Faisons connaissance avec des auteurs aussi talentueux que passionnants !
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Isadora est maintenant une vieille femme, en EHPAD, entre passé heureux et présent douloureux...
Qu’ils étaient beaux, les étés des la narratrice, dans cette grande maison blanche entourée de végétation : les arrivées des cousins, des oncles et tantes, les cabanes dans arbres.
Mais Isadora Aberfletch est maintenant une vieille femme en résidence pour personnes âgées. Beaucoup des siens sont morts mais elle n’a jamais pu se défaire de la Maison.
J’ai aimé suivre cette femme à l’aube de sa vie se remémorant ses beaux souvenirs : les Noëls illuminés par la petite dernière Harriett ; le frère aîné s’entrainant sans cesse à la trompette dès potron-minet ; la soeur aîné Louisa plus distante.
J’ai aimé découvrir Petite-Mère qui peint des fleurs sans cesse et Petit-Père qui est là simplement.
J’ai aimé la grande-tante Babel et ses pelisses, ses séjours interminables en cure ; l’oncle Bertie et ses cigares au miel.
J’ai aimé les couleurs : la salle d’eau verte toujours trop froide ; le jardin et ses arbres bleus ; le jaune du soleil ; les planches de bois blanc.
J’ai aimé qu’Isadora ait des amours, de passage malheureusement.
Mais j’ai eu de la peine pour cette femme qui vit dans ses souvenirs, particulièrement celui de sa soeur tant aimé Harriett.
J’ai aimé qu’un jour, Louisa lui raconte ce qu’elle n’a pas vu avec ses yeux émerveillés d’enfant.
Et bien sûr, j’ai aimé ne pas savoir dans quel pays ni à quelle époque se déroulait le récit.
L’auteure excelle dans les descriptions de la nature un peu mystérieuse qui abrite les jeux d’enfants.
Un roman doux-amer sur l’impossibilité de la séparation.
L’image que je retiendrai :
Celle des bruits des petits pieds d’enfants courant dans la maison et le jardin.
https://www.alexmotamots.fr/les-guerres-precieuses-perrine-tripier/
La gloire efface tout, excepté le crime
Je me souviens parfaitement lorsque je terminais Les guerres précieuses m’être dit : il faut retenir ce nom Perrine Tripier. J’étais sûre d’avoir lu le premier roman d’un talent qui ne saurait mentir.
Avec Conque le talent se confirme, le sujet est le même : le passé ; mais sous un prisme plus universel, à l’aune de l’Histoire.
Ici, pas de définition de lieu ni de temps, une époque passée, un Empereur à la tête d’un pays.
Martabée , historienne dont la renommée est arrivée jusqu’aux oreilles de l’empereur, est engagée pour mettre au jour la civilisation des Morgondes.
« Elle se sentait récompensée, reconnue et ça, ça elle l’avait attendu toute sa vie. »
Passionnée elle s’atèle à la tâche, l’Empereur lui déroule le tapis rouge, il l’installe dans une villa somptueuse quoique froide, où elle pourra bénéficier de tous les avantages lui facilitant le travail et le compte-rendu périodique qu’elle doit en faire, car l’Empereur tient absolument à ce que le peuple soit informé de la grandeur de cette civilisation enfouie.
À la gloire des Morgondes, à la gloire de l’empereur !
« L’Empereur, galvanisé par la découverte, fouetté par les cris guerriers de ses ancêtres, souleva des montagnes pour créer les fonds, ou plutôt instaura de nouvelles taxes. »
Le lecteur éprouve très vite un vertige qui n’a rien à voir avec le prestige de la situation de Martabée, il ressent qu’un piège est sur le point de se refermer sur elle.
Les équipes travaillent d’arrache-pied et elle doit retranscrire au fur et à mesure les découvertes, mais celles-ci montrent une civilisation barbare vis-à-vis des femmes notamment, c’est au-delà du possible.
Le passé enchanteur vire à l’horreur absolue.
Mais l’Empereur ne veut rien savoir et entend bien se mêler de refaire l’Histoire et enfouir les exactions de ces barbares.
Au début il ne s’agissait que de glisser, dans le bulletin rédigé, une phrase du cru impérial, mais très vite la situation devient glauque et sans retour possible. Le désaccord de Martabée vire au cauchemar absolu, le piège se referme.
Et c’est à se moment de la narration que se déploie le génie de notre narratrice, de métaphore en métaphore, elle fait parler les éléments, chaque conque, chaque moulure a quelque chose à dire.
Les phrases reprennent inlassablement les mots des découvertes archéologiques, comme autant de dessins, qui au fur et à mesure deviennent opaques, sèment le trouble.
J’ai noté cette expression dans une maison Perrine Tripier écrit : « les plafonds sont courts », toute la magie est là dans cette contorsion du vocabulaire pour nous pénétrer de part en part, comme une épée, pour nous faire ressentir le dilemme d’une vie face aux exigences abusives du pouvoir.
