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Double-Cœur d’Alexandre Jardin : le livre qui va faire divorcer la France

"On ne se pose jamais la question de savoir si le livre incite à vivre davantage"

Double-Cœur d’Alexandre Jardin : le livre qui va faire divorcer la France

Pour son 18e roman après Ma mère avait raison l’an dernier, Alexandre Jardin publie le premier roman réellement interactif, ou plutôt celui qui noue le plus de complicité entre les lecteurs et l’histoire, le réel et la fiction. Explications.

 

Le nouveau roman d’Alexandre Jardin parle d’amour, ça ce n’est pas surprenant, mais cette fois-ci, le roman ne commence ni ne s’arrête aux frontières du livre. L’histoire de Double-coeur (Grasset) a commencé plusieurs semaines avant la parution du livre sur les réseaux sociaux, le temps de composer une communauté de fidèles à Alexandre Jardin, mais aussi de grands amoureux avides d’expériences romantiques inédites. « Il y avait bien un quart des participants qui n’avaient encore jamais lu une ligne de moi », estime Alexandre Jardin, en évoquant la grande rencontre qui a eu lieu avec ses lecteurs le samedi 6 octobre au Drugstore Publicis des Champs-Elysées. Et du monde, il y en avait, ce qui est plutôt très rare à Paris pour des signatures d’écrivains, a fortiori un samedi après-midi dans le 8e arrondissement parisien.

Dans Double-Cœur, le héros Alexandre Bulle qui est libraire et écrivain, prend connaissance d’un manifeste de l’amour fou et conjugal, écrit par une mystérieuse Madeleine Levy il y a plus de 70 ans. Cet appel de 1947 est un brûlot pour tous les pisse-froid d’un milieu intellectuel compassé, qui n’imaginent même pas le bonheur amoureux possible, ni même souhaitable. Cette découverte va ébranler la vie du héros et renforcer ses convictions.

« Une amante réelle doit être une amante cérébrale, habillée et maquillée de littérature », exprime Madeleine, la vraie héroïne malicieuse du roman. Les lectrices ont donc un potentiel amoureux engageant, c’est déjà une bonne nouvelle. Dans le lexique double cœur, et donc dans le texte d’Alexandre Jardin, ce sont les mots tendresse et douceur qui reviennent le plus. On est loin d’une ode à la passion dévorante et destructrice ! Car l’objet de ce vadémécum amoureux n’est pas le feu mais la durée, l’illimité d’un projet amoureux qui s’installe et prolifère. La vraie gageure de notre temps où le lien conjugal se contente de vivoter souvent sous les oripeaux du devoir familial. On pourra ainsi parfois fortement déconseiller la lecture du livre… 

 

Vive le couple et à bas l’ennui, s’exclame Alexandre Bulle, dans une frénésie de propositions burlesques et drôles, et un roman plus « jardinesque » que jamais. Mais Double-Cœur est finalement bien peu un roman, en regard avec tout ce que l’écrivain a imaginé en dehors du texte à proprement parler. Les Double-Cœur sont d’abord une communauté de lecteurs, mais surtout des hommes et des femmes de tous les âges, qui se rencontrent et ont envie de partager une histoire d’amour comme dans les livres, en s’en donnant les moyens.  

 

Pour en parler, on a rencontré Alexandre Jardin après la première rencontre avec ses lecteurs samedi 6 octobre au Drugstore Publicis, et juste avant une tournée endiablée de deux mois dans quatorze librairies en France. 

 

Interview : Alexandre Jardin, Double-Cœur : « On ne se pose jamais la question de savoir si le livre incite à vivre davantage ».

 

- D’où vient l’idée de ce livre interactif ?

Depuis que j’ai commencé à écrire, les lecteurs jouent avec mes livres. Il y a des filles qui offrent Fanfan à leurs amoureux pour leur faire comprendre comment elles veulent être aimées. On lit des passages du Zebre tous les mois de juin dans les mariages. 

