Son roman La cache, édité chez Stock, fait partie du top 10 des explorateurs de la rentrée littéraire.
Cassandre Drd, Gérald OSTIER, Noelle Roland et Marie Florence Gaultier ont posé quelques questions à son auteur. Karine s’est fait leur porte-parole et Christophe Boltanski a accepté de leur répondre.
A votre tour de découvrir ses réponses :
Pourquoi avoir écrit un roman-vrai, à savoir ni un roman purement fictionnel, ni une pure biographie de votre famille ? Qui cherchez-vous à atteindre avec les épisodes et les portraits familiaux que vous dépeignez ?
C'est moins un roman vrai qu'un roman animé par une exigence de vérité. Pour Thomas Bernhard, la vérité n'est connue que par celui ou celle qu'elle concerne. Tout tentative pour la communiquer ne peut être, selon lui, qu'altération et falsification. Seule compte la volonté de dire le vrai. J'ai d'autant moins ressenti le besoin de recourir à la fiction que l'histoire de ma propre famille est elle-même déjà assez romanesque. Elle mêle à la fois du réel et des mensonges, des légendes, des mythes. Comme dans toutes les histoires familiales. Pour autant, je n'ai pas voulu écrire une biographie familiale. Ce n'est pas un récit linéaire, il n'y a pas de recherche d'exhaustivité, des êtres qui me sont très proches n'apparaissent pas dans ce texte. Je raconte un enfermement, j'essaye de rebâtir un lieu en partie rêvé, une sorte de maison de poupée, composée des fragments de souvenir. C'est une construction. Une projection de mon imaginaire.
Avez-vous l'intention d'écrire d'autres romans et quels sujets aimeriez-vous traiter ?
Oui, j'ai d'autres projets d'écriture qui tournent un peu autour des mêmes thèmes : que sait-on de nos proches ? L'enfermement est-il conciliable avec la liberté ? Comment crée-t-on un univers dans un lieu confiné?
Est-ce difficile de raconter l'histoire de sa famille et n'a-t-on pas tendance à enjoliver la réalité ? Comment on réagit les membres de votre famille ?
Les êtres dont je parle sont frappés par un délire obsidionale dont je tente de trouver l'origine. Il y a une blessure dans cette famille, il y en a même plusieurs. C'est toujours difficile d'appuyer là où ça fait mal. Mais je crois que ce questionnement est partagé par mes proches. Tous, à leur façon, ont essayé de résoudre cette énigme. Ma démarche leur était donc familière. Cette maison était aussi un lieu de liberté. Ils m'ont accordé la liberté cette histoire comme je l'entendais et ils ont aussi pris ce livre pour ce qu'il était: un roman.
Comment l'envie d'écrire sur votre famille est-elle apparue ?
Je pense qu'on écrit souvent pour deux raisons: comprendre qui on est et lutter contre l'oubli. J'ai voulu conserver des fragments de cette histoire et reconstruire ce lieu.
Pourquoi avoir choisi de construire votre roman en vous appuyant sur les différentes pièces de la maison ?
Le personnage principal de ce roman, c'est cette maison. J'ai conçu ce livre comme un jeu de société, comme une partie de Cluedo. En me déplaçant de pièce en pièce. La table des matières est aussi une table de jeu. C'est une exploration. Les pièces sont un peu comme des boîtes à souvenir. Elles m'aident à produire et transmettre des souvenirs. C'est un lieu de mémoire, à la fois fermé, fixé et ouvert, constamment réinventé.
Pourquoi avoir intitulé votre roman "la cache" ?
La cache renvoie à un lieu où on grand-père a trouvé refuge durant la guerre, mais plus encore à un mode d'être de tout un groupe.
Pourquoi votre père n'apparait pas aussi souvent que d'autres personnages, comme votre oncle Christian notamment ?
Ce n'est pas une biographie familiale. J'évoque un lieu où j'ai grandi. Des souvenirs liés à mon enfance. Mon père vit alors ailleurs, tout comme ma mère.
Georges Perec, avec son roman la vie mode d'emploi, est-il un auteur qui vous a inspiré pour ce livre ? (Si non, quels sont les auteurs qui vous inspirent -en général- et vous ont inspiré pour ce titre ?)
