"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
J’ai un peu hésité avant d’entamer la lecture du dernier roman de Patrick Grainville.
Il faut dire que cet auteur avait de quoi m’impressionner : Lauréat du Prix Goncourt en 1976 pour Les Flamboyants, il reçoit en 2012 le Grand Prix de littérature Paul-Morand pour l’ensemble de son œuvre et est élu à l’Académie française en 2018 !
Mais, dès les premières pages du Trio des Ardents, ma réticence s’est envolée.
Je me suis trouvée plongée dans la vie de trois personnages hors-normes Isabel Rawsthorne, Alberto Giacometti et Francis Bacon.
Si je connaissais Alberto Giacometti, seulement en tant que sculpteur et non en tant que peintre, et Francis Bacon, j’avoue avoir découvert Isabel Rawsthorne, créatrice d’une œuvre picturale secrète et méconnue, égérie et confidente de Epstein, Balthus , Derain et Picasso, ayant posé pour ces artistes majeurs.
Artiste, nomade, radicalement libre pour l’époque et d’une beauté flamboyante, mariée trois fois, elle a entretenu avec Albert Giacometti et Francis Bacon, ces deux monstres sacrés de la peinture, des rapports amoureux, devenue la muse solaire du « montagnard des Grisons » et l’unique amante de Bacon, homosexuel. Elle a cependant souffert d’un grand effacement par rapport à ses deux amis-amants, « deux outrances incontournables ».
Des années 30 à la fin du siècle, Patrick Grainville s’emploie à décrire ces années de chassés-croisés de ce trio passionné.
C’est avec un immense intérêt que j’ai pu suivre les changements qui se sont opérés dans les œuvres de ces deux monstres sacrés de la peinture qui partagent une cause commune, la figuration, au moment même où triomphe l’abstraction.
Une révélation bouleversante va s’opérer pour Giacometti après une séance de cinéma. Des lilliputiennes figurines qui reflétaient la distance à laquelle il avait vu son modèle, il va alors
réaliser sa nouvelle expérience de la distance en créant des sculptures extrêmement longues et élancées.
Il sera toujours en quête d’une ressemblance impossible : « Mais je n’ai quand même jamais pu réaliser vraiment ce que je vois. »
Quant à Bacon, asthmatique, maltraité par son père, l’esprit hanté selon ses dires par le vers d’Eschyle « l'odeur du sang humain ne me quitte pas des yeux », souvent qualifié de peintre de l’insoutenable, personne ne pouvant rester indifférent face aux visages déformés et aux corps mutilés qui caractérisent son œuvre, il affine son style tout au long de sa carrière, délaissant les images de violence crue de ses débuts.
Patrick Grainville sait à merveille faire revivre la destinée de ce trio débridé, d’une extravagance inédite, leur vie trépidante, comme si nous étions à leurs côtés. Il nous fait également pénétrer dans les ateliers de ces génies, ateliers, qui à leur mort seront reconstitués à l’identique, mais resteront orphelins de leur présence.
Ce qui confère au roman encore plus de saveur, c’est la pléiade de personnages que côtoient ces artistes, Picasso, Sartre, Beauvoir, Lotar, Leiris… et qui nous procurent de savoureux dialogues.
De plus, l’auteur n’oublie pas d’insérer son récit dans le cadre historique, offrant au lecteur des réflexions souvent ironiques et mordantes mais aussi des portraits très imagés des politiques qui ont traversé cette période, que ce soit De Gaulle, Churchill, Mao ou Thatcher pour n’en citer que quelques-uns.
Pour apprécier au mieux ce roman, j’ai dû maintes fois avoir recours à la toile pour visualiser les chefs-d’œuvre de ces artistes, notamment ceux de Francis Bacon qui m’ont littéralement fascinée et que l’auteur a su si bien sublimés. Dommage que les photos de ces œuvres d’art ne figurent pas dans l’ouvrage…
Seul un passionné de peinture comme Patrick Grainville pouvait faire jaillir de par son écriture et une verve prodigieuse un texte aussi flamboyant où la vie, la couleur, l’alcool, l’érotisme, une exubérance en tout sont exprimés avec autant de crudité et de réalisme.
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2023/11/patrick-grainville-trio-des-ardents.html
Amour, gloire et beauté
Patrick Grainville poursuit avec gourmandise son exploration de l'histoire de l'art. Après Falaise des fous et Les yeux de Milos, voici donc un trio composé d'Isabel Rawsthorne, la peintre la plus méconnue des trois, d'Alberto Giacometti et de Francis Bacon.
