Lancé ce mois-ci, le Club des Explorateurs permet chaque semaine à deux lecteurs de lire en avant-première un même titre que nous avons sélectionné pour eux et de confronter ainsi leur point de vue.
Cette semaine, Jean-François a choisi Nathalie pour partager sa lecture et son avis sur le livre Un été à Bluepoint de Stuart Nadler (Albin Michel).
L’avis de Jean-François
Un été à Bluepoint est un superbe premier roman américain. Tout droit sorti de l’école « Nouvelle Angleterre », non seulement parce que la majeure partie de son histoire se déroule aux abords de Cap Cod, mais peut-être et surtout par l’ombre omniprésente de John Irving, grand maître littéraire des lieux, qui plane sur ce style de narration addictif pour le lecteur et dans un registre tragique pour ses personnages. Comme peut l’être celui de « La part de Dieu… » pour ne citer que celui-là. Ici comme chez Irving, les personnages ne sont à l’abri de rien et leur vie peut basculer au détour d’une page ou au début d’un chapitre, sans préavis pour le lecteur. L’évidente filiation se retrouve également dans le thème du Père qui domine assez superbement le récit sur une soixantaine d’année.
Les pères sont-ils toxiques ? Stuart Nadler répond à son tour à la question alors que nous pensions que les psychanalystes devaient avant tout aux mères leur ascension sociale. Les pères des deux personnages principaux du roman flirteront avec la caricature sans jamais en être une grâce à l’intelligence narrative de son auteur. Ce dernier stigmatise plus la déviance du père plus que le père lui-même. Et notamment cette cupidité sans nom du père de Hilly, le narrateur, espèce de statue du commandeur américaine rongée par le culte de l’argent. Ce dernier semble être pour lui, comme sans doute pour l’Amérique, le remède à tous les maux d’une société ou plus gravement de son propre fils. C’est là que le roman se différencie d’une simple bluette, par la puissance de son propos.
Dans ce premier roman remarquable en tous points les influences sont bien évidemment visibles et assumées. Comment après avoir fait référence à John Irving, ne pas penser aussi au cinéaste Douglas Sirk, prince du mélodrame hollywoodien qui n’a eu de cesse de construire ses films sur la dualité de ses personnages, de par leur classe sociale, leur couleur de peau… Toute la symbolique « Sirkienne » se retrouve dans « Retour à Blue Point »- qui est un grand mélodrame- comme on pouvait la retrouver dans le magistral « Loin du Paradis » du cinéaste Tod Haynes à qui l’on pense beaucoup au fil des pages et dans la conclusion de ce livre.
Je privilégierais sans doute la première partie du roman (il y en a trois) qui est magnifique d’intensité, de justesse dans la description à la fois des lieux et des personnages qui y gravitent. Il y a toutes les couleurs des tableaux d’Edward Hopper mais les héros ne rêvent pas dans la solitude face à l’océan. Ils s’y aiment et se déchirent avec la violence des sentiments exacerbés puis trahis, avec des dialogues dont la vivacité les marque de vérité.
2015 s’ouvre avec un grand roman américain. Stuart Nadler met la barre assez haute pour les auteurs à venir en cette rentrée. Souhaitons être encore transportés avec autant de souffle au cours de l’année. En cette période de vœux ne demandons rien de plus.
L’avis de Nathalie
Ce livre est tout simplement un régal. Sensible, tout en finesse, il fait le récit de la vie d’un homme en prenant comme point de départ sa vision à 17 ans du changement de statut social qui se produit dans sa famille après que son père, avocat, ait gagné le procès en responsabilité qui l’oppose à la compagnie aérienne responsable du crash d’un avion. Hilly et sa famille vont passer d’un état de semi-pauvreté à celui de la richesse et de l’abondance.
A travers l’histoire d’Hilly, le narrateur, l’auteur nous dépeint la société américaine sur une période de plus de soixante ans. Par petite touches, il analyse les relations père/fils, la difficulté de communiquer, le pouvoir que confère l’argent, les relations raciales ainsi que les premiers émois amoureux qui vont laisser une empreinte très forte sur le jeune homme et ce jusque dans sa vie d’adulte.
Les personnages sont tous attachants, très justes. J’ai été immédiatement captivée par ce roman et j’ai eu du mal à en décrocher tellement l’immersion dans le récit a été forte.
L’histoire est tout sauf prévisible. L’auteur évite les pièges de la facilité et m’a entraînée dans la vie d’Hilly sans jamais m’ennuyer. Une très belle découverte avec ce premier roman de Stuart Nadler.
Merci à Jean-François et à Nathalie pour ces chroniques passionnantes !
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N'ayant pas toutes ces références cinématographiques, je vais attendre pour le lire
Bonjour
Je vais sans doute le rajouter à ma liste de mes futures lectures .
Merci beaucoup pour vos commentaires qui ont attisé ma curiosité de découvrir cet auteur .
Bien cordialement
Noële
Rien que pour le décor du livre, cela me donne envie de le lire. Merci à vous deux pour votre vision de ce livre
La description de Jean-François est pleine de références qui laissent comme un goût de suspens. On se laisse emporter par son enthousiasme et on se dit "Whaouh, quelles connaissances". Sa manière de décrire l'histoire donne l'impression qu'il l'a presque vécue, c'est assez troublant. Bravo pour l'exercice. La critique de Nathalie est plus factuelle, je m'y retrouve un peu plus car c'est aussi ma manière de faire quand je donne un avis sur un livre. Mais le mélange des deux est tout à fait réussi. J'ai hâte de voir ce que va donner ce club des explorateurs et quels seront les prochains livres à découvrir. En tout cas, chapeau à vous deux car l'exercice n'est pas facile. J'en sais quelque chose puisque j'ai fait partie des Explorateurs de la rentrée littéraire de septembre 2013. J'ai déposé ma candidature pour faire partie de ce club, j'espère pouvoir faire partie de l'équipe. A très bientôt.
Eh bien voilà, un de plus à lire! Bravo!
Merci à ces 2 explorateurs qui ont fait une analyse tout en finesse de ce roman.J'aurais bien des difficultés à dire lequel des deux a le mieux réussi l'exercice.J'ai ,en tout cas,bien envie de lire ce roman.