C’est peut-être LE livre à lire en attendant que le printemps arrive enfin et chasse la morosité de l’époque. Le Grand N’importe quoi (ed Buchet-Chastel) porte presque parfaitement son nom, à condition de le prendre dans le bon sens de la littérature.
Dans ce roman qui se passe le 7 juin 2042 durant l’unique minute de 20h42 (c’est possible, c’est quantique), la France est devenue une colonie malgache et Arthur y est un aspirant écrivain qui n’arrive pas à finir ses romans de SF. Il est persuadé que les extra-terrestres existent mais pour l’heure, s’applique à rater son histoire d’amour avec Framboise. A la faveur d’une fête déguisée qui tourne mal, il se retrouve à tourner en rond dans le petit village de Gourdiflot le bombé (si si) où il rencontre son alter ego, Lucas. Comme le précise le narrateur qui prend décidément beaucoup de plaisir à nous raconter cette histoire qui réserve encore bien des surprises, « s’il y avait bien une chose qu’on ne pouvait pas reprocher à Arthur, c’est de s’être jamais distingué par l’arrogance de son courage ». Les voilà malgré eux embringués dans une histoire qui commence par l’enlèvement du sosie d’Alain Delon par des aliens, où l’on comprendra l’énigmatique titre de cet article (qu’on n’a pas l’intention de vous expliquer ici).
On s’en frotte les yeux
Dubitatifs ? Ce résumé semble trop improbable ? Chez J.M. Erre, plus c’est gros et mieux ça passe, et il faut beaucoup de talent pour cela. En témoigne sa collaboration depuis deux ans avec l’émission Made in Groland. Dans ce roman, l’écrivain ne s’interdit rien, de l’ésotérique à la physique quantique, de l’invraisemblable à l’effet de réel, toutes les embûches habituelles de la narration sont affrontées, jamais évitées et catalysées dans le grand chaudron d’une créativité ultra-vivante. Car avant d’être un incorrigible inventeur d’histoires ubuesques, l’écrivain est d’abord un orfèvre de la langue et son amour de la littérature le protège de bien des fautes de goût. On imagine que ses élèves sous cette heureuse influence, puisqu’il est professeur de français à Sète, échappent aux tragiques statistiques sur le niveau scolaire en lecture.
Attention, un roman peut cacher une œuvre
Les amateurs de littérature introspective et sérieuse risquent le choc anaphylactique avec ce roman. Les autres, plus ouverts, avides de littérature et de fantaisie ont trouvé leur écrivain phare. Depuis son premier roman en 2006, Prenez soin du chien, J.M. Erre applique son talent aux genres dont il détricote les codes avec une habile faconde : du policier avec Le Mystère Sherlock au thriller avec La Fin du monde a du retard, le voici qui s’attaque à la SF avec Le Grand N’importe quoi. Et montre par le texte qu’on peut écrire de bons romans, surprendre irrésistiblement le lecteur, sans se prendre au sérieux.
Karine, je n'ai pas lu votre chronique. Je ne lis jamais les chroniques des autres avant d'avoir écrit la mienne. Je n'ai pas encore lu ce roman, acheté hier à la Comédie du livre et dédicacé par l'auteur après une conversation absolument fantastique. Mais, pour avoir lu et adoré "Le Mystère Sherlock", je sens que je passerai un bon moment. Mais avant, je termine "Ainsi va la vie" de Fabion Volo et peut-être un autre...
Les Gourdiflots, Le Bombé... ça rappelle "La soupe aux choux" de René Fallet ! Et en plus JM Erre est professeur à Sète, la ville natale de Brassens, grand ami de Fallet.