"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le résumé était tentant : un roman comme un escape game sur un ordi (chercher des indices, ouvrir des portes sur les souvenirs...)
Sauf que dès l'entrée (du roman et de la maison dans laquelle se déroule l'escape game), il y a eu trop de description : quelle importance que le carrelage soit comme ci et comma ça ? Quelle importance que tel objet soit arrivé dans la vie de la famille à tel moment ?
Et la vie de la famille racontée au fur et à mesure mais de façon éclatée a fini par me lasser.
Je ne voyais aucun intérêt à avancer dans la maison de quelqu'un d'autre sans savoir ce que j'étais sensé trouver.
Ah, « La Route des Estuaires »… joli titre qui donne à rêver de grand large et de vent marin… On la prendrait bien, tiens, cette route en ce mois d’août pour aller où va Julie Wolkenstein : à Saint-Pair-sur-Mer dans la Manche (avec mes enfants - petits encore pour qu’ils acceptent de se livrer aux jeux puérils de leur mère -, nous avions arpenté la plage de Saint-Pair avec à la main la photo de la maison, meilleure façon de la trouver!) Le lecteur s’attendant donc à un peu d’évasion sera certainement surpris par l’impression d’étouffement et de claustrophobie qui émane des premières pages de ce texte autobiographique.
« La Route des Estuaires » est donc celle qui mène à cette maison, omniprésente dans l’oeuvre de l’autrice. Le livre s’ouvre sur une fuite de Paris lors du confinement de mars 2020 : ils sont quatre ultra-serrés dans une Fiat 500 noire et le plus jeune fils est assis « à la place du mort ».
La route que Julie Wolkenstein nous invite à suivre semble être celle du passé : la jeunesse, les copains, les week-ends chez les uns, les autres. L’autrice restitue parfaitement les caractéristiques d’une époque : les objets, les vêtements, les mœurs, les mentalités… Je me régale à la lecture de l’évocation de ces années. Mais je m’interroge : où veut-elle me conduire ? N’est-on pas en train de faire fausse route ? La narratrice parle de « prolepse-préparatoire » au sujet de ce premier chapitre, ce qui signifierait que celui-ci raconte à l’avance quelque chose qui va se passer plus tard. Ah très bien, il s’agit donc d’un énième journal de confinement. A vrai dire, ça m’est bien égal, je suis une inconditionnelle de Julie Wolkenstein dont je bois la prose comme du petit-lait… Mais en fait, me dit-on, cette prolepse est « pseudo-préparatoire ». Ah, flûte alors, fausse piste. Est-ce que la narratrice s’amuse avec son lecteur ? J’avais adoré son « escape-game » dans « Et toujours en été » qui avait lieu précisément dans la maison de Saint-Pair… Peut-être s’agit-il encore d’un jeu ou bien…
Non, l’autrice semble avoir du mal à entrer dans le vif du sujet tout simplement parce qu’il est douloureux… Alors, elle progresse lentement, donne des coups de volant à droite, puis à gauche, s’arrête longuement...
