"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Attirée par ce titre et cette couverture, je me suis laissée prendre au piège et la chute s'est révélée aussi puissante qu'efficace. Il est vrai également que connaissant assez et appréciant déjà beaucoup les éditions Lunatique, il ne pouvait pas en être autrement.
Ce roman (mais en est-ce vraiment un?) signé Benjamin Taïeb s'adresse en priori à de jeunes ados mais peut aussi être lu par de grands enfants avec l'accompagnement d'un adulte de confiance.
Cette histoire, c'est celle d'un jeune garçon comme il y en a tant. Pour son malheur, cil est petit et il porte des lunettes. Une proie facile pour ceux qu'il considère toujours et malgré tout comme ses meilleurs amis.
Cette histoire, c'est hélas celle d'un harcèlement scolaire presque banal. Son originalité se trouve dans la façon dont Benjamin Taïeb nous la raconte. Fait après fait, comme marquée d'une certaine distance, comme si la victime regardait ce que lui font subir ses meilleurs amis et leur trouvait des excuses parce que...
Parce que, parfois, lui aussi s'est trouvé du côté des harceleurs et qu'il n'a rien fait pour stopper les paroles et les actes de ces bourreaux des temps modernes.
Une passage revient en boucle "Ce ne sont que des enfants. Oui. Mais, ensemble, ce ne sont plus des enfants." Et quand, en plus, les adultes qui sont sensés veiller sur eux semblent indifférents, comment aller au-delà de l'impuissance et de la rage?
J’ai découvert le travail de Benjamin Taïeb en février 2022 avec la lecture de son roman “Classe de mer”, puis de l'adaptation graphique qu’il en avait faite, avec l’aide au dessin de Marie Eyquem. L’histoire de ce jeune garçon, harcelé verbalement et physiquement par ses “copains” pendant un séjour en classe de mer, m’avait profondément marquée. La résilience, dont il avait fait preuve par la suite pour surmonter ces mauvais traitements, montrait une incroyable force de caractère, mais également une capacité à comprendre l’autre en dépit de ses gestes pourtant destructeurs.
Deux ans plus tard, Benjamin Taïeb nous présente une autre facette de sa vie. Comme pour “Classe de mer”, “Ma Déconversion” a fait d’abord l’objet d’un roman publié en 2017 chez Lunatique. Il a été adapté graphiquement lui aussi chez Les Enfants Rouges, avec cette fois Julien Martinière au dessin.
Benyamin, ainsi nommé dans le récit, est né d’un mariage mixte, d’un père juif et d’une mère non-juive. Selon la tradition, la religion s’acquiert par la mère, la sienne ne s’y oppose pas. Pendant les premières années de sa vie, dans sa famille, la religion ne fait pas l’objet de pratiques régulières telles que le Shabbat, les fêtes religieuses ou le fait de manger casher.
C'est en rentrant d’un voyage en Israël, que le père décide que Jérémie (9 ans) et Benyamin (6 ans) devront dorénavant suivre les préceptes de la religion pour pouvoir plus tard se marier à la synagogue. Ainsi l’auteur nous explique son parcours de conversion pendant ses années d’enfance et d’adolescence.
Une pratique de la religion qui sera, à l’âge de 18 ans, mise à mal en raison d’un fait grave et qui amènera Benjamin, le prénom maintenant utilisé sur la couverture de l’album ou pour sa profession, à mettre de la distance entre l’homme et la religion.
Un parcours religieux très intéressant, puisque lié à un choix familial, mais qui peut devenir autre alors qu’on est amené à se construire soi-même.
“Ma déconversion” permet de réfléchir aux influences, religieuses ou pas, qui nous ont permis de grandir, mais qui peuvent parfois, selon ce.ux nous sommes, nous empêcher d'avancer dans notre vie d'adulte.
Saluons « Ma DÉconversion », un bînome de connivence entre Benjamin Taïeb et Julien Martinière.
Une complicité artistique et intellectuelle, la perfection absolue.
On aime le réalisme magique. C’est un récit graphique où cohabite Benjamin Taïeb et sa quête existentielle et essentialiste. Touchant et profondément humain, de par la grâce des illustrations si expressives et délicates de Julien Martinière.
On ressent un apaisement par la constance des couleurs. Une scène qu’on ne lâche pas des yeux, mélodramatique et empreinte de loyauté.
Le fil rouge de ce récit véridique. Crucial et bouleversant, il est la marée-basse de l’exutoire. Lire avec respect, comprendre et approuver les battements d’ailes d’un jeune enfant de 6 ans qui va être converti au Judaïsme avec son frère aîné, âgé de 9 ans.
Leur maman n’est pas juive. « Or selon une tradition orale, la religion juive se transmet par la mère. La mienne ne sait pas opposée à la conversion. »Sauf à la sienne.
Effacée durant tout ce bouleversement familial, soumise et en véritable lâcher-prise face aux conséquences pour ses deux enfants.
La conversion est imposée par leur père qui va, suite à un voyage en Israël en famille, vivre une métamorphose spirituelle. Subrepticement il va devenir intransigeant, autoritaire et intolérant. Il va bousculer immanquablement le socle familial, qui était au préalable empreint de Judaïsme puisque Benjamin Taïeb a été circoncis, bébé à l’hôpital.
