"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Bergounioux embrasse (très) large pour parler sur l’art en général, l’histoire, la philosophe, la sociologie, avec en dominante l’économie … et tout cela en quelques lignes !
Une autre façon de faire des sciences sociales en intégrant des dessins de Philippe Cognée sur des objets d’aujourd’hui (fleurs en pot, immeuble, baignoire, réfrigérateur, empilement de chaises plastiques, barres d’immeubles, bungalow, cendriers, cabine téléphonique, conteneurs, ).
C’est étonnant, percutant et efficace.
Et si, au soir de sa vie, comme un vizir on constatait que « les moments heureux …, cousus ensemble, feraient à peine une matinée » ?
Et Bergounioux de lister ces moments de bonheur dans sa propre histoire. Une intéressante biographie sélective de son enfance et de son adolescence avec son premier souvenir à 3 ans ; la lumière et la maison au crépis rose ; et le village avec ce « sentiment du bonheur et celui de mon existence. Je suis chez moi » (p 14) ; la pèche, particulièrement dans la Dordogne avec son père ; et les poissons, et les insectes ; et la mer et sa découverte, et le regard de ceux qui la découvre ; une certaine félicité lorsque la place et la rue se sont vidées (p 22) ; la renaissance de « l’espérance du bonheur » et la conscience de soi, l’importance des livres ; …
Un texte accompagné de dessins originaux de Philippe Cognée (qui illustrent la nature avec ce qui pourrait être des joncs, … des bords de la Dordogne).
Une écriture éblouissante qui demande de l'exigence. En effet, le propos est magnifiquement servi par une langue au plus proche de la complexité des sentiments humains. On peut aisément se figurer l'universalité de ce court récit qui ressemble à un palimpseste écrit en boustrophedon. Le parchemin effacé par la sueur et les larmes des hommes.
« L’existence est soumise à l’inlassable travail du temps. »
C’est beau, vous ne trouvez pas et très juste.
Dans son premier livre Pierre Bergounioux trace son histoire d’une plume fine et d’une richesse stylistique qui nous revigorent, nous lecteurs, amoureux de cette belle langue française. Il fait partie du trio : Pierre Michon, Marie-Hélène Lafon et Pierre Bergounioux, qui nous raconte la vie, avec des mots choisis, polis par leur savoir-faire et c’est passionnant.
J’ai adoré la subtilité de nommé le narrateur par IL et de temps à autre par JE.
IL a perdu son amour Catherine.
« A dix ans de distance, c’était un double étonnement : infiniment tendre, émerveillé, irrévocable, que contre toute espérance elle ait consenti à devenir sa femme, sans effroi ni calcul ; et sombre, insupportable que dix ans aient passé de la sorte, dans ce parfait apaisement, pendant lesquels, chaque jour, sans s’en rendre compte, il avait commis la faute intime, impardonnable. »
IL a perdu son JE, il pensait qu’il lui suffisait d’être.
« JE considérais, au fond, que c’était tout lui donner que la dépendance dernière où j’étais vis-à-vis d’elle. »
IL a demandé sa mutation dans l’urgence, le lendemain de la rupture, pour la Corrèze où il a hérité une maison de son oncle.
Loin de son malheur, dans un cadre où la nature l’accueillera, lui la bête blessée.
IL est dans une situation d’inconfort extrême, tout son être le crie.
Chaque jour, IL doit « seul appareiller pour une journée sans havre. »
IL commence à s’approprier l’environnement, l’intendance d’une maison est une donnée quasi-inconnue pour lui, mais dans cet antre, IL peut s’adonner à sa passion de l’entomologie et IL cherche réconfort dans la lecture de l’œuvre de Flaubert, celui d’avant Emma.
IL doit conquérir son juste rapport au monde et à la vie sociale car jusque-là, cela se faisait naturellement par le truchement de Catherine.
C’est ainsi qu’un pas après l’autre IL prend conscience que le monde tourne sans lui et que lui doit trouver voire prouver son existence par lui-même.
Le désordre de la maison et sa façon de se nourrir fait sourire. Mais la scène de sa première rencontre avec ses voisins est hilarante, tant IL est en décalage et pour des roublards une proie en apparence facile.
Mais cet intellectuel n’a pas oublié ses racines paysannes, elles seraient une ancre dans son désert. IL le prouvera.
A la campagne, contrairement à ce que l’on dit, il y a de l’action.
La preuve une véritable chasse à l’homme dont je vous laisse découvrir l’enjeu.
L’auteur nous offre un voyage entre le subjectif et l’objectif accessible à chacun.
Un pèlerinage comme interrogation existentielle, phrase après phrase.
IL devient JE car il va inexorablement vers l’apaisement.
IL a compris qu’IL ne pouvait vivre de papier imprimé, qu’IL devait acquérir un savoir-faire pour arriver à pouvoir-faire afin de savoir-être.
Remettre sa vie entre ses mains.
Entre ces turbulences, il enseigne à des gamins de onze ans, auxquels un lendemain d’agapes avec ses voisins qui ont été plutôt troubles, il donne un devoir de deux heures qui a pour sujet « Moi ».
Il prend conscience du désarroi de sa classe, et leur donne des explications qui vous réjouiront car le savoir-faire est là, une leçon de philosophie.
Si le ciel lui est tombé sur la tête, il finit par voir le ciel par-dessus les toits. Mais je ne vous dirai pas s’il finit par reconquérir Catherine, omniprésente sans que vous en sachiez plus sur elle.
« La fuite légère, saccadée, du temps qui lui était encore accordé lui semblait tangible. C’est cela le bien suprême, le pur écoulement. Encore faut-il être quelqu’un ou quelque chose pour en profiter. »
©Chantal Lafon
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