Voilà maintenant qu’elle nous raconte le pré-générique de The Walking Dead ! Elle n’y va pas par quatre chemins ! Moi qui ne suis pas une adepte des séries... (mais comme elle rend tout passionnant, je cherche secrètement à visionner quelques extraits sur mon ordi...) Nous sommes au chapitre 2, deux ans après le début du confinement, donc en hiver 2022, l’autrice jongle avec les dates : 85, 90, 96, retour dans le passé (analepse ou pseudo-analepse?), elle raconte des fêtes à Marolles près de Houdan… Ok, Houdan, ça ne vous dit rien mais pour moi ça veut dire beaucoup parce que la ligne Paris/Granville c’est MA ligne - je descends à Argentan quand le train ne s’arrête pas (et ce n’est pas rare - litote ou pseudo-litote?) à Briouze. Donc Houdan c’est une heure de passée, presque la moitié du chemin parcourue, bref…
Revenons à Marolles : certains amis de cette époque (96) sont morts. Les fêtes à Marolles, c’est loin. Ciao la jeunesse, fin d’une époque. Alors là, je m’ interroge : ce 2e chapitre est-il lui aussi une « prolepse pseudo-préparatoire » ? Tout à coup, une révélation : ces deux premiers chapitres ne sont en rien des « pseudo prolepses » : ce sont des prolepses tout court ! Ils sont pleins de morts, de gens qui n’existent plus, de revenants, de fantômes. La narratrice suit les routes de sa mémoire, les méandres du passé qui la conduisent petit à petit vers une temporalité de plus en plus ancienne. Le cheminement se fait, progressivement, difficilement. On y arrive, laissons-lui le temps. Chapitre 3 : autre pause encore, la pause-cigarette à Caen près d’un cimetière…
C’est le quatrième chapitre qui abordera la mort du petit frère de Julie Wolkenstein : Eric. En effet, l’enfant est mort d’un traumatisme crânien dans des conditions qui sont restées assez mystérieuses. Le début du chapitre est assez direct : la narratrice se jette à l’eau. Elle va mener l’enquête sur ce qui a pu se passer ce soir-là, alors que l’enfant était confié à une nurse. Elle passe tout au crible : l’album de photos de famille, les lettres, les articles de son père, l’académicien Bertrand Poirot-Delpech chroniqueur au journal Le Monde. Elle confronte les dates, observe les photos, s’interroge, interroge, jusqu’au jour où elle reçoit un mail qui va donner lieu à une rencontre inattendue...
« La Route des Estuaires » est un texte magnifique sur le temps qui passe, les gens aimés que l’on perd, le frère qui a très peu vécu. Il m’a touchée par sa pudeur qui va ici, étonnamment peut-être, de pair avec une volonté de tout dire, d’être précis, exact comme si cette précision et cette exactitude allaient inévitablement permettre d’accéder à l’élucidation du mystère... (fin de la chronique sur le blog LIRE AU LIT)
Julie Wolkenstein entraine son lecteur dans un curieux voyage qui ressemble à une fuite : une famille quitte Paris bloqué par la pandémie de Covid pour rejoindre leur maison familiale. Ils prennent l’A 13 en direction de Saint-Pair en Normandie.
On ne sait trop où va nous emmener cette autofiction mais, page 18, tombe l’explication de la romancière elle-même qui l’écrit dans un mail adressé à une amie :
« Je vais peut-être écrire un livre qui s’appellera La route des Estuaires, où se superposeront cinquante ans de souvenirs de ce trajet pour Saint-Pair, à tous les âges, dans toutes sortes de contextes, le dernier étant le plus fou. »
Dit ainsi, on pourrait penser que c’est un peu maigre et que ça risque vite de devenir barbant Sauf qu’au détour du chemin, ou plutôt de l’autoroute (Rappelez-vous, nous filons sur l’A13) d’autres confidences arrivent et, à travers la chronique familiale, voilà que les morts tragiques s’invitent.
La romancière s’attelle avec subtilité à dénouer les fils du non-dit, à tourner autour des silences de ses parents concernant ce petit frère mort à presque deux mois. Elle-même n’avait que dix-huit mois, elle n’a pas de souvenir réel mais comment expliquer cette souffrance silencieuse, ce déni qui l’entourent ?
Elle part à la recherche de la tragédie à travers les articles de son père journaliste et critique dramatique
« Je sais, depuis que j’écris moi-même, qu’on a tendance à confondre ce qu’on vit avec les mots qu’on emploie pour le restituer. »
Elle va faire ressurgir cette tragédie en convoquant les souvenirs de son enfance et en examinant les photos. Il y aura même une rencontre avec la nurse bretonne qui s’occupait d’elle enfant. Et beaucoup d’allers retours sur la route des Estuaires.
« Parce que j’écris sur la période la plus sombre de mon enfance, j’ai tendance, ces jours-ci, à n’en retenir que des souvenirs tristes. »
Cette autofiction, tout en nuances, est un long et précis travail de mémoire mais j’ai trouvé que tous ces fragments qui se mettent en place façon puzzle finissent par noyer le véritable sujet : la mort accidentelle d’un bébé. De cet enfant disparu trop tôt et dont la mort sera entourée de silences, je n’ai eu, à la fin de ma lecture, qu’une brève approche.
