"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le brave soldat Sam ne dispose plus que de quelques fractions de secondes avant d'être enveloppé par les flammes d'une vague de napalm qui se précipite sur lui. C'est l'occasion de s'inventer en urgence une biographie et de se raconter des histoires. Il s'entoure alors de personnages féminins hauts en couleur : des grand-mères centenaires qui dirigent le clan, des cousines à la volupté épanouie, et surtout des tantes sorcières, jeunes femmes attirantes, sexuellement désinvoltes, qui tiennent à lui enseigner comment vivre dans le feu. Elles lui donnent des « leçons de feu » au cours desquelles il doit apprendre à rester indifférent au brasier qui va le transformer en torche, et aux bizarreries oniriques des derniers instants...
Il aimerait poursuivre à jamais une vie à l'air libre, être bandit, échapper à la garde nationale, multiplier chevauchées et aventures amoureuses. Mais l'idée des flammes est là. Et elle le rattrape. Cependant il ne manque pas de souvenirs imaginaires pour la repousser encore et encore.
Une oeuvre monumentale s'est construite, sous des noms d'auteur divers (Lutz Bassmann, Manuela Draeger, Elli Kronauer, etc.), qui s'arrêtera au nombre prédéterminé de 49 livres. 22 sont signés Antoine Volodine, dont celui-ci, qui est le dernier. Parfaitement autonome, et porté par une étrange drôlerie agissant dans la noirceur des temps, Vivre dans le feu clôt une entreprise littéraire majeure et mondialement saluée. C'est un événement en soi.
Voilà un roman hors normes !
Dans Vivre dans le feu, Antoine Volodine, auteur confirmé lauréat de nombreux prix littéraires, m’a désorienté, sorti des sentiers battus pour m’emmener dans un monde onirique, fantastique, imaginaire, sur les pas de Sam.
J’ai frémi dès le premier chapitre dans lequel Sam voit arriver un avion qui déverse son napalm. C’est un tsunami, un cauchemar. Sam va être carbonisé mais en une seconde, il crée le roman de sa vie, un roman pas ordinaire du tout.
C’est donc parti avec un panorama des membres d’une famille extraordinaire, une cohorte de grands-mères et de tantes. Qu’elles s’appellent Rebecca, Moïram, Yohanna, Maïa, Masheed, Pandayara, Sagone, Zam ou Wolfong, plus un oncle dénommé Slutov, les rencontres tournent autour du thème du feu dans un monde imaginaire.
Sam se rêve vivant dans une période lointaine, dans des contrées dévastées ou désertes. L’écriture a quasiment disparu mais il communique par la pensée ou en écoutant la traduction d’expressions complètement incompréhensibles.
Antoine Volodine excelle à mettre en place une atmosphère pleine de mystère, surréaliste où la magie noire peut avoir toute sa place.
Lorsque tante Maïa l’emmène aux obsèques de grand-père Bödgröm, je retrouve des récits de certains peuples livrant les cadavres aux vautours.
Oncle Slutov installe Sam sur un siège au milieu d’un feu pour lui apprendre à résister, pour sortir des flammes sain et sauf, leçon de vie qui serait bien utile.
Sam qui a été éduqué par les femmes de la famille, est un très bon élève. Son parcours initiatique lui fait rencontrer des personnes imaginaires dans un récit qu’il reconnaît ne pas être chronologique.
De son écriture généreuse, Antoine Volodine offre une impressionnante recherche de vocabulaire pour plonger dans la psychologie de Sam. Avec une imagination fertile, il décrit bien les lieux traversés, des lieux post-apocalyptiques sans négliger les odeurs.
Quand il aborde les instructions de base, en vrac, l’auteur devient philosophe, trace une ligne de conduite, donne des conseils, livre des sentences, des consignes de vie.
Si certaines rencontres sont coquines, que ce soit avec tantes ou cousines, si le thème du feu semble, un moment délaissé, je sens bien que son retour est inexorable.
Vivre dans le feu réserve, au final, un moment de lecture qui désoriente, pose des questions, fait réfléchir. Avec ce roman, Antoine Volodine a réussi une performance littéraire que je salue, même si ce n’est pas le type de roman que je préfère.
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2024/06/antoine-volodine-vivre-dans-le-feu.html
« Après tout, pour cet ultime pétillement d'agonie, plutôt que visionner le film de ma vie, cette suite apocalyptique que je connais par coeur et qui ne m'apportera aucun plaisir de découverte, autant composer un roman. Un petit roman hurlé en accéléré, à toute vitesse. A la va-vite. (...) Voyager une dernière fois. Dire tout, inventer tout, ne pas s'affoler en face de l'indicible. C'est dans mes cordes. Et vu comme ça, au jugé, je dispose d'une seconde. J'ai donc tout mon temps. »
Le prologue pose clairement le cadre. le narrateur, un soldat nommé Sam, va mourir brûlé dans les flammes du napalm. Aucune échappatoire possible, aucune fuite possible. Et dans la seconde qui lui reste à vivre, il va inventer un monde autre, marqué par le feu qui s'apprête à le tuer, et se donner ainsi une autre vie pleine d'autres souvenirs ; la vitesse de l'action se décalant totalement avec la vitesse de la narration qui elle se dilate. Comme Shéhérazade racontant des histoires pour échapper à la mort, Sam étire le temps de son récit dans un déploiement narratif qui brouille tous les repères classiques.
Les chapitres portent le nom d'un membre de sa foutraque famille imaginaire, quasiment que des femmes puissantes, toutes sorcières et magiciennes dont les apparitions semblent venues du fonds des temps pour lui donner des leçons de feu afin de l'aider à s'accoutumer à son destin : entrer dans le feu tout en continuant à y exister, « faire l'éternité entre deux flammes », le Graal.
Chaque tante, grand-mère, oncle ou cousine est associé à une scène à l'action fugace comme la flamme d'une allumette que l'on vient de gratter, mais qui laisse une empreinte forte et visuelle dans la tête du lecteur : un féroce oiseau de feu, une collection d'homoncules qui se collent contre le verre de leur boîte-prison, un étrange voyage initiatique sur une voie ferrée au coeur d'une montagne accessible après une longue chevauchée dans les steppes.
C'est ma première incursion dans l'oeuvre post-exotique de Volodine. Je n'ai pas cherché à comprendre ce qui m'était raconté ou à y chercher une lecture psychanalytique ou métaphorique. Je me suis laissée porter par la superbe écriture chamanique de l'auteur, je me suis mise « en mode onirique » comme certains personnages dans le livre. J'entendais la voix du narrateur comme s'il narrait à haute voix un très vieux conte plein de sagesse, de malice, de cauchemar et de poésie.
Et j'ai aimé cette expérience à la fois inclassable et stimulante. J'ai aimé cet ailleurs littéraire qui convoque un imaginaire très excitant, m'évoquant l'univers d'Enki Bilal avec en bande-son lancinante et mystique le This is the end des Doors, susurré et hurlé par Jim Morrison.
La fin m'a totalement décontenancée car je ne l'ai pas vue arriver, j'avais l'impression qu'il me restait encore plein de pages à lire. C'était brutal, et j'étais déçue qu'elle ne revienne pas factuellement sur le prologue en le complétant ou apportant une réponse. J'attendais bêtement un bouquet final classique. En relisant les dernières pages, je les ai finalement trouvées certes frustrantes, mais cohérentes, en écho à la dernière seconde qu'il reste à vivre à Sam. Des dernières gouttes de vie à suspendre pour l'éternité.
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