'histoire est là avec beaucoup de digressions, d'apartés que je ne comprends pas forcément, mais dont j'apprécie le son, la couleur. Parce que ce qui est indéniable, c'est que Raymond Penblanc a une belle écriture, beaucoup de finesse, des jeux de mots, de l'humour, de la tendresse et de la vacherie aussi. Il n'est pas tendre avec ses personnages, même si certains bénéficient d'une description plus clémente, ceux en qui on peut encore avoir de l'espoir. Absurde, décalé, fou, que de beaux qualificatifs pour un roman.
Attention, ce n'est pas parce qu'il y a un meurtre que c'est un polar. Lire ce roman c'est accepter d'entrer dans une institution un peu particulière et de se laisser porter par les mots de l'auteur. Évidemment, cette chronique n'est qu'un ressenti très personnel et peut-être d'autres lecteurs y trouveront d'autres choses, ce qui ne m'étonnerait pas, c'est un livre à plusieurs lectures.
Très beau roman de Raymond Penblanc dont j'ai déjà beaucoup apprécié Phénix, lui aussi sur l'enfance. Je ne connais pas les proportions entre la fiction et la biographie de Jeanne, maman de Raymond, mais tout est tellement crédible qu'on a envie de croire à la réalité de cette histoire, entièrement. On peut se projeter aisément dans ce récit, pour moi ce serait plutôt mes grands-parents, ruraux, à peine plus au sud que Jeanne (limite Ille et Vilaine/Loire inférieure comme on disait à l'époque). Raymond Penblanc parle du poids des traditions, de la religion omniprésente dans le pays, culpabilisatrice : les enfants sont élevés et grandissent dans la peur du péché : "C'est péché, péché, péché. Le monde est bien trop vaste, bien trop compliqué, et elle est bien trop petite, incapable de rien comprendre. Une fille, un garçon, une fleur, un animal, chacun doit demeurer à sa place, à chacun son rôle comme à chacun son dû." (p.29) Alors une petite fille qui regarde des garçons, tout à fait innocemment se pose des questions et craint les réponses. Le Diable est présent, autant que Dieu : "Alors ? Dieu, ou le Diable ? On l'avait oublié celui-là. Qu'il ne t'inspire pas surtout, qu'il ne te pousse pas à t'écarter du droit chemin." (p.29) La tradition, c'est aussi la différence de classe sociale : le fils du directeur de l'usine, même du même âge est infréquentable. Mais Jeanne sait aussi rire avec ses amies et insouciance, notion qui manquait beaucoup à l'époque.
Raymond Penblanc raconte l'histoire de Jeanne avec beaucoup de tendresse et d'amour. Son texte est d'une qualité rare, dénué de toute méchanceté, le style n'est pas moderne -tant mieux, cela aurait gâché le plaisir de lecture et limité le jaillissement des souvenirs personnels-, plutôt classique, intemporel et beau. Poétique, drôle, léger, dur, violent, élégant, admirable, émouvant, plaisant, mélancolique, séduisant, bath, ... je pourrais aligner encore plus d'adjectifs, comme l'éditeur (Lunatique) le fait joliment sur sa page d'accueil.
Ce roman est aussi celui de la passion pour la lecture d'abord puis pour l'écriture. Comment la famille et l'éducation permettent d'écrire et comment l'écriture permet de rendre hommage à ceux qui ont permis que cette passion puisse éclore. Une parenthèse de douceur, de simplicité et de beauté littéraire.
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