"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Il est troublant d’imaginer tout ce que nous partageons avec nos ancêtres. La même démarche, les mêmes rides, la même manière de cligner des yeux. Dans Middlesex, Jeffrey Eugenides s’intéresse à un héritage particulier : celui d’un gène récessif sur le cinquième chromosome. Une mutation qui se balade dans la famille Stephanides depuis des générations, responsable de l’hermaphrodisme.
“J’ai eu deux naissances. D’abord comme petite fille, puis comme adolescent.” À plus de quarante ans, Calliope - devenu Cal - Stephanides semble avoir commencé à faire la paix avec son corps compliqué. “Une chose qu’il faut que vous compreniez : je ne suis pas le moins du monde androgyne.” me solitaire abonnée aux séductions inachevées, il mène une vie nomade et confortable. Seulement, l’histoire de son ascendance, une famille au fort degré de consanguinité, prend toute la place dans son présent. “Et au lieu de partager l’avenir avec quelqu’un, je me retrouve en compagnie du passé.”
Le fil de son histoire prend sa source en Grèce, dans un petit village de montagne où tout le monde est plus ou moins cousin. La plantureuse Desdemonia vit avec son frère Lefty, terrassé par des pensées honteuses et incestueuses. Lorsque le pays est envahi par les Turcs en 1922, ils sont contraints d’abandonner la culture de la soie et de fuir aux États-Unis. Ils se présentent à l’administration, non comme frère et sœur grecs, mais comme mari et femme français. Avec tout ce qu’il faut de distance et d’humour pour affronter cette situation, le narrateur déroule ainsi le fil de soie de l’histoire d’amour entre ses grands-parents. Car “ni Cal ni Calliope n’auraient pu exister sans tout ce passé à détricoter.”
Pour le couple, les décennies américaines passent, plombées par le secret et teintées de nostalgie grecque. Une maison, une voiture, un enfant, puis un autre, puis des petits-enfants, à élever au milieu des révolutions industrielles, des crises économiques et des émeutes raciales. “Le sexe de la statue de la Liberté n’y changeait rien. C’était la même chose ici que partout ailleurs : les hommes et leurs guerres.” Parmi leurs rejetons, Calliope Stephanides. De sa naissance à son adolescence, personne ne soupçonne le haut niveau de testostérone de cette fillette maigrichonne. Mais à la puberté, pas de seins, pas de règles, un début de moustache, une voix grave, et un “crocus” qui gonfle et qui s’allonge sous le mont de Vénus : une véritable malédiction pour notre petite américaine. “J’ai été la risée de mes camarades, le cobaye des médecins, l’objet des palpations des spécialistes et des recherches de chercheurs.”
Il y a quelque chose de la tragédie grecque dans ce roman peuplé de références mythologiques projetées dans l’Amérique profonde (d’une chaîne de hot dogs appelée Hercule à la conception d’un enfant le soir d’une représentation du Minotaure). Et comme dans une tragédie, l’héroïne - ou le héros, c’est comme il veut - est en proie à un destin exceptionnel et malheureux. Mais c’est un destin qu’il finit par maîtriser. C’est lui qui décide, metteur en scène de sa propre vie. De sa propre métamorphose.
Dès le titre, dès les premiers mots, tout est dit. “Le matin où ce fut au tour de la dernière des filles Lisbon de se suicider - c’était Mary cette fois-là, et les somnifères, comme Therese - les deux infirmiers arrivèrent à la maison en sachant exactement où étaient le tiroir des couteaux, et le four à gaz, et la poutre dans la cave où on pouvait attacher une corde.” Voilà donc l’histoire de cinq gamines qui n’ont pas perdu de temps avec la vie.
Pour raconter cette tragédie adolescente, Jeffrey Eugenides choisit un narrateur collectif. Un “nous” cent pour cent masculin derrière lequel se cachent des garçons du voisinage de cette banlieue bourgeoise. Ils s’adressent au lecteur, des années après les faits, rassemblant leurs souvenirs sporadiques, mais aussi des photos, des témoignages, le dossier de l’hôpital, le rapport du psychiatre, un journal intime, des lettres. Tout ce qui pourrait leur permettre de comprendre, au moins un peu, ces adolescentes qui les fascinent tant. “Vous pouvez lire l’article si vous voulez, nous l’avons versé au dossier comme pièce à conviction numéro 9.”
Mais ils ont toutes les peines du monde à les cerner, ces blondinettes vaporeuses, ces anges charnels, ces créatures fiévreuses - des jeunes filles, en fait. Ils n’ont accès qu’à des fragments de leurs vies de recluses dans la maison familiale, tenue par une mère rigide et un père démuni. Ils observent - et le lecteur aussi - leurs fenêtres embuées ; ils respirent, presque effrayés, leurs effluves femelles ; ils écoutent, bouche bée, leurs voix mêlées. “Qui savait qu’elles parlaient tant, avaient tant d’opinions, désignaient le monde de tant de doigts tendus ?”
Au médecin qui la sermonne - “tu n’as même pas l’âge de savoir à quel point la vie peut devenir moche” -, la plus jeune répond “on voit bien, docteur, que vous n’avez jamais été une fille de treize ans.” Jamais ils ne comprendront. Ni les médecins, ni leurs parents, ni les garçons de leur âge. Une intuition néanmoins : peut-être leurs suicides étaient-ils “un refus simple et raisonné d'accepter le monde tel qu’il leur était proposé, si plein de défauts.” Un monde décadent, où l’on n’a plus qu’à subir le mouvement meurtrier du temps et se construire une histoire avec laquelle vivre, dans la mélancolie du restant des jours.
L’histoire d’un homme intersexe assignée fille à la naissance.
J’ai trouvé ce roman très facile et agréable à lire. Le récit qui s'étend sur trois générations fait découvrir plusieurs facettes de l’histoire des Etats-Unis.
A ma connaissance, c’est le seul roman qui aborde le thème de l’intersexualité.
Prix Pulitzer 2003, ce roman est l'histoire de Callie née fille et qui se découvre garçon à l'adolescence suite à une anomalie génétique.
Toutefois, même si c'est abordé, ce n'est pas un récit sur le genre, sur l'inné et l'acquis mais c'est une saga familiale qui court sur trois générations.
Des grands-parents qui arrivent de leur village en Turquie, aux parents qui vont naître américains et connaître la grande dépression des années trente mais aussi le rêve américain aux petits-enfants.
C'est un roman intéressant, dense et qui demande de la concentration.
Le style est magnifique et la psychologie des personnages fouillée.
L'écriture est exigeante, il y a des longueurs et il faut s'accrocher au début pour rentrer dans l'histoire.
Il est questions d'intégration, d'image de soi, de traditions, de troubles de l'identité, d'origine et de tolérance.
C'est un roman à part.
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