Les habitus sont perturbés. Les paliers d’un embrigadement religieux vont envahir la maisonnée. Tout doit changer. Chaque fait et geste, « J’airai aimé qu’on me laisse au moins mes après-midi libres. D’autant que j’avais prié la veille au soir. Et le matin. J’y avais mis tout le cœur et l’énergie dont j’étais capable. C’était bien plus que ce que faisaient la plupart des Juifs de mère Juive ». Benjamin est d’ombre et de lumière. Il est pris en étau . Entre ce qui est imposé et par la conversion et les règles d’une religion exaucée à l’extrême. Un père gourou qui chasse de la main les doutes de ce jeune garçon grandissant au fil des pages. « Pendant 20 ans, j’ai observé les prescriptions passablement complexes de la Cacherout, dont la source se trouve dans la Torah. »
C’est une famille encerclée par la religiosité. Il n’y a aucune place pour la tendresse, le libre-arbitre et la voix de Benjamin.
Le récit est le vecteur tragique des incompréhensions. Les destinées sont floutées d’avance. C’est la démonstration d’une prise en force et d’un embrigadement. Et pourtant, Benjamin ressent l’indicible en advenir. Mais peut-il avoir confiance et en son père et dans sa pratique du Judaïsme ? Il faudra un déclic. La marche de trop. Celle où il est devenu plus grand métaphoriquement que son père. Il en deviendra un homme avisé. Après le jour du « Grand pardon », du « Bain rituel » où il deviendra la beauté d’un enfant d’Israël.
Benjamin en 1994 à l’âge de 16 ans retourne en Israël durant trois semaines. Dont 4 jours dans l’armée israélienne : « Israël Gadna ». À contrario, il vit cette expérience avec rigueur et rectitude. Quand bien même, il ne savait pas pour l’Israël Gadna puisque c’était indiqué sur la brochure, mais pas en français.
Au retour, il va être en conflit avec son père. La rébellion face à l’ultime tour de force de son père. Il va vouloir téléphoner à sa petite amie et c’est Shabbat. Son père devient violent et frappe son fils. « Je ne voudrais pas surinterpréter la gifle de trop de mon père, ni la migraine de ma mère comme symptôme de sa passivité pendant la conversion. Mais je compris qu’il me fallait grandir . »
« Ma DÉconversion » est l’histoire vraie d’un homme dont la spiritualité laïque est son éthique de vie. Le cheminement d’un enfant qui aura reçu durant ses jeunes années tous les codes de son émancipation intérieure. La liberté de conscience. Transgresser les interdits religieux. Renaître en homme perfectible. Être sa propre synagogue intérieure.
« Ma DÉconversion » est un lever de voile stupéfiant de justesse sur la pratique forcenée d’une religion. Un témoignage vibrant de révolte et soumission et de puissance évocatrice.
Benjamin Taïeb somme la foi comme l’indicible liberté de croyance. Ce récit graphique est une urgence de lecture, sociétale et intime. Ici, vous avez toutes les clefs pour vous relever et croire en vous-même. La liberté d’avancer dans votre propre chemin et de franchir la voie de traverse. Ici, dans le tremblant de ce livre de vie, la métamorphose d’un homme devenu, juif athée. Et c’est beau. Publié par les majeures Éditions Les Enfants Rouges.
Aller en classe de mer, tous les enfants attendent ce moment avec impatience. Sortir des murs de la classe, vivre l'école autrement, profiter des embruns de la mer, découvrir la flore, la faune, la voile et la vie en communauté... Mais voilà, une fois arrivé sur place, pour Benjamin le soleil n'est plus là, bien au contraire, tout n'est que nuage, orage et averse... Ses "meilleurs amis" se transforment en tortionnaires, le rouant de coup la nuit venue... Pendant trois semaines, personne ne voit rien et ceux qui voient ne disent rien ... Un véritable calvaire qu'il cache aux yeux de tous mais qui le marquera toute sa vie... Même quand il pourra enfin les regarder droit dans les yeux alors qu'il est devenu adulte.
Le harcèlement scolaire est un fléau, une violence pour plus d'un million de victimes (près d'un enfant sur dix). Benjamin Taïeb, devenu avocat, a été une de ces victimes. Il s'est livré dans un court récit qu'il a maintenant adapté en BD avec Marie Eyquem. Le travail graphique est en merveilleuse adéquation avec ce récit terrible et sombre. Les mots touchent, portent, marquent et le dessin amplifie avec force le ressenti et le message qui est transmis.
Habituellement, j'aurais écrit "quelle claque" mais là ces deux mots me semblent bien inadaptés pour cette BD. J'en ressors terriblement marqué, la chair de poule, les larmes au bord des yeux et la colère présente mais pas seulement... J'ai peur... Peur qu'en tant que père, je passe à côté de ça, peur de ne pas voir, savoir ou ressentir. Alors merci infiniment Marie et Benjamin pour cette BD nécessaire. À partager pour que cela cesse.
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