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Vivre en poésie ? Alors que j'étais adolescent, je me promenais dans une grande forêt, en Alsace, à Ferrette, en compagnie d'un ami de mon âge - quinze ans, peut-être. Du haut d'une falaise jurassienne, nous regardions la plaine. Il y avait devant nous ce qui se photographie. Il y avait autre chose aussi. Quoi ? Un tremblement, un appel au dépassement de ce que la photographie aurait retenu. L'un de nous deux a dit : l'éternité. C'était vague, et nous avons voulu préciser. Qu'est-ce qui pourrait nous donner la sensation intellectuelle et physique de l'éternité ?
Qu'est-ce qui pourrait situer concrètement ce paysage dans un prolongement - concret, lui aussi - qui serait l'immensité de l'espace et surtout celle du temps ?
Ce que nous avons trouvé de mieux a été d'imaginer qu'une fois par siècle, un oiseau viendrait prendre dans son bec quelque chose de cette plaine - mieux, il viendrait enlever un grain de sable d'une plage aussi longue qu'était immense cette plaine. Cette fiction nous a, semble-t-il, fait voir cette plaine, cette falaise, ces forêts, nous-mêmes, au niveau qui était le nôtre, le vrai. Et cette image m'a accompagné toute ma vie. Je la crois contraire à la notion d'éternité parce que, dans l'éternité, rien ne passe, c'est l'instant permanent.
Mais qu'importe ! C'est cela que j'appellerai vivre en poésie : prolonger le réel non pas par du fantastique, du merveilleux, des images paradisiaques, mais en essayant de vivre le concret dans sa vraie dimension, vivre le quotidien dans ce qu'on peut appeler - peut-être - l'épopée du réel.
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