 

- Comment expliquez-vous ce rapport particulier avec vos romans ?

Quand on écrit des livres qui font vivre plus, il arrive que des gens soient intéressés par le fait de vivre ce qu’on a écrit. Je le constate dans les courriers ou sur les réseaux sociaux depuis plusieurs années.

 

- Revenons à la genèse de Double-Cœur

J’ai écrit Double-Cœur autour de la question suivante : « comment  faire pour que les gens puissent vivre comme dans mon roman ? ». Au cours de l’écriture, j’ai eu l’idée d’organiser l’intrigue autour d’une application… et j’ai ensuite rencontré Didier Rappaport, le PDG de Happn, qui fait dans le réel ce que j’imaginais dans mon livre : j’ai rencontré un visionnaire, un expert en intelligence artificielle, qui avait donc l’outil correspondant à mon histoire. C’est ainsi que j’ai pu faire déborder le livre de ses pages, et organiser une tournée en octobre et novembre, qui transformera les librairies en lieux de rencontre entre les lecteurs.

 

- Vous parlez de cette application, Happn, dans le livre. Entendez-vous déjà vos détracteurs qui vous accuseront de faire du marketing ?

D’abord ce n’est pas le cas, il n’y a rien de mercantile dans la démarche qui relie le livre à l’application, c’est une expérimentation que je souhaitais mener et qui intéresse les dirigeants d’Happn. Ensuite je rappelle que le terme « frigidaire » a fini par entrer dans les romans. Au début c’est un peu étrange mais c’est constitutif de la modernité. Ecrire un roman contemporain comme si les gens n’avaient pas de Smartphone est délirant. Dans la rentrée littéraire, l’écrasante majorité des romans dépeignent la vie comme dans les années 70. Je ne fais pas non plus partie de ceux qui rêvent que la littérature soit modianesque dans son ensemble.

 

- Vous parlez de modernité et d’adaptation du roman au monde contemporain, mais on retrouve votre langue, celle qui définit vos livres et pas une langue disons « 2.0 ».

Paul Morand n’a pas écrit New York dans une autre langue que la sienne. Et cependant, elle rend compte de la modernité de son époque qui est alors ancrée à New York. On peut conserver sa langue en s’immergeant dans la modernité. On peut avoir lu les hussards et se passionner pour le monde qui naît sans s’interdire d’y injecter de la poésie. Double-Cœur est le premier roman augmenté, non pas en ce qu’il fournirait des notes de bas de pages à travers une application, mais dans le sens où il  propose un art de vivre qu’on peut décliner dans un dialogue continu avec les lecteurs, en proposant des citations, des challenges, qui enrichissent le propos du livre à travers une vraie communauté très active sur les réseaux sociaux. C’est une façon, aussi, de redonner un rôle, une place aux hommes et aux femmes.

 

- En somme, la fiction a précédé le réel dans cette aventure…

L’essence de la littérature me semble d’être relié à l’être.  Il y a des textes qui ont un potentiel cinématographique, d’autres un potentiel numérique. Pessoa par exemple est incroyablement fait pour la vie numérique. Des écrivains, des poètes connus ou inconnus vont trouver un public immense grâce au numérique. La littérature, depuis le 19e siècle, a été une littérature de chevalet : je peins un récit, une histoire, un suspens, mais je reste à distance de pinceau. Ca n’invite pas à grand-chose. Tous les Grecs après Homère, les écrivains de la Renaissance, le théâtre, invitent à vivre plus. Aujourd’hui, les auteurs qui entrent dans cette catégorie sont classés en littérature secondaire, comme Dumas, Jules Verne. La critique s’est habituée à porter un jugement : cette toile, c’est à dire cette œuvre, est-elle digne d’entrer au musée de notre bon goût ? Mais on ne se pose jamais la question de savoir si le livre incite à vivre davantage. Les adaptations numériques vont faire apparaître une littérature d’invitation. Je crois à une grande mutation de fond. Comme si les Grecs allaient finalement gagner.

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