Il surprend, dérange (Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? (Minuit, 2007).)
Après le culotté «Comment améliorer les oeuvres ratées?» (où il se proposait de corriger Du Bellay et Victor Hugo), après l'audacieux «Comment parler des livres que l'on n'a pas lus?» (où il montrait que les grands textes baignent dans une rumeur savante qui les submerge utilement, les contient, et, en somme, les résume), l'intrépide professeur livre les procédés grâce auxquels romanciers, poètes ou philosophes évoquent en connaisseurs des lieux où ils ne sont jamais allés.
Tout le monde se pose la question, Pierre Bayard tente d’y répondre. Dans Aurais-je été résistant ou bourreau ? (ed. de Minuit), l’écrivain et psychanalyste tente de discerner les motivations profondes qui font, dans certains moments de l’histoire, qu’on se retrouve dans le camp des héros ou des tortionnaires.
Est-ce réellement une question de choix, de circonstance ou de nécessité interne ?
Pierre Bayard examine plusieurs cas historiques : la deuxième Guerre Mondiale en France, le régime des Khmers rouges au Cambodge, la guerre en Yougoslavie dans les années 90. Ainsi, rien ne prédisposait Daniel Cordier, maurassien exalté avant la guerre, de devenir le secrétaire de Jean Moulin; le consul portugais Sousa Mendes n’avait pas choisi de devenir un Juste en signant plus de 30 000 visas qui ont sauvé des Juifs de France en juin 1940, et finit ruiné: Salazar ne lui a jamais pardonné son geste.
Qu’est-ce qui a fait que des soldats allemands ont accepté de fusiller en masse des Juifs en Pologne, alors même que leur hiérarchie leur laissait le choix de refuser ?
Il y a aussi le peintre Vann Nath, l’un des rares rescapés du génocide perpétré par les Khmers rouges, qui un jour a osé dire non à l’arbitraire. A partir notamment des travaux de Milgram, qui ont constaté combien il est facile de transformer monsieur tout le monde en petit tortionnaire, Pierre Bayard tente de dresser le portrait de la personnalité profonde de différents exemples de courage humain, en décourageant l’hypothèse qu’il y aurait deux natures humaines distinctes, les gentils et les salauds. « Je me suis attaché à la question des Justes et des héros, explique l’auteur. Depuis les travaux d’Hannah Arendt, il est plus facile de comprendre comment on devient bourreau plutôt que résistant. Il est moins mystérieux d’obéir que de dire non ».
A côté de la démarche du scientifique, le psychanalyste qu’il est aussi ose une fiction, sorte de fil rouge du livre : qu’aurait-il fait, lui, s’il était né en 1922 comme son père ? Le postulat est séduisant, la réponse un peu décevante : le psychanalyste montre qu’il est hasardeux de se prendre comme sujet d’étude et de raisonner à partir d’un anachronisme personnel. « Il est évident qu’on ne peut pas savoir, se défend Pierre Bayard. Mais il est erroné aussi de prétendre que les itinéraires sont aléatoires ». Son humilité didactique sauve une tentative qui ne tarde pas à révéler que l’interrogation, oedipienne, confronte surtout le fils et le père.
Les petits bémols sont évincés par la matière, sidérante, de la question posée. Si le livre est court, la démarche, elle, est immense et concourt à enrichir le tableau d’analyse d’une anthropologie moderne et positive.
Aurais-je été résistant ou bourreau ?, Pierre Bayard, Ed.de Minuit, (2013)
C'est une question que je me suis posée! C'est intéressant!