Il n'est pas trop tard pour les découvrir... ou les offrir !
Un enfermement de 42 jours consécutif à un duel offre à un jeune officier qui relativise cette contrainte la possibilité de nous emmener en voyage autour de sa chambre. Son parcours entre les meubles est une entrée en matière pour égrener des souvenirs et des points de vue divers et variés sous la forme de courtes anecdotes souvent drôles et érudites. L’écriture, le style, le vocabulaire très soignés auxquels nous ne sommes plus habitués surprend par sa richesse et signifie bien qu’elle est d’un autre âge. Le texte a en effet été écrit en 1794.
42 jours de confinement obligé en 42 ‘estampes’.
« (…) il faut séjourner ici malgré moi : c’est une étape militaire. »
Le sous-lieutenant sarde, Xavier de Maistre, à la veille du carnaval de Turin, est mis aux arrêts suite à un malencontreux duel interdit.
Il transformera cette punition en un voyage immobile dont il rédigera une courte rédaction pour chaque journée, faisant état de ses sentiments et ses goûts pour la littérature, la philosophie, la mythologie, le libertinage, la médecine moderne, la peinture et la musique.
Il invite le lecteur à le suivre entre ses meubles et ses objets qui deviennent paysages et sujets à dissertation et souvenirs. Sa mémoire se brode de rêverie et son imagination va vagabonder. Avec beaucoup de légèreté, il va se découvrir lui-même.
Sa chienne Rosine et son fidèle valet de pied viendront même à lui donner des leçons d’humanité (et d'humilité) par leurs simples égards à son endroit…
Saisi dans son intimité sans apprêts, la réalité de cet homme, toutefois très centré sur lui-même, va traverser les siècles sans prendre une ride. Les mots sont simples. Le ton semi-ironique est toutefois bienveillant.
Nous voici à le suivre dans un carré long, sous le 45ème degré de latitude pour un voyage de long en large et surtout en zigzags où il va dissocier l’homme en deux entités bien distinctes : le corps et l’âme, sujet d’observation amusante et intéressante, car ces deux-là certes se superposent mais ne peuvent pas être complétement dissociés l’un de l’autre malgré tout…
Cette âme va souvent s’évader et entre autre chez sa maitresse Madame de Hautcastel et créer un dialogue imaginaire osant des mots qu’il n’a jamais su dire à cette coquette qui le mène par le bout du nez.
L’imagination va planer sur un océan de plaisirs « Les perceptions de l’esprit, les sensations du cœur, les souvenirs même des sens sont, pour l’homme, des sources inépuisables de plaisirs et de bonheur. »
Pourtant en fin de ce long confinement, « les sens ne transmettaient plus aucune idée au cerveau ».
Les muscles se relâchaient au point de ne plus avoir la force de tenir en mains un lourd volume.
Les tenues vestimentaires abandonnaient l’uniforme au profit d’un vêtement de voyage réservé à la chambre, soit chaud et très confortable, ainsi peut l’être une tenue d’intérieur. (Allusion probable à «Regrets sur ma vieille robe de chambre » de Diderot)
La bibliothèque va être un paysage important. Notre homme est très érudit. Il y déclinera le « Paradis perdu» de Milton et l’histoire de l’Iliade.
Fortement influencé par Sterne, le succès du livre, est aussi dû aux clés innombrables d’un immense éventail de littérature déployée par le biais de reprises, parodies, métaphores, pastiches et allusions que les notes de l’éditeur en bas de pages nous dévoilent : « Rêveries du promeneur solitaire » de JJ. Rousseau ; « Les effets surprenant de la sympathie » et « La voiture embourbée » de Marivaux ; « Point de lendemain » de D. Vivant Denon ; « Les liaisons dangereuses » de Pierre Choderlos de Laclos ; «Méditations métaphysiques » de Descartes ; « L’enfer » de Dante ; « Souffrances du jeune Werther » de Goethe ; « Clarisse Harlowe » de Richardson ; « Traité de physionomie » de Charles Le Brun ; La Bruyère et bien d’autres références soufflées et cachées dans et entre les lignes.
Il fera aussi état de son goût pour la peinture et consacrera un de ses courts paragraphes à l’école italienne en partageant sa connaissance des tableaux de Raphaël.
Placée sur une étagère haute, la statue du buste de son feu père fera entendre l’écho de la révolution française (« le torrent criminel qui entrainait leur patrie et leur fortune dans le gouffre ») et l’auteur dédicacera un chaleureux hommage à sa famille exilée tout en soulignant son attachement indéfectible à la monarchie.
(Il naît à Chambéry en 1763. La Savoie est alors rattachée à la Sardaigne. En 1800, il rejoint l’armée du Tsar et vivra en Russie le restant de son existence. En 1814, il se battra contre la France. En 1825, ses œuvres complètes sont saluées par la presse parisienne. Il reviendra à Paris pour un court séjour en 1838 pour la réédition de ses œuvres par son ami Gervaise Charpentier. Il vivra à Saint-Pétersbourg où il achèvera sa vie en s’occupant essentiellement de sciences et de peinture.)
A la veille de la fin de son confinement, il apprend avec chagrin la mort du docteur Cigna, un ami, célèbre savant, botaniste et physicien. Un rêve délirant le fera mettre en scène un dialogue entre Cigna, Platon, Périclès et Aspasie jetant perruques au feu et ironisant sur les coutumes de son siècle.
Ses souvenirs et ressentis seront d’ordre universel quant à une situation d’enfermement imposé.
Après avoir célébré les bienfaits de l’imagination et une retraite salvatrice face à lui-même, le cheminement intérieur autour de sa ‘cabine’ prendra fin. Nous aurons été du lit au fauteuil, de la cheminée à la fenêtre, du bureau à la bibliothèque, de tableaux en portraits, tous paysages à grandes découvertes et aurons nous-mêmes fait un beau voyage dans l'intimité d'un homme érudit.
Il quittera cette belle liberté in fine, où tant de plaisirs imprévus l’attendaient entre les quatre murs de sa chambre d’officier, où il se surprit à célébrer l’amitié humaine et animale, pour retrouver les ’fers’ des affaires et une vie de perdition…
Xavier de Maistre a écrit ces feuillets pour son propre plaisir et n’avait pas l’intention de les faire éditer. C’est son frère, Joseph, militaire et écrivain, qui les fit publier à Lausanne en 1795.
C’est un livre érudit à l’écriture simple et légère.
Si certains grands écrivains de l’époque dont Stendhal, réservèrent un accueil glacial et une critique sévère au livre, cela ne l’a pas empêché de rencontrer un vif succès.
Il n’a eu de cesse d’être réédité de par le monde, a connu copies et plagiats, et a été et continue d’être source d’inspiration à bon nombre d’œuvres littéraires et cinématographiques à travers les siècles et ce, jusqu’à nos jours, où il s’impose comme un classique intéressant, enrichissant et agréable à lire, teinté d’un écho d’actualité.
(L’édition en poche Flammarion comporte une présentation et un dossier très détaillé sur l’auteur, l’œuvre et le XVIIIème siècle littéraire, signés par Florence Lotterie.)
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