Avec «Et toujours en été», Julie Wolkenstein nous entraine sur un air de Nino Ferrer dans un «escape game». Une façon très originale d’explorer la maison de vacances pièce par pièce et de raconter plus de quarante années de souvenirs.
Pour commencer, émettons deux hypothèses. La première, que vous ayez profité du confinement pour écrire ou mettre un peu d’ordre dans vos affaires. La seconde que vous préparez des vacances en France, peut-être dans un endroit que vous avez connaissez déjà et que vous avez envie de revoir, éventuellement même dans une maison de vacances. Deux hypothèses qui, si elles s’avèrent justes, devraient être deux raisons supplémentaires de vous plonger dans ce délicieux roman dont le titre à lui seul vous indique que sa lecture sera idéale dans les prochaines semaines.
Julie Wolkenstein nous en donne la clé à la page 159: «ouvrir successivement les pièces de ma maison, franchir un à un ses seuils et libérer chaque fois un pan de sa mémoire, relier ces fragments d’histoire entre eux, pour moi, c’est un escape game. Sans doute parce que j’écris ce livre pour me sortir d’une autre sorte de cage, de prison où m’enfermait la crainte de ne plus aimer écrire, ni cette maison.»
Car si cette belle réponse à la question que posait Lamartine, «Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer?» est une manière ludique de plonger dans des décennies de souvenirs, elle est aussi une sorte de thérapie pour la romancière qui a perdu en quelques années son père, l’écrivain Bertrand Poirot-Delpech, son frère et son éditeur. Et si leurs fantômes hantent ces pages, ils ne gâchent en rien le plaisir que l’on prend à cette exploration. Les amateurs d’énigmes sont même ravis de voir combien la généalogie compliquée ajoute une dose de mystère au récit. Plusieurs femmes et plusieurs descendances, des divorces et des héritages vont apporter leur lot de mobilier – forcément dépareillé – dans la maison acquise en 1972.
Julie a alors quatre ans et se souvient de l’escalier qu’elle a gravi dans les bras de sa mère, premier indice topographique permettant de confirmer la présence d’un étage et de situer les chambres à coucher. Tout au long du roman, c’est ainsi que le lecteur va progresser, découvrant ici les cirés accrochés au porte-manteau, là un coffre au trésor, ici les boîtes de jeux de société, là les objets de décoration accumulés au fil des ans ainsi que les livres. Le piano, le baby-foot ou encore la table de ping-pong ne viendront que plus tard… L’histoire se déroule au gré des découvertes, sans pour autant être chronologique, comme nous l’explique la narratrice: «Si c’est la première fois que vous jouez à un escape game, vous méritez que je vous aide un peu. Chaque fois que vous activez une fonction, au fil de votre progression, vous pouvez avoir provoqué un événement ailleurs, dans l’espace ou dans le temps, et il faut vous en assurer systématiquement.»
L’originalité du roman, on l’aura compris, tient à cette manière d’accumuler les anecdotes, qu’il s’agisse de petites histoires qui font une vie ou d’épisodes plus marquants comme les travaux de 2002. La mérule, un champignon qui a provoqué de gros dégâts va entrainer de grandes modifications dans l’agencement de la villa et la décoration, effaçant en quelques semaines des décennies de souvenirs. Et peut-être l’envie de les consigner pour ne pas les oublier. À moins que l’envie d’écrire ne soit consécutive à la lecture de Portrait de femme de Henry James.
Au fil des séjours et des années, le décor va évoluer, les habitants aussi. L’histoire va gagner en densité, la focale va se faire plus précise, souvent accompagnée d’une bande-son. Et s’il nous arrive quelquefois de perdre un peu le fil, peu importe. C’est un bien joli parfum de nostalgie qui flotte sur ces journées estivales.
https://urlz.fr/dvyT
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