J'aime beaucoup Perec et La vie mode d'emploi ou encore W. Quand on écrit, on pense à toutes sortes d'auteurs. Il servent moins de modèles que d'explorateurs, ils montrent ce qui est possible de faire, ils donnent des pistes. Pendant l'écriture de ce livre, j'ai lu W. G Sebald, mais aussi Xavier de Maistre (voyage autour de ma chambre), j'ai aussi pensé à l'Île au trésor de Stevenson et à sa carte qui sert de trame au roman. Le lieu où se trouve le trésor s'appelle d'ailleurs The Cache.
Merci à Cassandre Drd, Gérald OSTIER, Noelle Roland et Marie Florence Gaultier
Le premier roman de Christophe Boltanski, bâti à la manière du jeu le Cluedo, pièce par pièce, nous présente l'appartement de la famille Boltanski, Rue-de-Grenelle, comparé à un être vivant, dans lequel le narrateur évolue, passant d'une époque à une autre, d'un personnage à l'autre.
« J'évolue à travers la Rue-de-Grenelle comme sur un plateau de Cluedo. Par une heureuse coïncidence, il y a autant de pions que de protagonistes. Hormis le colonel Moutarde, il est facile d'identifier qui peut exercer les rôles de Mademoiselle Rose, Madame Pervenche, Professeur Violet, Monsieur Olive ou Madame Leblanc. »
« Dans chaque partie de la maison, je convoque un ou plusieurs personnages, je vérifie les alibis de chacun, j'émets une hypothèse et je me rapproche un peu plus de la vérité. Si la victime est la même que dans le Cluedo, l'intrigue change. Je ne suis pas en présence d'un meurtre, mais d'une disparition. La question à laquelle je dois répondre est la suivante : où est caché le Docteur Lenoir ? »
Ce roman nous présente un narrateur en quête d'identité, à la recherche de vérité sur sa famille, qui a des difficultés à démêler le vrai du faux. Peu à peu, le lecteur découvre les secrets de la famille Boltanski, secrets qui sont parfois des chocs pour les membres de cette famille. Ainsi, quand Etienne découvre qu'il est juif.
« Quand je dois expliquer d'où vient mon nom, je ne dis pas de Russie, encore moins d'Ukraine, mais d'Odessa. Lorsqu'on me demande mes origines je réponds : « Odessa »...
Compte tenu du bric-à-brac identitaire dans lequel je me débats, ce pis-aller permet d'éluder des questions embarrassantes. Odessa, c'est simple et de bon goût. »
Ce roman est une galerie de personnages originaux qui gravitent autour de la grand-mère, Mère-Grand comme la nomme le narrateur. Mère-Grand est certainement le personnage le plus incroyable du livre.
« Elle ne disait jamais qu'elle avait eu la polio. A ceux qui l'interrogeaient sur son infirmité, elle répondait : « Je suis tombée d'un pic ! » comme si elle revenait des sports d'hiver avec une foulure. Jusqu'au bout, elle refusa l'usage d'appareils orthopédiques, même les plus discrets. Qu'une paire de béquilles la désignât à l'attention d'autrui et, pire encore, à sa pitié lui paraissait insupportable. Pas question non plus d'utiliser une chaise roulante à l'aéroport....
Elle voulait passer inaperçue, mener une vie normale. »
La construction de ce roman est vraiment originale, des personnages uniques, intéressants.
Un seul petit bémol à ce premier roman, le lecteur se perd parfois dans la galerie de personnages. Un arbre généalogique aurait été une aide précieuse.
Pourtant, un roman à lire absolument.
Je suisen train de lire La cache. Ça m'a l'air pas mal du tout!
Dans la famille BOLTANSKI, il y a l’oncle, un artiste, le père Luc, sociologue, la mère-grand, héritière communiste qui écrit et se sert des siens comme de ses cannes car elle a la polio. Il y a aussi Jean-Elie, Anne… et tous se retrouvent rue de Grenelle, fief de la tribu et ayant comme refuge « la fameuse cache »… Et puis aussi Etienne, le grand père juif converti et surtout traumatisé par les deux guerres. En racontant son prestigieux clan, l’auteur signe un premier roman très remarqué, la preuve, il a reçu un prix !
J'ai tout aimé dans ce livre... L'histoire fascinante de cette famille d'artistes, de sociologues et de romanciers, l'écriture claire, la construction très originale, Des plans sont insérés avant chaque partie, afin de bien visualiser les lieux décrits et cette nostalgie qui en émane, c’est divin, une belle réussite.
(PRIX FEMINA 2015)