"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Cela fait très longtemps que je n'avais pas galéré à ce point pour chroniquer un roman ...
... 1 parce que le pitch est complètement barré
... 2 parce que j'ai lu les 400 pages entre stupéfaction, déstabilisation et une certaine jubilation de découvrir un texte aussi brûlant et radical pour parler d'écoféminisme et de sexualité féminine.
Anna Szabel est à la tête d'un grand groupe pétrolier polonais, elle est riche, puissante, en a rien à faire de l'écologie et des « soja-connards ». Sa vie bascule lorsque lors d'une transe somnambulique elle est filmée en train de faire l'amour à un arbre. Scandale, elle est virée. Et dans le même temps, elle est hantée par des hallucinations de femmes brûlant dans des fours, jusqu'à propulser le récit au XVIIème siècle dans une communauté de femmes surnommées les Terreuses d'un duché dirigé par des évêques ultra rigoristes.
Ce sont elles, les hexes ( mot anglais qui signifie « sorcière » ), menée par une certaine Hélène Spalt, la grande prêtresse de la Vieille Pucelle, qui promeut le culte de la Terre-Mère afin de se retrouver en symbiose avec la nature lors d'extase orgasmiquecollective consistant à se frotter la vulve sur du végétal doux, moelleux et délicat loin de la dureté du sexe masculin :
« Et quand le pouls de la Terre commença à battre dans leurs fentes, les femmes se mirent à produire d'étranges sons harmoniques, des vagissements et des grondements, un mélange de pépiement de poussins qui éclosent, de miaulements rauque de chattes en chaleur, du polystyrène qu'on frotte contre une vitre, et du râle d'un veau qu'on égorge. Ces sons s'entremêlaient en une fugue se joignaient au bruissement du feuillage animé par le vent pour produire le cantique originel de l'humanité, uni au ramage des oiseaux, aux accords du tonnerre, au staccato de la pluie qui tambourinait sur les toits tressés des habitations d'un peuple vivant quelque part aux antipodes, qui se serait éteint ou transformé en un autre. »
Agnieszka Spzila vient de Pologne, pays de fortes traditions catholiques où les droits des femmes, à commencer par celui d'avorter, sont contestés. Et on sent qu'elle assume totalement les excès de son texte, sa trashitude souvent blasphématoire. Elle n'a pas peur de choquer avec ces scènes de rapport intense au corps féminin. Elle cherche à choquer. Mais pas gratuitement.
Le texte, souvent très drôle d'ailleurs, tient autant du pamphlet que du conte médiéval paillard que de l'ode poétique. Ici, la folie de l'intrigue est conçue comme une arme pour dénoncer les 3 P ( pénis, patriarcat, politique ). Et si le récit semble foutraque, il repose en fait sur une avancée narrative très bien construite, qui parvient à relier des éléments disparates.
J'ai trouvé cependant que c'était trop long. Même si je comprends le sens des répétitions de certaines scènes jusqu'à plus soif pour enfoncer le clou ( ha ha hors sujet ) et créer une sorte d'hypnose littéraire, y en a trop et ça fatigue d'être dans une tornade.
Il n'empêche que cette lecture est une expérience transgressive qui vous emporte par son énergie ébouriffante. On sent longtemps l'effet furieux de son blast. On a longtemps en tête ces images inouïes de femmes s'unissant à la nature. Aux frontières du réel mais initiant une réflexion pertinente sur les rapports homme / femme et homme / nature, quand bien même on n'adhérerait pas à tout. Ode à la liberté, Hexes lève le poing et exhorte à ne jamais se débarrasser de sa folie lorsqu'elle vous pousse à vous transcender et à refuser les carcans.
C’est le titre « ovni » de la rentrée, un titre qui suscitera, j’imagine, des avis autant dithyrambiques, à l’image de la déclaration d’Olga Tokarczuk mise en exergue sur le bandeau, la concitoyenne de l’écrivaine, que le contraire. Agnieszka Szpila, l’autrice polonaise, est une militante et écoféministe, en plus d’être écrivaine, et ce roman incroyable, paru aux Editions noir sur blanc, dans la collection Notabilia, est le reflet de l’engagement qui est le sien. Une fiction féministe, à laquelle on adhère ou pas en dehors de toute considération stylistique ou narratif, mais qui a le mérite de remettre quelques vérités en place, à commencer par l’omnipotence du pouvoir patriarcal, par le biais de cette fiction mi-historique mi -contemporaine un brin atypique.