«Elle, la plus belle des femmes de son temps, car l’hyperbole lui va. Tous les témoins de l’époque subjugués. Par l’ampleur souple de son pas, sa baudelairienne manière. Sa crinière, son flux. Elle est solaire, élancée, avec des fonds de mélancolie mouvante. Mariée à un reporter de guerre, Sefton Delmer, mais nomade, artiste, radicalement libre, rebelle. Un charme violent jaillit de ses grands yeux en amande, de ses pommettes de cavalière des steppes… Elle est sauvage, exubérante, dotée d’une génialité vitale… » Isabel Rawsthorne est l’étoile au cœur de la superbe constellation qui compose ce Trio des ardents. Elle a un peu plus de vingt ans quand elle croise Alberto Giacometti à Paris où elle est venue parfaire sa peinture. Pour financer son séjour, elle pose pour les peintres auxquels elle se donne également.
«Derain vient de la peindre, brune, vive, ravissante, ruisselante de gaieté. Picasso rôde autour d’elle et la désire. Elle a probablement été le modèle de Balthus pour La Toilette de Cathy, peignoir ouvert, sinueuse ménade au mince regard effilé. Moue animale, chevelure d’or peignée par une gouvernante. Elle accompagnera bientôt le peintre et son épouse Antoinette en voyage de noces à Venise. Trio amoureux. Elle sera la maîtresse de Bataille… Égérie éclectique? Non, elle peint, elle va accomplir une œuvre bizarre et profonde, un bestiaire de hantises.» Mais ne sera jamais reconnue à son juste talent et passera d’abord à la postérité comme modèle, voire comme amante, que comme peintre. Avec sa plume étincelante, Patrick Grainville raconte ces années parisiennes d’avant-guerre où tous les arts se croisent et s’enrichissent les uns avec les autres du côté de Montparnasse. Quand la Seconde Guerre mondiale éclate, Giacometti rejoint sa Suisse natale et Isabel retournera en Angleterre. «Il faut fuir la peste nazie». C’est durant le Blitz que la belle anglaise se lie avec Francis Bacon. L’homme tourmenté, qui avouera plus tard qu’elle a été la seule femme avec laquelle il a fait l’amour, mêle alors Éros et Thanatos, la chair et le sang qui trouveront une grande place dans son œuvre.
La création et la passion se mêlent dans les années d’après-guerre où l’effervescence culturelle reprend de plus belle. Les existentialistes, autour de Sartre et Beauvoir, y côtoient Man Ray et Hemingway. Isabel, de retour à Paris, renoue avec Giacometti, divorce et se remarie avec le musicien Constant Lambert, mais ne tarde pas à se jeter dans d’autres bras, sauf ceux de Picasso. L’auteur de Guernica sera sans doute l’un des seuls à ne pas obtenir ses faveurs. Car elle entend avant tout rester libre. Elle divorce à nouveau et repart en Angleterre où elle retrouve Bacon et s’amuse à organiser une rencontre avec Giacometti.
Après Falaise des fous qui suivait Gustave Courbet et Claude Monet du côté d’Étretat et Les yeux de Milos qui, à Antibes, retraçait la rencontre de Picasso et de Nicolas de Staël, cette nouvelle exploration de l’histoire de l’art est servie avec la même verve et la même érudition. Dès les premières pages, on est pris dans cette frénésie, dans ce tourbillon qui fait éclater les couleurs et briller les artistes. Durant ces soixante années très agitées mais aussi très riches, la plume de Patrick Grainville fait merveille, caressante de sensualité. Avec toujours de superbes fulgurances qui font que, comme le romancier, on s’imagine attablé au Dôme ou chez Lipp, assistant aux ébats et aux débats. Un régal !
https://urlz.fr/lboV
Drôle, décalé, cru, imagé, frais, émouvant.
Ce récit est assez détonant. Une belle surprise à laquelle je ne m'attendais pas.
De belles descriptions mais, à mon goût, un peu trop de moments similaires tout au long de cette lecture. C'est sur la fin du récit que le rythme gagne en cadence et en intensité, mais la page finale arrive trop tôt...
Ce récit permet tout de même de passer un très bon moment en compagnie des Amérindiens -leurs croyances, leurs modes de vie- et du peintre Catlin au cœur des grands espaces d'Amérique du Nord.
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