Ce livre nous offre une réflexion non sur le passé mais sur notre monde contemporain notamment l’Amérique qui nous contamine avec la révision de l’Histoire, chacun mettant dans le chaudron de la pensée commune tout et n’importe quoi. Ni plus ni moins qu’une manière de barrer la route à la réflexion, avec cette lecture de l’Histoire, Zola n’aurait jamais écrit son J’accuse.
Un roman qui analyse finement tous les ressorts des totalitarismes et qui nous amène à être vigilant, nous renseigner et à ne pas répandre n’importe quoi.
Un talent qui se confirme au-delà de mes espérances, tout est là le fond, le style qui devient reconnaissable et ça c’est l’apanage des grands.
J’aurais aimé voir ce livre sur les listes des grands Prix.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2024/10/26/conque/
Après son magnifique et émouvant premier roman Les guerres précieuses, Perrine Tripier poursuit son investigation de l’emprise du passé, non plus sur une narratrice enfermée dans les vestiges de son enfance, mais sur une société mythifiant son Histoire pour asseoir sa grandeur.
Dans un pays sans nom aux technologies très actuelles, des fouilles archéologiques ont mis au jour les vestiges d’une antique civilisation tournée vers la mer, dont on n’avait jusqu’ici conservé que la seule mémoire d’une geste héroïque. Ravi de cette occasion de renforcer le prestige national au travers de ces glorieux ancêtres, des guerriers capables, sur leurs frêles esquifs, de se mesurer aux océans et aux gigantesques baleines, l’Empereur en même temps soucieux de détourner l’attention de dépenses somptuaires de plus en plus contestées réquisitionne l’historienne et professeur d’université Martabée Gaeldish pour qu’elle se fasse le chantre, sous son contrôle bienveillant, de l’immense portée de cette découverte. Afin qu’elle puisse publier ses bulletins d’information dans les meilleures conditions, il lui donne les pleins pouvoirs sur le chantier de fouille et l’ensevelit sous les cadeaux princiers.
Flattée et elle-même enthousiasmée, la scientifique étouffe sa gêne face aux intrusions dirigistes et souvent ridicules du monarque pour se consacrer à ses nouvelles tâches. Tout va pour le mieux, jusqu’à ce que, donnant soudain corps au malaise jusqu’ici imprécis et insidieux persistant à infiltrer le texte en même temps que l’esprit de Martabée, l’avancement des fouilles finisse par dévoiler un visage inattendu et pour le moins ignominieux des tant fantasmés Morgondes. Le dilemme est cruel pour l’historienne. Aura-t-elle le courage de publier la vérité, elle qui a désormais tout à perdre, en plus de son indépendance ?
Toujours aussi envoûtante et sensorielle, la plume de Perrine Tripier excelle à suggérer atmosphères et sensations. D’un côté la minéralité des vestiges, de l’autre les variations de la lumière, du vent et de la mer, viennent refléter la diffraction entre l’effrayante pesanteur de la réalité historique et l’immatérialité du temps et de la mémoire. Ecrire l’Histoire est un pouvoir, de l’Histoire l’on ne retient toujours que ce que l’on veut bien, son récit est indissociable du regard et de l’interprétation de l’auteur. Alors, à l’ère post-vérité où les leaders politiques usent du langage et de l’émotion davantage que des faits et de l’argumentation, ce conte imaginaire pointe l‘instrumentalisation politique des mythes, dans un jeu de pouvoir trouble et violent évoquant aussi bien les grandes dictatures que le nouveau storystelling idéologique à l’américaine.
Aussi dérangeante que somptueusement écrite, une fable dont l’imaginaire renvoie aux réalités passées et contemporaines des manipulations politiques de la mémoire collective.
C'est la première fois que je lis cette autrice et l'expérience a été à la fois déroutante et captivante.
L'histoire nous entraîne dans une grande aventure archéologique où une équipe de chercheurs découvre une civilisation ancienne, les Morgondes. Très vite, ces trouvailles sont utilisées par le pouvoir en place pour glorifier le passé et renforcer la fierté nationale. Mais au fil des pages, ce qui semblait n’être qu’une célébration de héros antiques se transforme en quelque chose de bien plus sombre.
Le début du roman m’a un peu déstabilisé, principalement à cause du style d’écriture que j’ai trouvé parfois trop chargé. Les descriptions détaillées ralentissent le rythme et m'ont semblé superflues. Cependant, l’intrigue prend une tournure inattendue et captivante. Ce qui commence comme une simple exploration archéologique devient une réflexion profonde sur la vérité historique, les manipulations politiques et les mensonges que le pouvoir est prêt à camoufler.
Ce basculement est la vraie force du roman. L’auteur nous pousse à questionner notre propre relation avec le passé et à réfléchir sur les récits historiques que l’on glorifie ou occulte, pour des raisons politiques ou idéologiques.
Malgré les longueurs initiales, le roman parvient à marquer les esprits par ses thématiques d’actualité et ses révélations troublantes. Une lecture qui dérange et fait réfléchir sur notre société moderne, où l'Histoire peut être réécrite selon les besoins du moment.
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