Anna Szajbel est présidente de la compagnie pétrolière polonaise : forte, du poste qu’elle occupe, elle jouit d’une vie confortable, auprès d’un mari handicapé, dans une petite ville ultra-hypée de Pologone, Podkowa Leṥna. Le problème pour Anna, ce sont ses parents qui viennent de Mszczonỏw, une petite bourgade de ploucs à ses yeux, dont elle ne comprend plus le mode de vie. Puis poussée à bout et par son mari, dont elle découvre la trahison, elle perd les pédales jusqu’à remettre toute sa vie en question, au point de sentir en elle-même l’âme d’une autre femme, Mathilde, alors même qu’elle se surprend à rouler nue dans la nature. Dans une deuxième partie, on découvre les vies des femmes Spalt, depuis Hélène née en 1569 – et accompagnée de sa gouvernante Kunegunde Kreppel – jusqu’à Mathilde sa petite-fille, quelques centaines d’années auparavant, au XVIIe siècle. Cette autre partie narre l’histoire de ces femmes, considérées comme sorcières, car elles avaient décidé de s’affranchir de toute autorité masculine – les religieux et souverains, les époux – pour vivre entre elles en plein milieu de la nature qu’elles appellent La petite pucelle. Le point de départ, c’est la naissance d’Hélène initiée par sa gouvernante aux plaisirs charnels onanistes, par contact avec la nature, qui va tenter de pousser d’autres femmes à s’affranchir du joug masculin et de les rejoindre en cette communauté appelée Les Terreuses, ces femmes autrement nommées Hexes.
Les trois parties de ce roman sont relativement différentes et l’ensemble forme un tout déconcertant : la première, nous expose la vie d’Anna Szajbel, une femme au sommet, dans une existence aussi falsifiée que les dérivés pétrolifères, et les circonstances qui vont la pousser dans la lignée de l’histoire des Terreuses. Puis la naissance de la communauté, de la lignée des Past, de leur confrontation avec le patriarcat. Enfin, la renaissance de ce groupe au sein d’un hôpital psychiatrique, ou ont été reléguées toutes ces femmes qui ne rentrent pas dans les cases formatées de ces sociétés encore très fortement et majoritairement patriarcales, dont fait partie Anna forcément. Le rôle de cette Terre-mère est au premier plan de cette histoire, dans laquelle Anna profiteuse sans vergogne de premier rang – à la tête d’une entreprise pétrolière qui ne cesse de lui sucer le sang – se métamorphose en la plus grande de ses gardiennes en tant qu’héritière spirituelle de la lignée de ces Hexes.
Ce qui me semble intéressant, c’est cette façon de prendre à rebours ce monde d’hommes, dans un univers où on leur ôte jusqu’à la possibilité de donner du plaisir à une femme. Car ce qu’il a de plus étrange, de plus déranger pour certains peut-être, on peut le concevoir, c’est cette relation très charnelle que les femmes entretiennent à la nature, où les hommes se retrouvent ébaudis, perclus dans toute l’inutilité qui est devenue la leur. La virulence de leur réaction, du plus insignifiant au plus haut placé, devient compréhensible, qui aime perdre pouvoir et emprise ? Mais pas seulement. Repousser ce Dieu, homme par essence, et le remplacer par une entité déictique de sexe féminin, c’est l’ultime affront opposer à ces religieux de tous poils, qui prennent le blasphème bien plus volontiers sérieusement que lorsqu’il s’agit de prendre en considération leur propre déviance. Ce qui peut choquer, c’est cet érotisme très présent des femmes qui pratiquent l’onanisme avec les éléments naturels, et personnellement cela me choquera toujours moins que celles forcées à avoir des rapports sexuels journaliers avec leurs époux pour ensuite enchaîner les grossesses et tout ce qui va avec, j’entends, fausses couches plus ou moins tardives, accouchements difficiles, épuisement, etc.
Les paragraphes liminaires se font sous l’adresse d’une narratrice à la femme en général, de cette révolte féminine qui se fait de plus en plus entendre, un sentiment qui tend à créer le réseau d’une sororité universelle. Cette introduction est assez virulente, nous ne sommes pas sur le terrain de la conciliation plutôt sur celui de l’opposition et de l’accusation franches et sans concession. Je suis plutôt favorable à cette adresse véhémente, (...)
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