Les Explorateurs de la rentrée, cinquième édition !
Les Explorateurs de la rentrée, cinquième édition !
L'année zéro de Karla Suarez est l'année 1993 à La Havane, année de la chute du mur de Berlin et du bloc soviétique et Cuba va se retrouver encore plus isolé.
Julia est une jeune femme, professeure de mathématique dans un lycée technique alors qu'elle aurait préféré continuer à faire de la recherche sur les mathématiques. Lors d'une visite à son ancien professeur, directeur de sa thèse, il lui parle d'un certain Antonio meucci. Cet exilé italien a vécu à Cuba quelques années et aurait été l'inventeur du téléphone, avant Graham Bell. Elle va aussi rencontré un bel cubain, une touriste italienne, fascinée par cette île.
Tous les personnages vont faire des recherches sur cet Antonio Meucci et rechercher un document qui prouverait qu'il est le véritable et premier inventeur du téléphone et de plus, à Cuba.
Karla Suarez nous décrit parfaitement la vie cubaine dans les années 90, l'espoir de la Révolution, les désillusions, les privations mais aussi l'Histoire à travers ce personnage réel, qui était Antonio Meucci. Elle nous décrit alors la vie foisonnante des exilés italiens, espagnoles à Cuba au début du 19e siécle. Vie d'exilés que l'on retrouve encore quelques traces dans le Cuba actuel.
Ce livre est aussi un questionnement d'une femme face à ses choix personnels, dans sa vie quotidienne et amoureuse.
Ecrit à la première personne, ce livre peut se lire comme un roman historique, un roman d'espionnage, un roman d'amour ou la résolution d'une équation mathématique.
On s'attache très vite à la quête de vérité d'Ernesto orphelin à 12 ans d'un père cubain parti faire la guerre et mourir en Angola...Ernesto n'est pas un personnage attachant, sa recherche de vérité est montée comme une intrigue presque un thriller....C'est un pan de l'histoire cubaine qui se dévoile au fur et a mesure du récit....Souffrances et passions mensonges et silences mèneront Ernesto là ou il ne s'y attendait pas ....
Le fils du Héros, c’est Ernesto. Son père meurt en Angola lorsqu’il est tout jeune, aprè de brillantes études il va vivre à Berlin puis à Lisbonne. Alternant passé et présent, l’auteur nous montre l’importance de la quête du héros, père absent, dans ce régime qui vénère ses militaires morts pour la patrie sur les lointaines terres d’Afrique.
Mais Ernesto est obsédé par la quête de ce père inconnu. Sa femme finit par le quitter, ne pouvant pas lutter contre cette introspection intime en même temps qu’introspection dans l’histoire récente du Cuba. Pourquoi cette guerre, pourquoi tant d’hommes sont-ils partis pour mourir là-bas, et au nom de quelle liberté ? La plaie est profonde, Ernesto élevé en « fils de » va souffrir de cette absence qui a fait de lui un être à part, un des rares à pouvoir être fier, mais fier de quoi, du vide, de l’absence ?
Je me suis laissée porter par cet enfant sans père, ce mari qui oublie de vivre avec sa femme pour courir après les ombres, ce cubain qui ouvre enfin les yeux sur l’absurdité du régime et des guerres. J’ai adoré la créativité de l’auteur. Reliant l’intime à l’Histoire, Karla Suarez nous entraine dans les méandres historiques de son pays, et nous donne énormément d’émotion à suivre son fils de héros, une jolie découverte.
« Mon père a été tué un après-midi sous un soleil de plomb… Il était à l’autre bout du monde, dans la forêt obscure d’Angola. Et nous, dans l’île où la vie continuait plus ou moins comme d’habitude, sous notre soleil quotidien. »
A douze ans, Ernesto apprend la mort de son père dans une guerre qui ne les concerne pas, l’Angola est si loin. Le voici devenu le chef de la famille, le fils du Héros pour tout son petit monde. Une carapace dure à porter qui le marque à jamais.
« Maintenant tu es l’homme de la maison, tu n’es plus un enfant. Et les hommes ne pleurent pas, ne l’oublie jamais. ». Et il ne pleure pas, enfouit tout au fond de lui son chagrin, perd l’innocence propre à l’enfance. S’il n’y avait que le décès de son père ! Juste avant dans leur petit bois, il a vu Monsieur de Lagardère caresser la joue de Capitaine Tempête. Excuse, cher lecteur, je suis allée un peu vite en besogne. Capitaine Tempête, c’est l’héroïne de ses rêves et son amie, Lagardère son ami, Ernesto est le Conte de Monte Cristo. Oui, cette journée, tout son univers s’est écroulé. Mais il n’a pas pleuré, non, il n’a plus pleuré et tout gardé.
Ernst cherche sans fin une trace de son père, espère trouver des camarades de guerre, des personnes qui auraient pu le voir dans ses derniers instants. Il fait des recherches de plus en plus poussées sur la guerre en Angola. Il créé un blogue pour partager des informations avec d’autres blogueurs, chercher des traces, remonter le temps, remplir le vide du père par des faits, des dates… Ce faisant, il met des mots, des faits, des dates sur une guerre dont personne ne veut parler. Ernesto voudrait trouver un sens à l’engagement de son père, un sens à cette guerre, un sens à sa vie. Son obsession du père aura raison de son mariage avec Renata. Installés au Portugal, Ernesto fait la connaissance d’un certain Berto « C’est l’étrange petit bonhomme qui se déplace lentement sur l’échiquier. » Discussion autour d’une partie d’échecs où Berto est maître « L’Angola avait été l’échiquier où s’était jouée la dernière partie d’échecs de la guerre froide ». « A la guerre comme aux échecs, on dispose de deux armes secrètes : la tactique et la stratégie. L’une consiste à savoir observer, l’autre à savoir réagir ». Sur cet échiquier mondial, les pauvres soldats sont les pions, ceux qui ne décident de rien et subissent, pour la grandeur d’un pays, d’une idéologie en regard avec la guerre froide.
Je me promène entre hier et aujourd’hui, entre Le fils du héros et l’homme qu’il est devenu, entre Cuba et le Portugal.
Au cours de ma lecture, je vois se modifier le visage de Cuba qui passe de l’euphorie de la Révolution et du Che aux petites magouilles pour survivre, à la longue déliquescence de ce pays abandonné par l’URSS, depuis qu’elle est redevenue la Russie.
La structure du roman est originale. Chaque chapitre porte le nom d’un roman d’un autre auteur (La forêt obscure, Le Bossu, L’Ultime territoire…) très suggestif quant au contenu. Karla Suarez, d’une écriture fluide, avec des pointes d’ironie, fait monter la mayonnaise et offre une fin surprenante.
Un très bon roman qui met en lumière un pays et son histoire.
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