"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Les ambulanciers qui viennent chercher le corps de Mary dans sa chambre connaissent déjà le chemin. Après Cecilia, Therese, Bonnie et Lux, elle est la cinquième des filles Lisbon à se donner la mort. Témoins de ces suicides durant leur adolescence, un groupe d'hommes tente, vingt ans après, d'en comprendre les raisons. Ils retracent la vie de ces jeunes filles et évoquent l'atmosphère étouffante de paisibilité des banlieues bourgeoises américaines. À travers cette enquête chargée de doutes et d'interrogations, Eugenides fait surgir un tragique sublime dans la banalité du quotidien.
Dès le titre, dès les premiers mots, tout est dit. “Le matin où ce fut au tour de la dernière des filles Lisbon de se suicider - c’était Mary cette fois-là, et les somnifères, comme Therese - les deux infirmiers arrivèrent à la maison en sachant exactement où étaient le tiroir des couteaux, et le four à gaz, et la poutre dans la cave où on pouvait attacher une corde.” Voilà donc l’histoire de cinq gamines qui n’ont pas perdu de temps avec la vie.
Pour raconter cette tragédie adolescente, Jeffrey Eugenides choisit un narrateur collectif. Un “nous” cent pour cent masculin derrière lequel se cachent des garçons du voisinage de cette banlieue bourgeoise. Ils s’adressent au lecteur, des années après les faits, rassemblant leurs souvenirs sporadiques, mais aussi des photos, des témoignages, le dossier de l’hôpital, le rapport du psychiatre, un journal intime, des lettres. Tout ce qui pourrait leur permettre de comprendre, au moins un peu, ces adolescentes qui les fascinent tant. “Vous pouvez lire l’article si vous voulez, nous l’avons versé au dossier comme pièce à conviction numéro 9.”
Mais ils ont toutes les peines du monde à les cerner, ces blondinettes vaporeuses, ces anges charnels, ces créatures fiévreuses - des jeunes filles, en fait. Ils n’ont accès qu’à des fragments de leurs vies de recluses dans la maison familiale, tenue par une mère rigide et un père démuni. Ils observent - et le lecteur aussi - leurs fenêtres embuées ; ils respirent, presque effrayés, leurs effluves femelles ; ils écoutent, bouche bée, leurs voix mêlées. “Qui savait qu’elles parlaient tant, avaient tant d’opinions, désignaient le monde de tant de doigts tendus ?”
Au médecin qui la sermonne - “tu n’as même pas l’âge de savoir à quel point la vie peut devenir moche” -, la plus jeune répond “on voit bien, docteur, que vous n’avez jamais été une fille de treize ans.” Jamais ils ne comprendront. Ni les médecins, ni leurs parents, ni les garçons de leur âge. Une intuition néanmoins : peut-être leurs suicides étaient-ils “un refus simple et raisonné d'accepter le monde tel qu’il leur était proposé, si plein de défauts.” Un monde décadent, où l’on n’a plus qu’à subir le mouvement meurtrier du temps et se construire une histoire avec laquelle vivre, dans la mélancolie du restant des jours.
J’ai la musique du film (que je n’ai pas vu !) en tête et elle défile au fur et à mesure que je tourne les pages comme une évidence !
Imaginez une banlieue américaine à la Desperate Housewives où toutes les maisons sont plus belles et plus grandes les unes que les autres, où sont dissimulés quelques trucs inavouables et où tout le monde observe tout le monde sans l’air de trop y toucher …
Vous y êtes ? Et bien là, le narrateur revient sur une série de suicides qui a lieu il y a déjà quelques années et où tous les témoins, adolescents à l’époque, ressassent leurs souvenirs et tentent de comprendre ce qui a poussé les cinq filles Lisbon à se suicider (je ne dévoile rien on le sait d’emblée !).
Les signes annonciateurs, les paroles ambiguës ou à double interprétation, les gestes incompréhensibles … tout est décortiqué pour essayer de trouver une explication à leur geste.
Ces garçons, devenus hommes, mariés et bedonnants, n’ont pas oublié ces quelques mois de leur adolescence qui ont vu défiler les ambulances, le brancardier, le shérif, l’apprentie journaliste d’investigation … eux ont récupéré tout ce qu’ils pouvaient d’objets ayant appartenu à ces cinq sœurs, au point d’en faire un musée et de s’en servir telles des pièces à conviction de cold case.
Il reste bien des questions en suspend, tout n’est pas abordé, nous n’avons que le point de vue anonyme et unique (ou partagé ?) de ces adolescents traumatisés par cette vague de suicide de filles qui leur resteront inaccessibles. Et puis ces jeunes filles restent bien dociles face à une mère à l’éducation ultra stricte alors qu’elles sont capables d’être délurées par ailleurs.
Si le début m’a semblé un peu long (je me perdais dans la multitude des personnes évoquées et décrites, toutes n’ayant pas un grand intérêt), tout se met en place, doucement mais sûrement au point qu’on s’accroche sans pouvoir s’arrêter alors même que l’on connaît la fin ! Une prouesse !
Un livre puissant. Un choc!
Ames sensibles s'abstenir!
Ce roman de Jeffrey Eugenides est un genre de huis clos observé de l'extérieur. Grâce au point de vue du narrateur, voisin des victimes, qui raconte avec ses yeux d'enfant de l'époque, on est en constante empathie avec ces observateurs du drame qui est en train de se jouer.
Au regard de ces jeunes adolescents, les soeurs Lisbon sont intrigantes, inquiétantes parfois, mais tellement attirantes. Elles ont quelque chose d’inaccessible qui les rend irrésistibles, comme si elles vivaient à côté d'eux au quotidien mais dans un monde différent. Et c'est à cause de leur naïveté et de l'admiration aveugle qu'ils leur vouent, que les garçons ne perçoivent à aucun moment la tristesse qui se dégage des fillettes et qu'ils ne devinent donc pas les évènements qui s'annoncent.
L'auteur nous propose un texte sombre et profondément triste et nous montre comment le surplus de protection peut entraîner un débordement de solitude et de désillusion. La claustration retire toute forme d'espoir et de bonheur à ces jeunes filles, pourtant pleines de vie et de malice.
Pour ce qui est de la forme, le fait de connaître dès le début l'issue de l'histoire, idée qui semblait originale, s'avère être un gros handicap à la lecture du roman. Car, au lieu d'être surpris et choqué par le final, j'ai été constamment en attente de cette chute, qui m'a donc laissé sur ma faim.
Un roman étrange, l'histoire est sombre, écrite avec simplicité. Néanmoins, je reste sur ma faim, car le livre souléve beaucoup de questions, sans y apporter de réponse. Au lecteur de se faire ses réponses, ce qui peut etre intéressant. Le film à été très bien adapté par Sofia Coppola qui a su resté fidéle au roman et à son état d'esprit.
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